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Billet de blog 27 novembre 2023

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A Gaza une guerre génocidaire avec la complicité de l'occident

Je relaie ici l'article de l'Universitaire Saree Makdisi, professeur d’anglais à l’Université de Californie de Los Angeles (UCLA). Publié sur le site Contretemps.

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Illustration 1

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Dans cet article du 31 octobre dernier sur le site Contretemps, l’universitaire palestinien Saree Makdisi analyse les ressorts de la guerre coloniale de type génocidaire que mène Israël contre les Palestiniens de la minuscule bande de Gaza.

Il revient sur la couverture déshistoricisante des événements récents par les médias occidentaux qui reconduisent et fixent un racisme anti-arabe manifeste justifiant en creux l’anéantissement de Gaza, c’est-à-dire l’étouffement, le meurtre et le déplacement de plus de 2 millions d’êtres humains. 

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EXTRAITS

L'article intégral est ici : À Gaza, une guerre génocidaire avec la complicité de l’Occident

Récemment, un ami australien et palestinien a été invité sur la chaîne de télévision nationale australienne pour discuter de la situation dans et autour de Gaza[1]. Ses intervieweurs blancs lui ont posé toutes les questions habituelles : Pouvez-vous défendre ce que nous avons vu de la part des militants du Hamas ? Est-ce qu’une telle violence aide la cause palestinienne ? Comment peut-on défendre le massacre de jeunes amateurs de musique lors d’un festival ? Défendez-vous le Hamas ?

... mon ami a rapidement fait basculer l’interview : « Je veux savoir pourquoi je suis ici aujourd’hui, et pourquoi je n’ai pas été invité au cours de l’année écoulée », a-t-il dit gentiment.

À la veille du 7 octobre, a-t-il souligné, les forces israéliennes avaient déjà tué plus de deux cents Palestiniens depuis le début de l’année 2023. Le siège de Gaza date de plus de seize ans et Israël opère en dehors du droit international depuis soixante-quinze ans. 

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La « normalité » en Palestine, c’est un meurtre par jour – mais un meurtre par jour dans le cadre d’une occupation vieille de plusieurs décennies, ce n’est pas vraiment une nouvelle ; cela ne justifie certainement pas une interview en direct sur une chaîne de télévision nationale.

À présent, les Palestiniens sont invités à s’exprimer parce que les médias occidentaux s’en préoccupent soudainement, et ils s’en préoccupent (« comme nous devrions nous en préoccuper », a ajouté mon ami) parce que, cette fois-ci, les victimes comprennent des civils israéliens. Dans les jours qui ont suivi le 7 octobre, l’Australie a manifesté son soutien à Israël : le Parlement et l’Opéra de Sydney ont été illuminés aux couleurs du drapeau israélien [Note de Stephane M : en France, la Maire de Paris a illuminé la Tour Eiffel aux couleurs du drapeau israélien]; le Premier ministre a déclaré que les rassemblements pro-palestiniens devraient être annulés par respect pour les morts israéliens ; le ministre des Affaires étrangères a été critiqué pour avoir dit qu’Israël devrait s’efforcer de réduire au minimum les morts de civils à Gaza. « Qu’en est-il de nos vies ? », a demandé mon ami.

Que diriez-vous d’illuminer un bâtiment pour nous ? Lorsque notre gouvernement illumine tous les bâtiments en bleu et blanc, comment sommes-nous censés nous sentir [les Palestiniens australiens] ? Ne sommes-nous pas australiens ? Personne ne devrait se soucier de nous ? Un garçon de 14 ans a été brûlé vif en Cisjordanie par des colons israéliens. Qu’en est-il de nous ?

Les présentateurs ont été pris au dépourvu. Ce n’est pas ainsi que ces interviews sont censées se dérouler. 

Ceux d’entre nous, comme mon ami, qui sont convoqués par les médias occidentaux pour donner un point de vue palestinien sur le désastre qui se déroule à Gaza sont bien conscients qu’ils sont autorisés à parler à une condition : l’hypothèse tacite que la vie de notre peuple n’a pas autant d’importance que la vie des gens qui en ont. ..

