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Billet de blog 10 mars 2024

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Ils ont relayé la propagande du génocide

Dès le 7 octobre, de nombreux acteurs français, dirigeants, politiciens et médias, ont repris sans apporter ni nuance ni question, la propagande israélienne qui justifie le génocide en cours

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

.Hind Rajab, 6 ans, tuée par un tir israélien avec sa famille à Gaza : « J’ai si peur, s’il vous plaît, venez ». L’appel au secours de la fillette, coincée sous les tirs israéliens, a été largement diffusé.

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Ils savent.

De nombreuses ONG rapportent depuis des années la colonisation croissante et les crimes israéliens. Par exemple ce rapport d'Amnesty publié en 2017, en dit beaucoup sur la situation des Palestiniens :

https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2017/06/Israel-Occupation-50-Years-of-Dispossession/

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Ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie est une telle abomination, c'est tellement une horreur vertigineuse, comment peuvent-ils tous se taire ? Et relayer en boucle la propagande qui permet le génocide ?

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Emmanuel Macron le 12 octobre 2023: "Israël a le droit de se défendre"

Certes, il ajoute "en préservant les populations civiles". Mais quand, durant tout son mandat, a-t-on entendu Emmanuel Macron dire, "les Palestiniens ont le droit de se défendre" ?

Après 75 ans de colonisation, face à l'augmentation continue des colonies illégales, face au blocus de Gaza depuis 2007, face aux exactions des colons, face aux arrestations et emprisonnements arbitraires, face à la pratique d'Israël depuis au moins 20 ans de traduire les adolescents mineurs palestiniens devant des Tribunaux militaires, face aux maltraitances sur les enfants palestiniens, face à la torture pratiquée en prison, face aux cas de viols rapportés par Amnesty, tout cela n'a jamais amené Emmanuel Macron à s'écrier publiquement : "Les Palestiniens ont le droit de se défendre !"

Sérieusement, en regardant le bilan d'Israël en terme de Droits humains au 12 octobre, Emmanuel Macron pouvait-il penser sérieusement qu'Israël aurait un tant soit peu le souci d'épargner les populations civiles?
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Élisabeth Borne le 10 octobre 2023 à l'Assemblée : "... nous nous tenons aux côtés d'Israël et sa population et les assurons de notre soutien total. Face au terrorisme et à la barbarie des attaques terroristes, ils ont le droit de se défendre : personne ne peut leur dénier ce droit."

Dommage qu’Élisabeth Borne n'en ait jamais dit autant concernant les Palestiniens.

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Le 7 février dernier lors de l'Hommage aux Français tués le 7 octobre, Emmanuel Macron a encore aidé la propagande génocidaire d'Israël en affirmant que l'attaque menée par le Hamas en Israël le 7 octobre avait été "le plus grand massacre antisémite de notre siècle".
Ceci, bien que l'accès au site des atrocités du 7 octobre ait été très longtemps rendu inaccessible par Israël à tout enquêteur indépendant, et que tout le monde sait désormais qu'une partie des victimes du 7 octobre ont été victimes de tirs israéliens. D'autre part l'antisémitisme est historiquement européen, les Palestiniens luttent contre un envahisseur colonial, et pas contre les juifs en général.

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Le si sympathique et si mal élu Meyer Habib (il a recueilli 10% des voix des inscrits de sa circonscription) député des Français de l'étranger (circonscription créée sur mesure par Sarkozy pour faire rentrer un représentant d'Israël à l4assemblée française), a tenter de faire passer un amendement assimilant l'antisionisme, la critique d'un état exclusivement juif, avec l'antisémitisme. L'amendement a reçu 44 voix Pour, 45 contre et 7 abstentions.

Députés qui souhaitaient assimiler l'antisionisme et l'antisémitisme (plusieurs d'entre eux font des voyages en Israël financés par le Lobby ELNET) :

Renaissance [11 députés ont voté pour l'amendement de Meyer Habib, 25 contre, sur les 169 députés du groupe]. Ont voté pour: Benoît Bordat, Françoise Buffet, Philippe Frei, Claire Guichard, Brigitte Klinkert, Patricia Lemoine, Sylvain Maillard, Lysiane Métayer, Emmanuel Pellerin, Anne-Laurence Petel, Caroline Yadan.

