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On ne compte plus les crimes dont la psyché fut l’objet au cours de son histoire. Si la mort du sentiment de dieu la libéra du despotisme de la transcendance, encore hier, le marché s’offrait son cercueil à bas coût en un mauvais cynisme pailleté de sentimentalisme. Aujourd’hui, certaines sciences sont le jeu d’une triste parodie pornographique entre l’élan divin et la brillance de la toute puissance : à force de technologies de plus en plus intrusives, l’atomisme joyeux de la psyché semble pourtant s’évaporer en un clin d’œil sous l’enflure d’un retour optique de sa substance et de son fonctionnement. Emportée dans un hyperdoute catégoriel néo-augustinien, la psyché se vide alors de la météorologie brillamment monstrueuse et complexe qu’elle avait gagnée avec le temps en se sécularisant. Son archéologie est engloutie dans une marée de sables fins au doux nom de désert : la santé mentale ; où le temps et l’espace semblent repartir de zéro, à jamais.
Alors, chaque atome de la psyché se voit doté d’une nouvelle quantité, d’une postqualité, d’une néofonction, toutes vouées à des catégories confisquées et falsifiées de son histoire. Si Dieu n’est plus la patrie de la psyché depuis longtemps, son refuge dans une esthétique intempestive et joyeuse a été colonisé sous l’influence de deux régimes matériels et symboliques contemporains : celui des marchés économiques et des sciences. Ces deux régimes ont pour avantage une hégémonie et une obsession pour le premier prix à l’objectivité du monde, sa représentation aboutie. Nouvelle onction contre l’hystérie ambiante, ils deviennent les paravents à toute action politique. Le discours est pastoral, la geste est évangélique.
La sainte culpabilité originelle du sujet contre-nature reprend ses marques. Débarrassé de ses rituels ecclésiastiques troqués contre un solipsisme du désœuvrement, l’individu, entité abstraite, devenu plastique à souhait, se voit attribuer toute les charges de l’entreprenariat de son self. Il ne s’agit pas seulement de s’automodeler, mais aussi de s’autovaloriser. Et de s’astiquer dans les reflets de son miroitement autodéterminé. Tout écart à cette entreprise de conformation est catégorisé comme pathologique.
Les avancées actuelles des neurosciences et de la biologie qui décrivent un fonctionnement poreux du psychisme : de la prise de forme des synapses aux modifications de l’expression des gènes, s’effondrent dans une représentation close et prosaïque au bon goût salvateur. Bien que d’un côté, un paradigme de l’accident, de la sculpture et de la transformation, issu de ces connaissances et richement interrogé par la philosophie et l’anthropologie, rejoint celui de la métamorphose en tant qu’allégorie et trace symbolique du sujet jamais parvenu à ses fins, d’un autre, certain.e.s jouent au cartographes et aux conquérant.e.s, en annexant et simplifiant ces territoires de complexions, où pourrait se constituer pourtant des alliances territoriales bien plus brillantes et bénéfiques pour une politique de soutien à l’élan vital des corps dont ils pensent disposer.
De cette disposition, d’ailleurs, il s’agirait d’en parler.
Quiconque prétendrait disposer d’une image ou d’un langage de la vérité serait considérer comme un tyran et/ou un fou, à notre époque. C’est pourtant cette promesse qu’enjoint aujourd’hui la santé mentale : le corps doit se rendre disponible au service d’un nouveau rapport anthropologique à son incarnation, au nouveau processus qui transfigure sa chair : la délégation de son corps et de son imaginaire, les deux points cardinaux du processus, aux deux régimes de représentations et de discours que sont les marchés et les sciences.
Toute prise de pouvoir sur le corps et son imaginaire dans ces circonstances est un viol. Le réductionnisme neuro-comportemental que promet la santé mentale, et auquel sont livrées les personnes psychoatypiques, performé inlassablement, et jusqu’au harcèlement, s’impose alors comme un monopole sur la vérité de ce qui doit être exposé quant au fonctionnement de leur psychisme. Il devient ainsi un symptôme obsessionnel qui innerve les corps d’une violence objectivante, corps auxquels on accordera le statut de sujet qu’à se conformer aux systèmes de représentations qu’on leur impose (ce que l’on nomme « protocoles » dans le jargon). En l’espèce, les productions délirantes de ces personnes deviennent prétexte à ce que leur imaginaire fasse corps avec une vérité substantielle présentée comme supérieure parce qu’objective.
Une telle régulation du processus de l’incarnation des personnes psychoatypiques par un ordre hégémonique des marchés et des sciences, relève de l’entrave à la liberté fondamentale de tout sujet lui permettant de donner corps à son imaginaire. Pour autant que les instruments technologiques utilisées par les sciences aident à mieux décrire les fonctionnements du psychisme humain, les implications idéologiques de ces descriptions, à charge de ces agents, n’en sont pas moins traversées de désirs comme dans toute fabrication des sciences. L’objectivité que promet la santé mentale doit être sérieusement interrogée au regard de l’idée du sujet humain qu’elle désire fabriquer et imposer.
Les procédures réductionnistes promises par la santé mentale sont à chaque fois un coup dans le thorax et l’abdomen qui rompt le souffle. Quand il ne l’épuise pas totalement. Si la chair ne se suicide pas, le psychisme le fait très bien, par ailleurs. Ne reste alors qu’un corps délégué, asséché, sans désir, vidé de ses affects. Un mort-vivant. C’est-à-dire un corps dont on dénie l’accès à sa propre vérité en tant que sujet par son imaginaire, quand bien même (ou parce que) celui-ci aura été préalablement désigné comme délirant.