Le juge administratif suprême, statuant sur une requête pour excès de pouvoir contre un décret de refus de naturalisation, a rendu une décision assez inédite en refusant la nationalité française à une femme marocaine mariée à un Français au motif que la pratique, par celle-ci, d'une forme rigoriste d'Islam serait incompatible avec les valeurs de la société française.
Victoire ou défaite de la laïcité ? Position anti-féministe ou progressiste ?
Une chose est sûre le débat va rebondir, et on va sans doute entendre des horreurs, en particulier sur le juge administratif, qui pourtant avait tenté de faire passer cette décision en toute discrétion.
Le Monde d'aujourd'hui publie deux articles sur son site sur cette affaire ancienne, qui était passée inaperçue.
mise à jour : Libération en parle aussi ce samedi 12.
Mais le meilleur est l'analyse sur l'excellent blog de Maître Eolas. "Faut-il être française pour porter la burqa ?"
Le gouvernement comme la loi l'y autorise a refusé la naturalisation de Mme A. au motif de sa pratique d'un Islam rigoriste qualifé de salafiste par les intéressés, se manifestant selon les documents et constatations par le port d'un voile extensif, et une conception des rapports entre hommes et femmes, ainsi que des droits politiques et sociaux des femmes, pour le moins, spécifique (!).
Le gouvernement a donc pris un décret en Conseil d'Etat en précisant ces motifs. Le décret en Conseil d'Etat ce n'est pas rien, il a été approuvé une première fois par les conseillers d'Etat sur sa légalité.
Il est donc assez naturel que les juges du Palais Royal aient confirmé leur opinion, saisis d'une requête en annulation.
Ce qui est remarquable en revanche c'est qu'ils aient fait profil bas en ne publiant pas la décision au Lebon, mais juste dans les tables. De plus ce n'est pas un arrêt d'assemblée, ni de section, mais deux sous-sections réunies.
Il faut dire que cela ne pose en droit, sur le papier, pas tellement de problèmes. Le gouvernement pouvait le faire.
Il l'a fait dans les formes en donnant une justification réelle, non contestée par la requérante.
Je n'ai pas eu accès aux conclusions du commissaire du gouvernement (pardon, désormais le rapporteur public) mais il y a fort à parier qu'on les trouve ou qu'on va les trouver dans l'AJDA, voire la RFDA, car c'est du lourd !
Pourtant je trouve les considérants et les justifications particulièrement sobres, voire laconiques. Quand on pense aux considérants de l'affaire Arcelor Atlantique du 8 février 2007 qui étaient une véritable leçon de droit administratif sur la hiérarchie des normes...
Ce qui est neuf, intéressant et passionnant c'est que le Conseil d'Etat entreprend de définir à la suite du gouvernement ce qu'est la bonne assimilation.
Surtout et ça c'est énorme (à mon avis) on voit apparaître la notion de "valeurs essentielles de la communauté française" qui se composent visiblement de "principes" au nombre desquels on compte "l'égalité des sexes".
Quelle est la valeur de ces principes ? constitutionnelle ?
Quelles sont ces valeurs ? existe-t-il une liste limitative, quelle est leur place dans la hiérarchie des normes ? Que de chantiers ouverts !
Enfin, le Conseil d'Etat qui se sait surveillé par la CEDH, prend soin de préciser tout ce qu'il n'entend pas faire :
- porter atteinte à la liberté religieuse ;
- méconnaître le principe constitutionnel de la liberté d'expresion;
-méconnaître les stipulations de l'article 9 de la CEDH. "Liberté de pensée, de conscience et de religion."
Nous voilà donc au pied du mur : appliquer des principes à des cas d'espèce. Ca ne va pas de soi.
Car je connais des juristes libéraux (au sens de "favorables aux libertés publiques") qui vont dire que cette décision est contraire à la liberté religieuse et surtout contraire à la laïcité, puisque l'Etat connaît d'affaires religieuses pour prendre des décisions administratives.
Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat
" article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. [...]
article 2 : La République ne reconnaît, ne salarie, en subventionne aucun culte..."
(Prinicpes tolérants et laïcs repris au sommet de la hiérarchie des normes : voir l'article 1er du Préambule de la Constitution et plus généralement la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.)