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LR [6 députés ont voté pour l'amendement de Meyer Habib, aucun contre, sur les 62 députés du groupe]. Ont voté pour: Valérie Bazin-Malgras, Francis Dubois, Pierre-Henri Dumont, Meyer Habib, Philippe Juvin, Éric Pauget.

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RN [27 députés ont voté pour l'amendement, aucun contre, sur les 88 députés du groupe]. Ont voté pour : Bénédicte Auzanot, Philippe Ballard, Christophe Bentz, Pierrick Berteloot, Emmanuel Blairy, Sophie Blanc, Frédéric Boccaletti, Victor Catteau, Edwige Diaz, Frédéric Falcon, Thibaut François, Frank Giletti José, Gonzalez, Jordan Guitton, Marine Hamelet Laurent Jacobelli Katiana Levavasseur Philippe Lottiaux Kévin Mauvieux Thomas Ménagé Julien Odoul Mathilde Paris Caroline Parmentier Kévin Pfeffer Lisette Pollet Jean-Philippe Tanguy Michaël Taverne

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Ils savent, ceux qui officient dans les chaines de télévision et les radios. Les médias français sont davantage au service de la propagande israélienne que ceux des autres pays.

Groupe TF1 (comprenant LCI, TMC) dont le Président Directeur Général est Rodolphe Belmer, France Télévision ( France 2, France 3, France 6, France 4 et France-info) dont la présidente-directrice générale est Delphine Ernotte Cunci, Altice TV apparteanant à une holding contrôlée par Patrick Drahi titulaire de multiples nationalités dont les nationalités françaises et israéliennes (comprend BFMTV dirigée par Marc-Olivier Fogiel , ainsi que BFM Business, BFM Paris, BFM Lyon, BFM Grand Lille, BFM Grand Littoral, et la télévision communautaire franco-israélienne i24news), Groupe Bolloré (CNews, Canal+, C8). 

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Pour ces politiciens, pour ces médias, aucun tort sérieux n'a été fait aux Palestiniens avant octobre 2023. Les évènements du 7 octobre sont ainsi présentés comme une guerre que le Hamas déclare brusquement, et sans raison, à Israël. Les personnes qui parlent ainsi à la télévision savent parfaitement qu'elle déroulent une propagande mensongère qui sert les intérêt d'Israël. Elles le font parce que c'est ce que leurs supérieurs hiérarchiques attendent d'elles. En faisant cela, ces gens cessent de faire un travail de journaliste et se mettent à faire un travail de propagandiste de la haine raciale israélienne contre les Palestiniens.

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Ces articles d'Acrimed décortiquent très bien les mécanismes des biais médiatiques et de la déshumanisation des Palestiniens par les médias français:

https://www.acrimed.org/Israel-Palestine-le-7-octobre-et-apres-1-un

https://www.acrimed.org/Israel-Palestine-le-7-octobre-et-apres-2-doubles

https://www.acrimed.org/Israel-Palestine-le-7-octobre-et-apres-3

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Des extraits des articles d'Acrimed sont repris plus bas.

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Cette remarquable vidéo de Blast montre parfaitement comment les médias français se sont mis au service de la légitimité du génocide mené par Israël :

https://www.blast-info.fr/emissions/2023/israel-palestine-comment-expliquer-ce-fiasco-journalistique-9SCeUAmFR_yVI2uGAivJAQ

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Cet article de l'AJAR (Association des Journalistes Antiracistes et Racisé·e·s) résume le traitement consternant de l'information sur la Palestine et déplore le racisme institutionnalisé des rédactions des médias français :

https://ajaracisees.fr/2023/11/10/couverture-de-la-guerre-israel-palestine-lajar-denonce-le-double-standard/

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Extraits des articles d'Acrimed:

