Sur le site du syndicat des médecins généralistes (MG France), ces derniers ont la possibilité de télécharger deux affiches à l’adresse des patient.e.s, dans le but de communiquer sur les incivilités et les violences que subissent les secrétaires médicales.
Sur la page d’accueil du téléchargement, on peut lire en introduction : « Nos secrétaires sont soumises à une pression souvent inacceptable. Menaces, insultes, “on peut mourir”, sont devenues leur quotidien. Parfois même des violences physiques… Il est temps de remettre un peu de paix dans leur travail, dans leur intérêt, dans celui de nos patientèles… et dans le notre. Nous mettons ces affiches à votre disposition en téléchargement pour essayer de contribuer à ramener le calme. »
Voici les deux visuels en question que vous avez certainement vus chez votre médecin :
Agrandissement : Illustration 1
Agrandissement : Illustration 2
Dans l’une, on voit la gueule d’un chien menaçant montrant les crocs. Dans l’autre, un couple de goélands, dont un le bec ouvert que l’on imagine raillant (un des termes pour les vocalises du goéland). Sur les deux, une croix rouge barrant la gueule du chien et le bec du goéland. Ces deux images sont donc censées illustrer les patient.e.s auteurices d’incivilités, de menaces ou de violences envers les secrétaires comme l’indique la légende principale : « Incivilités, menaces, violences envers nos secrétaires : stop ! »
Dans une lecture de premier niveau, voici comment le syndicat imagine donc les patient.e.s à qui il s’adresse : comme à des animaux soumis à une sauvagerie indomptable. Nous sommes ici dans une illustration animalière de la doctrine de l’« ensauvagement » de la société promue politiquement d’abord par l’extrême droite, puis reprise par Gérald Darmanin, entre autres. En effet, la métaphore visuelle choisie par MG France pour identifier les patient.e.s réduit ces dernier.e.s à une animalité sauvage qui s’aggraverait au point de nécessité un message fort afin d’y mettre fin. Comme cette campagne s’adresse à tout.e.s, il faut considérer que l’ensemble des patient.e.s sont potentiellement des animaux violents ou menaçants à qui on ordonne de « fermer leur gueule ». Il existe donc dans cette communication un mépris évident vis-à-vis de la patientèle. On ne cherche pas ici à se faire des allié.e.s parmi des personnes censées, afin de constituer une entente cordiale dans le but d’examiner où se situe cette violence et de la résoudre, mais on émet une injonction à l’adresse de « bêtes » ensauvagées qu’il faudrait domestiquer.
Outre cette abjection en première lecture, qui devrait produire l’effet contraire qu’elle entend mettre en place (« remettre un peu de paix » et « ramener le calme »), car il y a fort à parier que les patient.e.s apprécieront peu d’être identifié.e.s à des caricatures sauvages, les images s’avèrent d’autant plus ridicules que le choix des animaux comme métaphore reste ambigu. Premièrement parce que le chien, un Husky de Sibérie en l’occurence, est plutôt réputé par les experts comme ayant une intelligence au-dessus de la moyenne, docile, non agressif, et gentil. Deuxièmement, parce que le choix du goéland semble être une erreur, le syndicat ayant confondu l’animal avec la mouette (le fichier téléchargé s’intitule « affiche-mouettes »), qui a la mauvaise réputation en général d’être bête et voleuse, en plus d’émettre des vocalises stridentes comparables à un rire.
Bien entendu, les incivilités, menaces ou violences envers les secrétaires médicales sont inadmissibles. Surtout quand on sait la pression qui s’exerce sur leur mission dans les conditions délétères que subissent les professions médicales en France depuis quelques années. Toutefois, je doute fort de l’efficacité de ce type de communication pour y mettre fin. Parce que la responsabilité de la pression exercée sur ce corps de métier est avant tout systémique, en vertu du contexte politique dégradé de l’accès au soin, notamment dans les déserts médicaux. Ce n’est pas de la seule responsabilité individuelle qui serait à imputer aux patient.e.s. Cette manière d’individualiser la responsabilité d’un problème est caractéristique d’une pensée néolibérale qui n’entend pas saisir l’aspect collectif d’une situation problématique. En effet, la première violence qui est à dénoncer est bien celle d’une politique et d’une organisation médicale qui ne se soucie plus et ne se donne plus les moyens de bien soigner sa population. On le sait, c’est l’institution qui est avant tout malade, c’est donc elle qu’il faut soigner collectivement. Mais comme dans toute organisation pyramidale, c’est le bas de l’échelle qui subit les plus violentes conséquences. Comment s’étonner alors que les patient.e.s et les secrétaires qui se trouvent aux confins de cette pyramide ne s’entrechoquent pas dans une incompréhension qui peut aller jusqu’à la violence.
Car dans ce contexte, ce dont nous parlons, ce sont des corps qui sont affectés dans leur plus profond intérieur. La maladie, quelle qu’elle soit, est une angoisse. Lorsque la société, sa politique et ses sciences ne sont plus en mesure d’apporter des réponses adaptées à ses corps malades, c’est la société dans son entier qui subit de la violence. Et cette violence fait parfois retour comme un boomerang quand les conditions ne sont plus réunies pour que l’acte et le message du soin, du haut jusqu’au bas de la pyramide, du politicien, en passant par les médecins, aux secrétaires, soient distribués jusqu’aux patient.e.s avec l’éthique la plus fine possible. Car ne nous trompons pas, les secrétaires, dans leur mission, sont aussi responsables du soin quand il s’agit de communiquer avec ces corps malades.
La métaphore de l’animal est en ce sens un point de compréhension, plutôt qu’un point antinomique comme entend nous le montrer ces affiches. Car ce que nous partageons avec les animaux non humains ce sont bien les affects, et la maladie en est un. La différence est que l’humain a conscience de ses affects, c’est même grâce aux affects qu’il acquiert une conscience. La philosophie occidentale nous en donne l’exemple depuis au moins Spinoza qui place les affects comme définissant l’humain. On parlera alors d’idée, d’affection, de perception.
Une communication s’adressant aux affects des patient.e.s, dans le but de créer des alliances plutôt que du mépris, aurait été plus efficace. Des alliances affectives pour que l’ensemble de la population comprenne les difficultés de la pratique de la médecine actuellement, afin que les solutions soient collectives et horizontales, plutôt qu’individuelles, verticales et autoritaires.