Silence radio. Le traitement médiatique accordé aux effets psychiques de la crise sanitaire liée au Covid-19 sur les personnes suivies en psychiatrie, s’il est pris en charge par quelques quotidiens, reste superficiel dans tous les cas. Non seulement parce qu’il y a peu d’articles, mais aussi parce que ces derniers reprennent peu ou prou un langage médical technique, sans distance sémantique, et qui alimente ainsi une représentation stéréotypée de la question du point de vue de l’autorité médicale. Il ne donne pas la parole aux « patients » et privilégie celle de l’institution. Les personnes ayant des singularités psychiques n’ont pas droit à la parole. Non qu’elles ne parlent pas, mais les rapports de forces dans la société ne favorisent pas la visibilité et la sonorité de cette parole. Encore moins maintenant. On parle à leur place. Cette parole est traversée par le pouvoir qui la musèle et la remplace.
Comme je le mentionnais, je n’ai pas accès à la totalité des articles sur la question, réservés aux abonnés, sauf dans Libération* (en accès libre pour un nombre d’articles limités). Toutefois, les titres et les amorces me font entendre cette absence de parole. De plus, ils annoncent deux tendances : l’une alarmiste, l’autre presque rassurante. C’est Libération qui rend compte d’un tendance « positive » en ces termes : « En psychiatrie, l’étrange calme pendant la tempête. » Le journal retranscrit la parole d’un médecin dans un établissement du Havre, Le Dr Jaut : « C’est impressionnant car les patients semblent supporter mieux que nous ces changements. On les prend pour de grands fous, mais ils s’adaptent. Nous, on a presque du mal avec le confinement, eux ont l’air moins inquiets. ». Ils ont l’air…
Il est intéressant de noter que ce qui s’imprime ici, c’est le sentiment du corps médical sur le vécu des personnes. Entre anxiété et étonnement face à une forme de sérénité, c’est la parole médicale qui transfère ces propres émotions et affects sur les fou.olle.s devenu.es des surfaces sensibles de projection.
Toutefois, dans le même article, le Dr Jaut conclut ainsi : « Reste que du point de vue de la préservation du psychisme de nos patients […] on attend la vague. Que va-t-il se passer la semaine prochaine ? Même si jusqu’ici tout va bien… ». Même son de cloche de la part du Dr Bruno Caron, en charge d’un CMP dépendant du centre hospitalier Alpes-Isère à Saint-Egrève, près de Grenoble : « Ce qui m’inquiète, c’est demain, l’état psychique des personnes à moyen terme. Il y en a pour qui nous sommes leurs seuls liens. C’est fragile… En tout cas, cela reste incroyable de voir comment on arrive tous à s’adapter. »
Le « calme » est donc relatif, et l’anxiété rejoint celle des autres articles plus alarmistes.
Ce calme avant la tempête, cette fêlure face à l’inattendu, est sans doute ce qui favorise encore plus l’anxiété, comme une anomalie dont la folie serait porteuse par nature. Jamais là où l’attend finalement.
C’est ce que je vis depuis le début de la pandémie et du confinement. Comment mon corps va-t-il réagir ? Vais-je atteindre le pic de non-retour de la décompensation ? Serais-je en mesure de prendre conscience des symptômes précurseurs suffisamment tôt, et pourrais-je avoir les moyens de réguler mon psychisme afin de ne pas sombrer ? De ne pas frôler encore une fois la mort psychique. Je suis étonné sans l’être vraiment. J’ai pris conscience que j’avais une certaine capacité à affronter des situations exceptionnelles qui demandaient une attitude sereine, surtout les évènements qui appellent à soutenir mes semblables, alors même que je peux m’effondrer face à une situation paraissant anodine pour les autres en général. J’ai compris que ce types de situations donnaient forme exacte en quelque sorte à une énergie en puissance qui traverse mon corps habituellement sous l’aspect d’un chaos. Cette formalisation réduit l’agitation car elle offre une part de réalisme absente dans l’angoisse habituellement. Comme si elle donnait raison à cette dernière. Comme une reconnaissance. Pour autant, elle a son côté obscur : une abnégation totale qui fera retour sous la forme d’une catatonie, me plongeant dans une raideur et une mobilisation insurmontable du corps.
J’ai fais le choix de rester avec mon compagnon, chez lui. Sachant que le partage permanent de l’espace de vie peut s’avérer une difficulté à un moment donné. Les silences et l'immobilité que mon système biochimique met en place lorsque que ma fatigue psychique s'installe, en guise de protection, généralement sans prévenir, ne sont pas de tout repos pour celui qui m’accompagne. Mes états agités, dérives physiques et psychiques, non plus. Il me faut parfois m’échapper. Toute résistance renforcerait la survenue de crises. C’est, dans touts les cas, plus confortable que le cloisonnement dans un établissement.
T. a appris à fabriquer des images et des mots sur mes comportements. Des images sensibles, souvent magiques et drôles. Des mots doux et tendres. Il est un soutien plus efficace que la linguistique médicale ou tout un arsenal de molécules qui réduisent l’imaginaire au néant. Je dois me battre avec le corps médical pour refuser ces molécules qui endorment l’imagination. Comme me battre avec toutes ces langues qui veulent m’imposer une représentation soi-disant objective de mon vécu psychique. Que ce soit la langue de la psychiatrie, de la psychologie, de la sociologie, des sciences cognitives, qui s’insèrent dans le langage courant et contaminent la liberté de dire et d’imaginer. Ces langues barbares et totalitaires.
À suivre…
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