L’idée que les massacres du 7 octobre furent un événement sans cause et sans explication s’est ainsi imposée, de même que l’idée selon laquelle le 7 octobre fut le début d’une « guerre » initiée par le Hamas : « La guerre entre Israël et le Hamas dure depuis bientôt trois mois. Tout a commencé le 7 octobre, par une attaque du Hamas sur Israël », apprenait-on ainsi le 2 janvier 2024 sur le site et dans un podcast de France Info ; « Venons-en maintenant au Proche-Orient, 100 jours hier que la guerre a commencé entre Israël et le Hamas après les attaques terroristes du 7 octobre », déclarait Nicolas Demorand, le 15 janvier, lors d’une interview de Dominique de Villepin dans la matinale de France Inter ; le 15 janvier toujours, dans un article publié sur le site du Monde, « l’assaut d’une violence inouïe mené par les hommes du Hamas, venant de Gaza [le 7 octobre 2023] » était qualifié « [d’]acte inaugural de la guerre » ; « La guerre a été déclenchée par l’attaque sans précédent du Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre, qui a entraîné la mort de 1140 personnes, en majorité des civils », pouvait-on encore lire sur le compte X de l’AFP le 21 janvier [7] ; autre exemple enfin sur le site de Ouest-France, où l’on a pu découvrir le 7 janvier une publication intitulée « La guerre entre Israël et le Hamas dure depuis trois mois, voici les dix dates clés du conflit », la première des « dates clés » étant… le 7 octobre 2023, « date de l’attaque sanglante du groupe islamiste palestinien » et début d’un « conflit qui oppose le Hamas à Israël ». Avant le 7 octobre, pas de « conflit » donc… [8]

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C’est ainsi, comme nous l’avions alors relevé, que le journaliste François Gapihan a pu déclarer, sur le plateau de son employeur BFM-TV le soir du 27 octobre 2023, alors que les bombardements redoublaient d’intensité, que les bilans faisaient état de plus de 7 000 morts à Gaza et que l’ONU appelait à un cessez-le-feu immédiat : « La Russie est l’agresseur dans le conflit en Ukraine. Israël actuellement est l’agressé depuis le 7 octobre. »

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Le narratif qui s’est imposé dès les premiers jours a donc été celui d’un État d’Israël qui « répond », en procédant à une « riposte », parfois à des « représailles », à une « contre-offensive » ou à une « réplique », ce qui a produit un effet de cadrage toujours à l’œuvre quatre mois plus tard. Les actions militaires d’Israël à Gaza, quelles qu’elles soient, continuent ainsi, aujourd’hui encore, d’être présentées comme participant d’une « riposte » : exemple – parmi bien d’autres – lors du journal de 8h30 de la matinale de France Info TV le 9 février où l’on a pu entendre « [qu’] Israël intensifie ses frappes sur Rafah en riposte aux attentats du Hamas le 7 octobre dernier ».

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 ... le fait de qualifier de « riposte » l’opération militaire israélienne confère une légitimité de principe à cette dernière, avec un État d’Israël qui « répond » à une « attaque » et qui, de facto, se défend. Nul besoin de faire preuve d’une grande imagination pour deviner ce qui se serait produit si, sur un plateau de télévision, un invité avait eu l’étrange idée de qualifier les attaques du 7 octobre de « riposte palestinienne à la violence de l’occupation israélienne ».

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Rien d’étonnant, au regard du traitement médiatique post-7 octobre, à ce que la formule « Guerre Israël-Hamas » se soit imposée et demeure, tant elle concentre les raccourcis et les travers du journalisme dominant [12]. En premier lieu, elle trace (littéralement) un trait d’égalité entre les protagonistes, donnant à voir deux acteurs en « guerre » l’un contre l’autre, faisant ainsi abstraction du monumental déséquilibre des forces en présence et mettant en équivalence, d’une part, un État doté d’une (puissante) armée régulière et, d’autre part, un groupe politique et sa branche armée. En deuxième lieu, en actant qu’Israël serait en guerre contre le Hamas, cette formule générique reprend à son compte, volontairement ou non, le narratif israélien selon lequel la vaste campagne militaire contre la bande de Gaza aurait pour objectif de neutraliser le Hamas, voire de le détruire, le reste n’étant que de regrettables dommages collatéraux. 

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Comme si, au cours des quatre derniers mois, les campagnes d’arrestations menées en Cisjordanie, à Jérusalem et en Israël n’avaient visé que le Hamas et non l’ensemble des militants – réels ou supposés – des organisations politiques et sociales palestiniennes. Comme si, malgré les évidences et les déclarations de certains dirigeants israéliens eux-mêmes, le seul objectif de « guerre » était la destruction du Hamas, et non de l’ensemble des infrastructures palestiniennes, voire de l’existence même d’une question nationale palestinienne.

