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C’est la goutte d’essence qui fait déborder le cocktail. Alors que le mouvement des gilets jaunes entame sa troisième semaine, l’acte III de la mobilisation ce 1er décembre a été marqué par de nombreuses confrontations entre manifestants et force de l’ordre. D’abord à Paris, où, comme le week-end précédent, l’affrontement a été théâtralisé par le fait que la capitale soit le lieu central d’un pouvoir de plus en plus contesté. Cependant, cette semaine, le niveau de violence est monté d’un cran. En province, la colère et la détermination des manifestants se sont également traduites par des heurts avec les forces de l’ordre, ce qui était moins attendu.
La ville de Tours a connu sa seconde journée d’échauffourées. La veille de la manifestation des gilets jaunes, quelque 500 lycéens sont descendus dans la rue en matinée. En début d’après-midi, des heurts les ont opposés à la police qui a fait usage de gaz lacrymogène, de lanceur de balles en caoutchouc et a procédé à plusieurs charges faisant plusieurs blessés légers parmi les jeunes. Samedi, un défilé de 600 gilets jaunes est bloqué rue Nationale par un dispositif policier, puis arrosé de gaz lacrymogène. Plusieurs heures d’affrontements s’en suivent, les manifestants refusant de partir. Le bilan est de 35 blessés (dont 15 policiers) selon la préfecture. Un manifestant a eu une main arrachée par une grenade, une manifestante l’oreille déchiquetée par un tir de lanceur de balles.
À Charleville-Mézières, plusieurs centaines de gilets jaunes ont condamné les rues conduisant à la préfecture avec des barricades de pneu. Le face à face tendu avec les policiers a duré toute la journée. Même tension devant la préfecture de Dijon où la police a fait usage de lacrymogène à plusieurs reprises, comme devant celle d’Avignon avant que la manifestation dégénère dans le centre-ville. Des scènes similaires à Bordeaux ou à Marseille, où la colère reste très vive depuis l’effondrement de deux immeubles vétustes ayant fait huit morts le mois dernier. À Toulouse, gilets jaunes et cortège syndical se rencontrent, finissent confusément par se mélanger devant un cordon de CRS barrant le passage vers la gare. Là aussi, trois heures d’affrontements avec barricades, jets de pavés et gaz lacrymogène.
Une mobilisation qui ne faiblit pas
Au Puy-en-Velay, la mobilisation commence tôt. Des gilets jaunes, des agriculteurs venus en tracteur, des ambulanciers, la CGT, qui ici rejoint le mouvement : en tout 4000 personnes dans une ville de 18 000 habitants, contre 600 le samedi précédent. Vers 13 h, les grilles de la préfecture cèdent, deux cent personnes s’engouffrent sur le parvis, repoussées par les gendarmes présents. À 17 h, 1500 personnes en colère font toujours face aux forces de l’ordre. Toutes ne participent pas à la confrontation. La préfecture est en flamme.
Sur l’ensemble du territoire, le ministère de l’Intérieur indique un total de 75 000 gilets jaunes à 15 h, 6000 de moins que le samedi 24 novembre à la même heure. Un chiffre en légère baisse, mais difficile à vérifier au regard de la dissémination et du grand nombre de points d’action. Dans certaines villes, la mobilisation a grossi : à Tours, leur nombre a été multiplié par trois, au Puy-en-Velay par six. En tout cas, malgré deux semaines de mouvement et les scènes d’affrontements du 24 novembre à Paris, la mobilisation ne s’est pas écroulée. Les images des heurts parisiens n’ont pas eu l’effet habituel de ce type d’épisode : celui de détourner la majorité des gilets jaunes du mouvement.
Jusque là, la violence ne semble pas avoir été vécue comme réellement extérieure ou étrangère à ce que ressentent et vivent une assez large partie des occupants des ronds-points. La colère est telle que cette violence n’apparaît pas totalement illégitime, même aux yeux du reste de la population non mobilisée. Ainsi, le pourcentage d’opinion positive a progressé depuis le 24 novembre, grimpant à 84 %. Pourtant, les « émeutes parisiennes » de ce week-end pourraient changer cette situation et diviser les gilets jaunes comme la grande masse de la population ne participant pas aux actions. Pour ces derniers, un décalage entre les scènes vues à la télévision et leur quotidien pourrait se creuser nettement.