Au cours des deux dernières semaines, j’ai discuté avec de nombreux journalistes de différents organes de presse. À de rares exceptions près, le schéma est le même, comme il l’est depuis des années. Une invitation récente sur une grande chaîne d’information câblée américaine a été annulée à la dernière minute, immédiatement après que j’ai envoyé les éléments de discussion que le producteur m’avait demandé de lui soumettre ; ce n’était manifestement pas les éléments de discussion qu’ils avaient à l’esprit. Pendant des années, j’ai figuré sur la liste des invités réguliers de la BBC pour des interviews à la radio et à la télévision concernant la Palestine, jusqu’à ce que, lors d’un précédent bombardement israélien de Gaza, je dise à l’intervieweur qu’il ne posait pas les bonnes questions et que les questions importantes avaient trait à l’histoire et au contexte, et pas seulement à ce qui se passait dans le moment même. Ce fut ma dernière apparition sur la BBC.

Comment peut-on rattraper sept décennies de déformations et de distorsions délibérées dans le temps imparti à un clip ? Comment expliquer que l’occupation israélienne n’a pas besoin de recourir aux explosions – ou même aux balles et aux mitrailleuses – pour tuer ? Que l’occupation et l’apartheid structurent et saturent la vie quotidienne de chaque Palestinien ?

Que les résultats sont littéralement meurtriers, même lorsqu’aucun coup de feu n’est tiré ? Les patients cancéreux de Gaza sont privés de traitements vitaux. Les bébés dont les mères se voient refuser le passage par les troupes israéliennes naissent dans la boue sur le bord de la route aux points de contrôle militaires israéliens. Entre 2000 et 2004, à l’apogée du régime israélien de barrages routiers et de check points en Cisjordanie, soixante et une femmes palestiniennes ont accouché de cette manière ; trente-six de ces bébés sont morts des suites de l’accouchement. Cela n’a jamais constitué une nouvelle dans le monde occidental. Il ne s’agissait pas de pertes à déplorer. Il s’agissait tout au plus de statistiques.

Ce que nous ne sommes pas autorisés à dire, en tant que Palestiniens s’adressant aux médias occidentaux, c’est que toutes les vies ont la même valeur. Qu’aucun événement ne se produit dans le vide. L’histoire n’a pas commencé le 7 octobre 2023, et si l’on replace ce qui se passe dans le contexte historique plus large du colonialisme et de la résistance anticoloniale, le plus remarquable est que, en 2023, on puisse encore s’étonner que des conditions de violence absolue, de domination, d’étouffement et de contrôle produisent à leur tour une violence effroyable.

Lors de la révolution haïtienne au début du XIXe siècle, d’anciens esclaves ont massacré des colons blancs, hommes, femmes et enfants. Lors de la révolte de Nat Turner en 1831, des esclaves insurgés ont massacré des hommes, des femmes et des enfants blancs. Lors du soulèvement indien de 1857, des rebelles indiens ont massacré des hommes, des femmes et des enfants anglais. Lors du soulèvement des Mau Mau dans les années 1950, les rebelles kenyans ont massacré des colons, hommes, femmes et enfants. À Oran, en 1962, les révolutionnaires algériens ont massacré des Français, hommes, femmes et enfants. Pourquoi s’attendre à ce que les Palestiniens – ou quiconque – soient différents ? Souligner ces faits, ce n’est pas les justifier, c’est les comprendre. Chacun de ces massacres est le résultat de décennies ou de siècles de violence et d’oppression coloniales, une structure  de violence que Frantz Fanon a expliquée il y a plusieurs décennies dans Les Damnés de la terre.