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En qualifiant très majoritairement la séquence en cours de « Guerre Israël-Hamas », et ce quand bien même des nuances pourraient être apportées dans certains articles ou reportages, les médias dominants ajoutent la dépolitisation à la déshistoricisation (les deux phénomènes étant liés)

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il est en premier lieu frappant de constater à quel point la mise à distance a été à géométrie variable selon que les informations venaient de la partie israélienne ou de la partie palestinienne, un phénomène participant de l’adoption des doubles standards qui ont structuré, et structurent aujourd’hui encore, le bruit médiatique. Par « double standard », nous entendons ici la pratique par laquelle les critères de jugement ou d’appréciation – en général non énoncés – changent non en fonction de leur objet mais en fonction de l’individu ou du groupe sur lesquels ils portent.

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« L’attaque du Hamas », « selon le Hamas », « le ministère de la Santé du Hamas » : le nom de l’organisation palestinienne revient ainsi en boucle dans les grands médias. Mais cette omniprésence se double paradoxalement d’une spectaculaire absence : la parole est-elle donnée aux militants et dirigeants de ce Hamas dont on parle tant, afin que leur point de vue, aussi critiquable fût-il, soit entendu ? Après une recherche approfondie, nous n’avons en réalité trouvé aucune interview en tant que telle d’un membre du Hamas dans la presse écrite et/ou sur les sites des principaux journaux [6], tandis que du côté des radios et télévisions, une seule – étonnante – exception confirme la règle [7], avec une (très courte) interview de Bassem Naim, responsable des relations extérieures du Hamas à Gaza, diffusée sur BFM-TV le 5 novembre 2023 durant la tranche 18h-19h. Sur les 80 minutes de l’entretien réalisé, via Skype, par le journaliste Igor Sahiri, un montage d’environ une minute et 45 secondes (!) a ainsi été diffusé à l’antenne et mis en ligne sur le site de BFM-TV, encadré d’un propos introductif sur les conditions de l’interview (1’35’’) [8] et d’un commentaire – fort – critique d’Ulysse Gosset, « éditorialiste politique internationale » (1’20’’) [9]. Et c’est tout. Signalons ici que nous avons renoncé à comparer cette interview unique et ces 105 secondes avec le nombre d’interventions et le temps de parole de responsables des autorités civiles et militaires israéliennes, qui ont eu quant à eux micro ouvert pendant plusieurs semaines, notamment sur les chaînes d’information.

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nous avons ainsi pu trouver – liste non exhaustive – des entretiens avec de hauts responsables du Hamas du côté du New York Times, du Times, de The Economist, du New Yorker, du Corriere della Serra, du Temps ou encore de l’agence Associated Press, et également, dans l’audiovisuel, côté BBC, CBS, NBC, Sky News ou ABC [12]. Cette spectaculaire absence dans les médias français est une expression exemplaire des doubles standards à l’œuvre, et joue un rôle éminemment négatif du point de vue de l’information en laissant entendre que le Hamas n’a rien à dire et qu’il n’y a donc rien à comprendre, le mouvement apparaissant comme une organisation sans idées, sans programme, sans revendications, mais dont on rappelle en revanche, en permanence, le caractère « terroriste ».

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Ces extraits repèrent aussi de clairs mensonges qui permettent au génocide de se produire:

Caroline Fourest le 29 octobre 2023 sur BFM-TV [13], en réponse à une question du désormais incontournable Benjamin Duhamel portant sur la « guerre de l’information » entre Israël et les Palestiniens :

Les responsabilités journalistiques dans ces moments-là sont immenses. C’est-à-dire que quand on a une source unique terroriste [les autorités de Gaza] il faut le préciser, il faut savoir qu’il faut diviser les chiffres, si ce n’est par 5, au moins par 10 [sic]. Et néanmoins […] il ne s’agit pas de nier qu’il y a des pertes civiles aujourd’hui dans la bande de Gaza. [14]

