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« L’objet qui parle » est la grimace d’un visage qui ne contient aucune sémiotique, un objet hyperbolique, rire de mort. Tout corps psychotique sait que l’« objet » fabriqué par la psychanalyse et la psychiatrie est un clown dont ce même corps performe le grotesque. La doctrine qui impose l’idée qu’il n’y a pas d’objet pour un corps psychotique, comme il n’y a pas de sujet parlant pour celui-ci, est inconsistante pour de tels corps. Truth lies beyond. L’objet, pour le corps psychotique, est comme l’œdipe pour le corps névrosé, une représentation incorporée au forceps. Ce n’est pas qu’il n’y a pas d’objet, c’est que l’idée même de cette chose est vide. Le corps psychotique n’a nul besoin d’objet pour se faire valoir en tant que corps, même par un manque dont il serait le sujet négatif. Il est autre, ailleurs. Il est xeno-objectum, comme il est xenomorphe. Le corps psychotique est un seuil de destruction où l’opposition entre extérieur et intérieur n’a aucune prise. Aucun soin préconisé de ce côté, sauf à adopter la correction normative et autoritaire afin d’incorporer cet objet étranger à son biotope. Ce que certain.e.s appellent la « guérison ». L’objet est une ventriloquie désirante du discours de l’autre qui prétend savoir.
Ce corps-là est coûte que coûte mis au cœur de la machine objectivante, par les institutions qui sont censées l’accompagner dans une vie sociale excluante car baignée dans l’ignorance la plus paresseuse, la reconnaissance la plus opportuniste, la bêtise culturelle.
La culture du sujet, le culte de l’identité ont intériorisé le corps. Le corps parlé-parlant-tralala, fureur vocale des forces de la vie, charabia démonique, ouverture cosmique, fut l’objet d’une des plus grandes croisades biopolitiques de l’Occident. L’hérésie est encore le nom de ce corps-psyché à vue, extraverti, pornographique, délivrant à la surface de sa chair les monstrations des mouvements de l’inconscient, les supernove de la galaxie. Âme atomique autant qu’images diffractées des films gores interminables de la machine invisible. L’impudeur est son langage, la grossièreté est sa langue. Tout est son contraire.
De cette linguistique anale, lieu des tensions extrêmes de la contradiction, les producteurs d’objet en font des tonnes. Comme si ce qui dérange habituellement aux entournures de leur propre digestion, était de meilleur goût ici. Désodorisant la matière-même de certains de ces corps les plus en vue, exhibant leur effets comme des trophées de bienséance pour des prix de littérature scandaleuse. En auraient-ils fait autant avec leurs propres résidus, qu’ils s’en seraient trouvés ridicules et ridiculisés. L’exhibition est bien plus jouissive chez les autres. Car c’est le propre de l’objet, que d’être montré pour mieux voilé le corps du maître qui le porte en triomphe de sa gloire conceptuelle. Mais il n’est pas donné à tous les corps de travailler la chair, de se frotter à son incandescence. Le corps-objet n’a que faire du ridicule et de la gloire. Au mieux, il s’en fait les compagnons des vives pulsations de la chair. Pur plaisir musculaire qui viendra atomiser tout orgueil qui voudrait s’incruster dans ce corps impersonnel.
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La course à la manchette la plus honorable organise une pensée du bien dire, parole plombée par le poids des titres honorifiques aussi longs que le texte qu’ils paralysent dans des effets de contentions séductrices et autoritaires. Ou parole doucereuse au sourire d’ange, invoquant le nom même du corps, imitant le corps, le noyant dans les effluves d’une littérature à bon compte, pourvoyeuse de références d’Épinal. Il faut réfréner l’hémorragie, suturer la chair cristalographique qui spectralise le langage. Y puiser les aspérités insufflées, y couper le souffle d’une morsure éternelle, avide de corps vidés afin d’y liquider la dernière goûte et d’y décharger les semences d’une linguistique aseptique, managériale, fantasmatique, insipide.
Mais le corps psychotique est déjà un tombeau de tous les objets qu’on lui jette à la gueule, autant qu’on tente de lui inscrire à même la chair. Taxidermie dont la putréfaction infinie résiste à toute tentative de soudure, jusqu’au décollement de la chirurgie réparatrice qu’on lui impose. Son visage reste béant derrière les sémiotiques baveuses qui lui tiennent de paravent cosmétique, afin de rassurer les terrorisés de l’expérience sans objet.
Ce corps est un.e travesti.e à temps plein. Péripatéticien.ne des trottoirs de la nécromancie condamnée sur l’autel du scientisme à l’épreuve du marché. Ratage toujours magistralement exécuté de la copie originale dont il désocle la légitimité. Parole de chair délivrant un playbac asynchrone des néologismes de la pharmacopée taxinomique, performés habituellement par des corps fatigués, dilapidés, flétris dans leur certitudes apeurées.
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Jusqu’à la névrose délirante, ces vampires de l’identification menacent, harcèlent et biffent le corps pour y abandonner les reliques de leurs progénitures conceptuelles sans saveurs, hydroalcoolisées, ritournelles déchues et obsessionnelles dont ils ne peuvent pourtant se défaire au risque de leur propre effondrement psychique. Cafards épouvantés par la coupure frénétique, ils excellent dans l’attaque envahissante, répétitive, en sourdine, persuadés d’un bon droit au nom d’une sainteté du sujet organisé malgré la vitesse du chaos qui le dépasse. L’incomplétude leur est insoutenable.
Le corps psychotique se transforme en corps psychopathique quand son délire se déchaîne en réfutations permanentes du harcèlement de la pharmacologie identitaire qui tente de cloisonner son imaginaire par l’injonction, par le commandement non discutable du nom propre. Qui es-tu ? Ce corps doit répondre à l’exacte objectivation qui lui est imposée. Tu répondras de ton corps à l’objet qui te fait tant défaut, et dont la médecine, la sociologie et la psychologie te livrent les rudiments à incorporer. Tu seras mon objet. Sous peine d’internement et de procédures de destitution de l’Ordre du langage. Tu ne parleras pas, tu ne seras même pas parlé, tu seras la chair de ma pensée, sacrifiée au nom de mon rayonnement conceptuel. Tu ne diras pas ton nom, tu seras le cabaret silencieux et résonant de mes catégories. Mon objet chéri.