Ce que nous ne sommes pas autorisés à dire, en d’autres termes, c’est que si vous voulez que la violence cesse, vous devez mettre fin aux conditions qui l’ont engendrée. Il faut mettre fin au système hideux de ségrégation raciale, de dépossession, d’occupation et d’apartheid qui défigure et tourmente la Palestine depuis 1948, suite au projet violent de transformer une terre qui a toujours abrité de nombreuses cultures, confessions et langues en un État à l’identité monolithique qui exige la marginalisation ou l’expulsion pure et simple de ceux qui ne conviennent pas à cet État. Et si ce qui se passe aujourd’hui à Gaza est la conséquence de décennies de violence coloniale et doit être replacé dans l’histoire plus large de cette violence pour être compris, cela a atteint un sommet dans l’histoire du colonialisme. 

À tout moment, sans avertissement, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, n’importe quel immeuble de la bande de Gaza, densément peuplée, peut être frappé par une bombe ou un missile israélien. Certains immeubles sinistrés s’effondrent simplement en plusieurs couches de béton, les morts et les vivants étant ensevelis dans les ruines. Souvent, les sauveteurs crient « hadan sami’ana ? » (« est-ce que quelqu’un nous entend ? ») et en retour ils entendent les appels à l’aide des survivants au plus profond des décombres, mais sans équipement de levage lourd, tout ce qu’ils peuvent faire, c’est s’acharner sur les dalles de béton avec des pieds de biche ou à mains nues, en espérant contre toute attente pouvoir ouvrir des brèches suffisamment larges et permettre aux survivants ou aux blessés de sortir.

Certains bâtiments sont frappés par des bombes si lourdes que les boules de feu qui s’ensuivent projettent des morceaux de corps et parfois des corps entiers carbonisés – généralement, en raison de leur petite taille, ceux d’enfants – sur les quartiers environnants. Les obus au phosphore, amorcés par les artilleurs israéliens pour exploser avec des fusées de proximité de manière à ce que les particules incendiaires pleuvent sur une zone aussi large que possible, mettent le feu à tout ce qui est inflammable, y compris les meubles, les vêtements et les corps humains. Le phosphore est pyrophorique – il brûle tant qu’il a accès à l’air et ne peut être éteint. S’il entre en contact avec un corps humain, il doit être extrait au scalpel et continuera à brûler dans la chair jusqu’à ce qu’il soit extrait.

L’un des correspondants arabes d’al-Jazeera a récemment déclaré, en parlant par-dessus le bourdonnement omniprésent des drones meurtriers d’Israël : « nous vivons enveloppés dans l’odeur de la fumée et de la mort ». Des familles entières – vingt, trente personnes à la fois – ont été décimées. Les amis et les parents qui prennent désespérément des nouvelles des uns et des autres découvrent souvent des ruines fumantes là où vivaient autrefois des proches, dont le sort est inconnu, disparus sous le béton ou éparpillés dans les vestiges d’autres zones de plus en plus méconnaissables. Les survivants se retrouvent dans l’une des zones les plus surpeuplées de la planète, avec des télécommunications en ruine, une électricité défaillante, des systèmes médicaux effondrés, une panne d’internet imminente et un avenir incertain[4].

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En d’autres termes, nous assistons peut-être à la première fusion de la violence coloniale et génocidaire de la vieille école avec des armes lourdes ultramodernes ; un amalgame tordu du XVIIe siècle et du XXIe siècle, emballé et enveloppé dans un langage qui renvoie aux temps primitifs et à des scènes bibliques tonitruantes impliquant l’écrasement de peuples entiers – les Jébusiens, les Amelikites, les Cananéens et, bien sûr, les Philistins.

Le pire, si tant est que quelque chose puisse être pire, c’est l’indifférence quasi-totale affichée par tant de personnes, qu’elles fassent partie ou non du gouvernement, dans le monde occidental. Face au choc et à l’indignation exprimés par les journalistes, les responsables politiques, les gouvernements à propos du massacre de civils israéliens par des Palestiniens, le silence quasi général sur le sort des civils palestiniens aux mains d’Israël est assourdissant : un silence fracassant, un silence honteux. 

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