Benjamin Duhamel, qui avait (timidement) fait remarquer un peu plus tôt que le bilan des autorités de Gaza « était repris régulièrement lors des précédents conflits sans que… pas grand-monde y voit euh… source à commentaires », ne commentera pas, ni n’interrogera son « invitée de la semaine » à propos de ses méthodes de calcul. Bien au contraire, sa « relance » sera la suivante : « Compte tenu des méthodes du Hamas que vous évoquiez, est-ce que la bataille est perdue d’avance pour Israël dans cette guerre de la propagande ? »

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Ces extraits dévoilent la manipulation de l'information

...les règles qui s’appliquent aux Palestiniens et à leurs soutiens – réels ou supposés –ne sont pas les mêmes que celles qui s’appliquent à l’État d’Israël et à ses soutiens – réels ou supposés. Ce qui est également particulièrement manifeste dans les interviews audiovisuelles avec, d’un côté, des invités se posant, à des degrés divers, en défense d’Israël, qui peuvent dérouler leur argumentation quand bien même certaines questions n’iraient pas dans le sens de leurs propos et, de l’autre, des invités se posant, à des degrés divers, en défense des Palestiniens et à qui l’on oppose systématiquement des contre-arguments (de plus ou moins bonne foi), quitte à les interrompre voire à les empêcher de s’exprimer.

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 sur l’antenne de BFM-TV le 10 octobre 2023. Olivier Rafowicz, colonel de réserve et porte-parole de l’armée israélienne, avait alors pu s’exprimer en duplex sans être interrompu ou sans que ses propos soient commentés par les journalistes, même lorsqu’il déclarait : « Nous sommes en train aujourd’hui de frapper très durement la bande de Gaza. Ils peuvent pleurer, ils peuvent appeler au secours, rien n’y fera. » Quelques minutes plus tard, Ziad Medoukh, professeur de français gazaoui, également en duplex, subissait un sort très différent, avec en plateau un Maxime Switek tenant à contredire son interlocuteur lorsque ce dernier insistait sur le terrible bilan humain à Gaza : « Mais vous savez ce que répond Israël et l’armée israélienne. [...] Il y a ce discours-là aussi face à vous, qui est de dire : on ne vise pas les civils palestiniens, on ne vise pas les civils. Ceux que l’on vise, ce sont le Hamas. Le Hamas qui, d’une certaine manière, prend en otage la population palestinienne. » Et alors que Ziad Medoukh répondait au journaliste en évoquant notamment la « propagande israélienne », Maxime Switek enfonçait le clou : « Vous parlez de "l’armée d’occupation", Israël a quitté la bande de Gaza il y a maintenant 17 ans ou 18 ans me semble-t-il [16]… Merci beaucoup Ziad Medoukh d’avoir été en direct avec nous », le duplex étant brusquement interrompu.

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François Ruffin, également sur BFM-TV, le dimanche 15 octobre 2023. Alors qu’il était l’invité de l’interview dominicale de la chaîne (« BFM politique »), il a ainsi été interrompu à pas moins de 27 reprises en un peu plus de neuf minutes consacrées à la situation en Israël-Palestine, soit en moyenne une fois toutes les 20 secondes [17], se retrouvant dans l’impossibilité de formuler la moindre idée et le moindre argument. Deux semaines plus tard, Xavier Bertrand, élu LR, invité à la même émission, a été interrompu 12 fois en 16 minutes consacrées au même sujet, soit en moyenne une fois toutes les 80 secondes, soit quatre fois moins que François Ruffin, alors qu’il avançait des positions pour le moins… discutables : « Il faut éradiquer le Hamas » ; « Ça sera eux ou nous » ; « Un cessez-le-feu permettrait au Hamas de se structurer davantage encore » ; « Le Hamas a commis les pires atrocités qu’on n’ait pas vu depuis la Shoah » ; « [Le Hamas] utilise la population palestinienne comme bouclier humain » ; « [Les victimes civiles à Gaza] sont les victimes du Hamas » ; etc. Signalons en outre que les interruptions ont été non seulement beaucoup moins nombreuses mais aussi beaucoup moins virulentes, donnant à voir des doubles standards à la fois quantitatifs et qualitatifs…

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Cette manipulation de l'information vise à faire intégrer à l'audience que "toutes les vies et/ou toutes les morts ne se valaient pas":

