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Billet de blog 13 février 2020

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Loi travail, gilets jaunes, retraite : « mise en ébullition de la société française »

Un gouvernement inflexible, des grèves dures, une mobilisation qui ne veut pas s’arrêter, des syndicats réformistes en difficulté. Stéphane Sirot, spécialiste des grèves et du syndicalisme, analyse la mobilisation sociale inédite démarrée le 5 décembre contre la réforme du système de retraite. Une interview à lire absolument.

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Le mouvement en cours contre la réforme des retraites est beaucoup plus ancré dans la grève et sa possible reconduction que les mobilisations précédentes. Comment analysez-vous ce changement ?

Nous avons un changement de contexte. Cela fait quatre ans que la France se trouve dans une situation de conflictualité quasi permanente. Une séquence qui s’est ouverte avec la contestation de la loi El Khomry en 2016. Depuis ce moment-là, il y a eu une contestation des nouvelles ordonnances travail à l’automne 2017, suivie de toute une panoplie de mouvements sociaux : les gardiens de prison, les salariés des Ehpad, le secteur de la santé, les cheminots sur leur statut et celui de leur entreprise. Et, parallèlement, des journées d’action dans la fonction publique jusqu’à l’été 2018. Ensuite, c’est le début du mouvement des gilets jaunes jusqu’à l’été 2019. Enfin, le 13 septembre, la mobilisation à la RATP annonce le mouvement social qui a commencé le 5 décembre. Nous avons une séquence assez longue de mise en ébullition de la société française qui ne s’arrête jamais, avec une critique sociale de plus en plus forte. C’est comme s’il y avait une longue chaîne de mobilisation sociale avec des maillons qui prennent le relai les uns après les autres. Avec la mobilisation contre la réforme des retraites, nous sommes dans un nouveau maillon de cette chaîne qui à mon sens va en connaître d’autres, jusqu’à ce qu’elle trouve un débouché politique.

Nous pouvons observer un réinvestissement de formes de mobilisation traditionnelles au travers de la grève reconductible. En ce qui concerne les mouvements nationaux interprofessionnels, il y a un retour d’expérience. Cela fait 25 ans que ces mouvements échouent les uns après les autres sur la base de modalités de mobilisation autour de journées d’action qui viennent à l’appui de manifestations. À l’exception du CPE en 2006, qui n’est pas une mobilisation classique de travailleurs mais avant tout un mouvement de la jeunesse, les mobilisations de travailleurs ont toutes connu l’échec depuis 1995 sous cette forme. Cela a fini par former un retour d’expérience dans le corps social qui pousse à essayer d’autres choses, au vu des échecs successifs. Plus immédiatement, l’expérience du mouvement des gilets jaunes a marqué un retour du terrain dans les mobilisations. Cela s’est traduit depuis l’automne par des mobilisations parties des réseaux sociaux, avant d’être plus ou moins prises en charge et encadrées par les organisations syndicales comme à la SNCF, au moment du droit de retrait en octobre ou dans les technicentres.

On sent une volonté d’être impliqué directement, au contraire de ce qu’étaient les journées d’action convoquées par les directions confédérales. Là, il n’y a pas vraiment besoin d’une mise en mouvement du terrain lui-même : elles lancent un mot d’ordre et les gens se mobilisent ou pas. Il y a une demande d’intervention des citoyens et des travailleurs qui ont de moins en moins envie de systèmes de délégations dans ce qui les concerne directement. Cela se manifeste par des grèves reconductibles, car elles impliquent des assemblées générales quotidiennes. Cela avait été marginalisé dans les conflits nationaux interprofessionnels, parce que les journées d’action ne nécessitent pas qu’on ait des assemblées générales quotidiennes. Avec le choix de la grève reconductible, l’implication du terrain est beaucoup plus importante.

Ce qui est marquant également dans ce mouvement social, plutôt classique en ce qu’il est parti des organisations syndicales, c’est la façon dont il cherche à durer. Classiquement, un conflit social démarre le jour J et s’arrête une fois que l’on estime avoir gagné, perdu ou obtenu un compromis. Ici, ce mouvement donne l’impression de ne pas vouloir s’arrêter, contrairement à des mouvements précédents plus traditionnels. Il cherche à se transformer pour durer. Cela a un petit parfum de gilets jaunes avec un mouvement qui cherche à durer au moins jusqu’à ce qu’un autre maillon prenne le relai.

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