Ce qui est très intéressant aussi c'est d'opposer le principe d'égalité des sexes avec le principe de liberté religieuse. C'est épineux !
Je connais d'autres intéressés, ni juristes, ni libéraux (ou alors à leur insu) que ça va rendre (hystériques ? NON c'est mal, c'est misogyne) fous furieux en tout cas : le groupe de LMSI (les mots sont importants de Pierre Tévanian et alii), et les autres mouvements (communautaristes ?) du type les Indigènes de la République, ou le collectif "les blédardes".
D'autres vont se réjouir, les tristes réacs nationalistes à la Max Gallo, mais aussi les agités révolutionnaires prolétariens nationalistes à la LO.
Bref c'est une vraie ligne de partage, on va se rejouer le psychodrame de la loi sur le foulard...
Sauf que c'est les vacance et tout le monde s'en fout.
Mise à jour : il y a un précédent comparable, devant le Conseil d'Etat aussi, de décision de naturalisation rapportée à al demande du gouvernement pour "salafisme aggravé" (voire quasi soutie au terrorisme). voici le lien sur légifrance. Décision du 14 février 2007 n° 279704.
voic le considérant important :
" Considérant qu'aux termes, respectivement, des articles 21-23 et 21-24 du code civil, « Nul ne peut être naturalisé s'il n'est pas de bonnes vie et moeurs » et « Nul ne peut être naturalisé s'il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, (…) des droits et devoirs conférés par la nationalité française » ; qu'il ressort des pièces du dossier, [...] M. A s'est orienté vers un prosélytisme de plus en plus actif, au soutien direct d'un imam d'obédience salafiste, M. B, prônant des thèses violentes, refusant les valeurs essentielles de la société française d'égalité et de tolérance, [...] ;
que, dans la même période, M. A est devenu trésorier de l'association mise en place et utilisée par M. B pour son action, où il le secondait, en dépit des positions extrêmes prises par celui-ci et de modes de financement dont la régularité n'est pas établie ;
qu'ainsi, le gouvernement a pu légalement estimer que le comportement du requérant ne permettait pas de le regarder, à la date du décret de naturalisation, comme remplissant les conditions légales posées par les articles 21-23 et 21-24 du code civil ; "
Je pense que l'affaire ne va pas en rester là, logiquement Mme A. devrait aller devant la CEDH, qui mettra en oeuvre sa théorie de la proportionnalité.
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Voilà les considérants, rien ne remplace la décision elle même, que tout le monde peut consulter gratuitement sur légifrance, décision 286798 du 27 juin 2008.
" [...] Considérant qu'aux termes de l'article 21-2 du code civil, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : « L'étranger... qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de deux ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration, la communauté de vie n'ait pas cessé entre les époux et que le conjoint français ait conservé sa nationalité » ; qu'aux termes de l'article 21-4 du même code : « Le Gouvernement peut s'opposer, par décret en Conseil d'Etat, pour... défaut d'assimilation, autre que linguistique, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger dans un délai d'un an. » ;
qu'enfin, aux termes de l'article 32 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité : « Lorsque le Gouvernement veut s'opposer par décret en Conseil d'Etat, pour indignité ou défaut d'assimilation autre que linguistique, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger d'un conjoint de nationalité française, le ministre chargé des naturalisations notifie les motifs de fait et de droit qui justifient l'intention de faire opposition... » ;
[...]
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, si Mme A possède une bonne maîtrise de la langue française, elle a cependant adopté une pratique radicale de sa religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment avec le principe d'égalité des sexes ;
qu'ainsi, elle ne remplit pas la condition d'assimilation posée par l'article 21-4 précité du code civil ;
que, par conséquent, le gouvernement a pu légalement fonder sur ce motif une opposition à l'acquisition par mariage de la nationalité française de Mme A ;
Considérant que le décret attaqué du 16 mai 2005 n'a ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté religieuse de l'intéressée ;
que, par suite, il ne méconnaît ni le principe constitutionnel de liberté d'expression religieuse, ni les stipulations de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
[...] Mme A n'est pas fondée à demander l'annulation du décret du 16 mai 2005 lui refusant l'acquisition de la nationalité française ; "