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- Pensée de Raphaël Enthoven : Il y a une différence à faire entre des gens, des civils qui sont assassinés dans la rue par des commandos islamistes, qui débarquent dans les villages pour brûler les maisons, et les victimes collatérales de bombardements consécutifs à cette attaque. Je pense qu’il faut marquer cette différence, que c’est même très important de la faire. Là encore, ça n’est pas commensurable. [Sur le plateau : « Hélas à la fin c’est des enfants qui meurent »] Bien sûr. (BFM-TV, 10 octobre 2023)

- Question de David Pujadas : Est-ce que je peux vous poser une question très délicate, mais au fond, est-ce qu’il n’y a pas le sentiment chez certains que les civils à Gaza seraient, peut-être pas complices, mais voyez, comme on le dit des Russes... Souvent, on entend dire des Russes, de la population russe : « Bah, il y a des manifestations, ils ne sont pas beaucoup descendus dans la rue, qu’est-ce qu’ils font pour contester Poutine, on n’a pas le sentiment que le sort de l’Ukraine vraiment les préoccupe beaucoup. » Est-ce qu’on est là dans ce même cas de figure ou est-ce qu’il faut dire « Un civil à Gaza, c’est la même chose qu’un civil en Israël » ? (LCI, 11 octobre 2023)

- Conversation entre Christophe Barbier (C. B.) et Olivier Truchot (O. T.)  :
C. B. : [On ne peut pas] mettre sous le même vocable, comme l’a fait Mathilde Panot, le vocable de « crime de guerre », ce que fait l’armée d’une démocratie, Tsahal, ce que fait l’armée d’Israël, et qui est une action militaire et qu’il faut surveiller et contrôler parce qu’il peut toujours y avoir des bavures, et de l’autre côté des actes terroristes. Mettre dans ce fourre-tout des actes qui sont consubstantiellement différents. Non seulement au regard du droit mais au regard de la philosophie et de la morale…
O. T. : D’un côté des actes de barbarie qui tuent des civils délibérément, de l’autre il y a des victimes civiles certes mais qui sont des dommages collatéraux on va dire.
C. B. : Voilà. C’est une chose de tuer des civils voire des enfants dans un bombardement, parce que la guerre c’est ça, toutes les guerres c’est ça, et puis de l’autre côté de rentrer dans une maison, de voir un enfant dans un berceau et de froidement le tuer, c’est pas la même chose. (BFM-TV, 23 octobre 2023)

- Vérité de Caroline Fourest [Face aux acquiescements de Benjamin Duhamel]  : On ne peut pas comparer le fait d’avoir tué des enfants délibérément, en attaquant comme le fait le Hamas, et le fait de tuer des enfants involontairement comme le fait Israël. Cette différence-là ce n’est pas pour dire que c’est plus grave ou moins grave qu’un enfant meure d’un côté ou de l’autre. Un enfant qui meurt c’est toujours grave, c’est grave pour sa famille, c’est grave. Mais en revanche refuser cette distinction intellectuelle et morale entre l’intention de tuer pour attaquer [sic] quelqu’un en raison de qui il est, ce qui est un acte raciste, ce qui est un pogrom, et encore une fois bombarder pour se défendre, au risque de tuer des civils ça n’est pas la même démarche, ça n’est pas la même intention et c’est normal que ça n’entraîne pas exactement les mêmes réactions. Ça entraine de la tristesse mais ça n’entraine pas exactement les mêmes commentaires et c’est normal parce que ça n’est pas la même chose en réalité. (BFM-TV, 29 octobre 2023)

- Illumination d’Abnousse Shalmani (chroniqueuse à L’Express et sur LCI)  : L’armée israélienne fait tout pour éviter de massacrer des civils, c’est des dommages collatéraux. […] Entre des terroristes qui viennent sur un territoire et qui volontairement tuent des femmes, des hommes, des vieillards, des enfants, mais parce qu’ils sont juifs, et une armée qui essaie d’éviter au maximum de tuer des civils mais qui sont utilisés comme boucliers humains par le Hamas c’est quand même pas la même chose. Ça donne le même mort [sic] et les morts ont tous la même valeur mais l’armée israélienne ne va pas massacrer des civils. (i24News, 13 février 2024)

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Le silence assourdissant des hebdomadaires à propos de Gaza participe des doubles standards que nous étudions ici et se révèle être, en définitive, l’un des symptômes d’un processus d’invisibilisation de la petite bande côtière assiégée et bombardée et, plus globalement, des Palestiniens.

