Il y a des moments où on se demande si on doit donner un conseil. En l’occurrence dans ce billet, il sera donné un conseil à Jean-Luc Mélenchon qui pourrait l’inciter à se présenter tout seule dans son coin à la présidentielle. Merci à lui de lire jusqu’au bout.
Avez-vous vu l’incroyable vidéo de Bernie Sanders qu’a diffusé Regards ? Face au trumpisme réellement existant (comme on parlait du communisme réellement existant à propos de l’horreur des totalitarismes de l’Europe de l’Est) il appelle à « stand up and fight back » (« Lève-toi et riposte », plus littéral mais plus mobilisateur que le « Fais face et bats toi » choisi par Regards).
Les vieux sages sont cools
Pour la deuxième fois en un mois, en voyant cette vidéo, un souvenir m’est revenu en tête. Noël Mamère venait de quitter son dernier mandat, je ne sais plus si c’était celui de député ou de maire, et nous prenions un café Place de la République. Je lui disais ma certitude que tout commençait pour lui car les gens écoutent les sages. La période est stressante (vous avez déjà la liste) et pour avancer des idées osées comme la changement de paradigme de l’écologie, ce doit être fait par une figure rassurante. Les gens adorent les vieux sages. Laissons de côté le contre-exemple absolu de l’Abbé Pierre mais pensons à hier Albert Jacquard, Théodore Monnod, René Dumont, Serge Moscovici, Pierre Rabhi, Edgar Morin... qui ont plus fait avancer l’écologie que beaucoup d’étoiles filantes et virevoltantes de l’écologie.
C’est là que le conseil peut être mal compris. Mélenchon a un boulevard s’il accepte d’être un vieux sage. Mais il y a vieux sage et vieux sage : Staline et Mao jouaient aussi à ça. Et c'est là que Bernie Sanders nous donne une leçon et même plusieurs.
Les vieux sages sont sages
Dans vieux sage, il y a vieux. Bernie Sanders ne cache pas qu’il est vieux. Il a le regard un peu fixe, il est un peu voûté, ses cheveux sont blancs et personne n’a effacé au montage ses bruits de bouche, bref il est vrai. Or, un truc m’intrigue dans les images de Jean-Luc Mélenchon depuis quelques mois. Il semble escamoter son petit ventre, sa coupe de cheveux est bizarre comme cachant une calvitie et il surjoue la vitalité. Bref, il cache qu’il est vieux. On s’en fiche ? Non, parce que d’abord ça ne fait pas vrai, et c’est embêtant pour un dirigeant politique dont les adversaires inventent qu’il aurait un agenda caché : antisémite, communautariste, etc. Je ne mets pas autoritaire dans la liste car j’ai un doute là-dessus quand je vois sa façon de traiter la presse et ses opposants internes et externes de gauche. Et, on ne s’en fiche pas, et ce n’est pas sans rapport à la question autoritaire, car ça dit une difficulté de fond à faire place à la fragilité, à la non-puissance, à l’imperfection et ça pour un écologiste et un chrétien c’est rédhibitoire.
Les vieux sages sont sages
Ensuite dans vieux sage, il y a sage. On ne va pas développer. Quand dans ses fins de campagne – ah le discours de Marseille, me disaient un gendarme à la retraite et son épouse élue catholique dans une municipalité de centre droit – il fait le vieux sage, il élargit son audience. Mais il retombe ensuite dans ses travers sectaires. On pense que c’est un défaut de caractère (et sans doute cela en rejoint-il un). A moins que ce soit un vieux truc trotskyste (les Indigènes de la République font la même chose) : alterner sectarisme agressif pour réunir son camps puis la sagesse pour élargir son socle puis à nouveau sectarisme agressif pour ne garder que les purs et durs (« le parti se renforce en s’épurant », Lénine) qu’on a péché dans la période sage. Puis front unique et sage pour rouvrir le filet, etc. Mais le problème, c’est que les gens ont plus de mémoire qu’on ne croit et ça laisse surtout l’impression qu’il n’est pas stable personnellement et donc politiquement. Le contraire du vieux sage rassurant, justement.
Les vieux ont (souvent) des petits enfants
L’autre occasion où m’est revenu en tête ce souvenir avec Noël Mamère, c’était les Voeux de la victoire de Lucie Castets et du NFP à Pantin le 29 janvier. Noël Mamère était là, animant un atelier et prenant la parole. Il était le vieux sage de la soirée. Mais il ne se présente pas à la présidentielle, alors qu’il a à peine trois ans de plus que Mélenchon. Il soutient Lucie Castets qui pourrait être sa petite fille, s’il lui avait donné naissance à 19 ans, ce qui reste encore courant dans les milieux populaires (c’est à peu prés la différence d’âge entre mon père et ma plus grande fille). Comme Bernie Sanders tout en étant présent – mais comme un vieux député sage – laisse en première ligne Alexandra Octavio Cortez. Quand on est un pépé (et j’en suis un), on est au service de la croissance de sa petite fille.
Et enfin la dernière leçon de Bernie : il se présente aux primaires du Parti démocrate. Il n’essaie pas d’imposer sa candidature de l’extérieur, il joue collectif, et d’ailleurs, tout le message de Bernie – qui est en soit une illustration à faire de la politique comme un syndicat – est axée là-dessus : unissez vous, organisez vous, contre-attaquez, faites reculer l’adversaire, gagnez de nouveaux droits.
Sages radicalisés
Et moi qui n’aime pas la sagesse, les niaiseries du genre « J’ai cherché le soleil et je ne l’ai pas trouvé, jusqu’à ce que je comprenne qu’il était en moi » (Lao Tseu ? Christophe André ? Philippe l’artiste ?), qui trouve que quand même Les Proverbes est le livre le plus bête de la Bible, j’aime ces vieux sage qui ont compris que si que nous sommes en colère – comme c’est évident quand on voit Bernie Sanders et hier René Dumont – que si notre révolution sera radicale, elle sera aussi tranquille, aimante et rassurante, pour construire ce que Martin Luther King appellait la communauté fraternelle (adelphe) de demain. Avec Jean-Luc Mélenchon en vieux sage main dans la main avec Noël Mamère.