Le début de la « deuxième phase » de la campagne militaire d’Israël contre Gaza le 27 octobre 2023 avait été l’occasion d’une confirmation de ce phénomène, avec la multiplication des interventions affirmant ou laissant entendre que, jusqu’alors, Israël n’avait pas réellement attaqué Gaza [1] :

- Ronald Guintrange (journaliste à BFM-TV), le 27 octobre 2023 : « La contre-offensive israélienne a-t-elle véritablement débuté ? […] Cette réplique israélienne, est-ce qu’on s’en rapproche désormais ? »

- François Gapihan (journaliste à BFM-TV), le 27 octobre 2023 : « Pour vous, il semble illusoire [...] de pouvoir protéger d’une quelconque manière les civils dans la bande de Gaza et dans la perspective d’une réponse majeure d’Israël qui commence actuellement peut-être ? »

- Article sur le site de France Info, le 29 octobre 2023, à propos d’une famille gazaouie : « Ils étaient coupés du monde depuis vendredi 27 octobre, 17h30, lorsque l’armée israélienne a commencé à pilonner la bande de Gaza. »

- Camille Diao (animatrice de « C ce soir »), le 30 octobre 2023 : « [...] Est-ce que ce qui se passe à Gaza depuis trois jours vous semble être dans le cadre d’une riposte légitime, justifiée, proportionnée ou est-ce qu’on est-ce qu’on est en train d’assister à ce que j’appelais le début d’une fuite en avant ? »

- Benjamin Duhamel (BFM-TV) ne réagit pas face à un Xavier Bertrand qui déclare en interview le 28 octobre « [qu’]Israël, ce n’est pas trois jours après qu’ils sont intervenus, c’est trois semaines après ».

Rappelons qu’à la date du 27 octobre 2023, 7 000 Palestiniens avaient été tués en trois semaines de bombardements sur Gaza, que Médecins sans frontières avait expliqué que « malgré les annonces d’Israël laissant penser qu’il existe des lieux sécurisés pour la population prise au piège dans la bande de Gaza, elle est en réalité exposée aux bombardements dans l’ensemble du territoire » (14 octobre)

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Si tous les grands médias ne sont évidemment pas à loger à la même enseigne, nos observations nous amènent toutefois à constater que le phénomène d’invisibilisation de Gaza et des Palestiniens a été rapide et massif, et que la longue tragédie de Gaza – toujours en cours – a très rarement fait la Une, le sujet Israël-Palestine étant quant à lui peu à peu relégué au second plan sans que cela corresponde à une quelconque « accalmie » sur le terrain. Ce que confirme par exemple notre étude des Unes de quatre grands quotidiens (Le Monde, Libération, Le Figaro, Le Parisien) sur la période allant du 9 octobre au 18 février, soit un total de 452 éditions [2].

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... Nicolas Demorand avec la question suivante : « Il y a une semaine Israël annonçait que la phase intensive des combats se terminerait bientôt. Ce matin, on apprend que 21 soldats israéliens ont été tués hier, bilan quotidien le plus lourd depuis le début de la guerre. Qu’est-ce que cela dit, Frédéric Encel, quelle lecture faites-vous de la situation ? » Un choix pour le moins significatif, a fortiori lorsque l’on sait qu’à aucun moment de l’interview le bilan humain à Gaza (qui s’élevait alors à plus de 25 000 morts) ne sera mentionné.

Invisibilisation volontaire de la souffrance des Palestiniens :

u 4 au 15 février 2024 à la mi-journée, Arrêt sur images a visionné les JT de 13h et 20h de TF1 et France 2, pour un total de 46 JT et près de 30 heures d’antenne. Là encore, le constat est sans appel :

Dans les deux journaux de TF1, comme dans les 13 heures de France 2, le sort des Gazaoui·es ne fait l’objet d’aucune séquence dédiée, que ce soit avec un reportage ou en plateau. Et aucun journal, d’aucune chaîne, n’a indiqué sur cette période de bilan chiffré du nombre total de morts à Gaza, plus de 28 000 à ce jour. Deux séquences font exception, toutes deux diffusées dans le 20 heures de France 2 pour un total de 5 minutes d’antenne.

Une absence de Gaza et des Palestiniens d’autant plus notable que, dans le même temps, « les otages israélien·nes, ainsi que les annonces de l’État hébreu, bénéficient d’une couverture médiatique […] [pour un total d’]un peu plus de 26 minutes consacrées aux otages du 7-Octobre ou à des informations venant d’Israël. »

Célia Chirol, doctorante en sociologie des médias et créatrice du blog « À la télévision sur ma télévision », ... a observé les JT de 20h de TF1, France 2 et M6 dans la période du 8 au 14 janvier 2024

Sur les 20 JT analysés, seulement 29 secondes de temps d’antenne ont été consacrés à Gaza et au sort des Palestiniens. Plus en détails, cela donne 5 secondes pour TF1, 10 secondes pour M6 et 14 secondes pour France 2. […] Le nombre de morts palestiniens n’est indiqué qu’une seule fois par France 2 et il est approximatif de « plus de 23 000 morts ». Passée cette demi-minute, le terme « Gaza » n’est mentionné qu’à trois autres reprises dans notre analyse, uniquement lors des sujets sur les bombardements américains et britanniques sur le Yémen, le 12 janvier. À noter que ces mentions ne sont que le fait de reprises des déclarations des Houthis.

Et plus loin :

Gaza et les Palestiniens n’ont pas de sujet consacré. Ces 29 secondes sont toutes extraites de sujets plus larges sur les 100 jours dits de « guerre entre Israël et le Hamas » dans chacun des journaux et dont la plus « grosse » partie se concentre sur l’hommage fait aux otages à Tel-Aviv.

Au total, sur la période observée, ce sont 5 minutes d’antenne, soit dix fois plus de temps, qui ont été consacrés à Israël et aux Israéliens, notamment les otages à Gaza mais aussi à des « civils » ayant décidé de s’armer, suivis et interrogés lors d’un reportage dédié, lequel fut annoncé par Anne-Sophie Lapix dès les titres du JT du 8 janvier 2024 : « Traumatisés par les attentats du 7 octobre, les Israéliens se ruent sur les armes. Ils sont 260 000 à avoir demandé un port d’arme pour se défendre en cas de nouvelle attaque. » Saisissant contraste.

...invisibilisation globale des Palestiniens comme individus et comme peuple, qui participe, en définitive, d’un processus de déshumanisation, entendu comme un phénomène par lequel le traitement réservé à un individu ou un groupe d’individus les place, intentionnellement ou non, aux marges, voire à l’extérieur de l’humanité, 

...

Un impensé colonial qui imprègne les chefferies médiatiques à un point tel qu’il est de plus en plus dénoncé, y compris au sein de certaines rédactions et par des collectifs comme l’AJAR (Association des journalistes antiracistes et racisé-e-s).

Ainsi, les audiences des 11 et 12 janvier à la Cour internationale de justice, durant lesquelles l’Afrique du Sud puis Israël ont exposé leurs arguments, n’ont donné lieu, d’après les observations de Célia Chirol déjà citées, à aucune couverture dans les JT de 20h de TF1, France 2 et M6 : ni sujet ni reportage ni même mention en plateau, avec donc un temps total de… 0 seconde. Pas davantage d’initiatives du côté des chaînes d’information (BFM-TV, LCI et France Info) qui ont fait le choix de soigneusement ignorer la retransmission en direct, le 11 janvier, de la plaidoirie de l’Afrique du Sud, France Info se singularisant le lendemain par une couverture en direct de la plaidoirie d’Israël… Vous avez dit deux poids, deux mesures ?

Rebelote le 26 janvier, jour du rendu du verdict de la CIJ, qui a jugé recevable la plainte de l’Afrique du Sud et formulé diverses préconisations face à un « risque génocidaire » [15], verdict qui n’aura par exemple fait l’objet que d’une brève de moins de 10 secondes au 20h de France 2. Quant aux chaînes d’information « en continu », elles n’ont là encore pas jugé bon de diffuser en direct le rendu de la CIJ, contrairement à nombre de leurs homologues « occidentales », de CNN à la BBC en passant Sky News et Fox News, toutes en « édition spéciale » [16].

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