Un mouvement « citoyen », sans les partis ou les syndicats ! C’est ce que revendiquent, et à quoi semblent aspirer, la plupart des initiatives — plusieurs centaines — prises depuis quelques semaines pour protester contre la hausse des prix de l’essence et du gasoil. Une volonté affichée très rapidement taillée en brèche par plusieurs formations politiques. D’abord à la droite de la droite avec les positionnements en faveur du mouvement de Debout la France et du Rassemblement National, le second demandant à ses militants et cadres de s’y investir. Ensuite avec le soutien apporté par le patron des Républicains, Laurent Wauquiez. Dernier appui en date, celui de Jean-Luc Mélenchon, le leader de la France Insoumise, le 8 novembre.
En revanche, du côté des organisations de salariés, aucune n’appelle à rejoindre la mobilisation. La présence de l’extrême droite en embuscade et la suspicion qu’elle soit en partie organisatrice est la première raison des réticences, voire de l’hostilité des syndicats. Le 25 octobre, l’Union syndicale Solidaires alerte sur la présence de la « Patriosphère » dans le développement sur internet de l’appel au 17 novembre. En cause, une vidéo vue alors deux millions de fois et publiée par Frank Buhler, un ancien cadre du Front national passé chez Dupont-Aignan. « Peu importe d’où elle est partie, la mobilisation du 17 novembre appelant à bloquer les routes sur le prix de l’essence est aujourd’hui clairement une mobilisation d’extrême droite », tranche la CGT par voie de communiqué le 30 octobre.
« La colère, elle est là ! » assure Philippe Martinez en déplacement dans l’Hérault le 9 novembre. Il a passé la matinée à l’entendre auprès de postiers, de cheminots, d’agents des collectivités territoriales et des hôpitaux. Même si selon un article de Checknews, ceux qui ont initié le mouvement ne semblent pas faire partie de l’extrême droite, Philippe Martinez considère que « selon les territoires, les choses ne sont pas très claires ». En réalité depuis quelques jours, le Rassemblement national comme le mouvement de Nicolas Dupont-Aignan arpentent le terrain en distribuant leurs propres tracts appelant à la journée du 17 novembre. Les deux mouvements en ont tiré plus d’un million d’exemplaires chacun.
Alors, pas question pour la confédération de défiler aux côtés du Rassemblement national qu’elle accuse d’opportunisme. Même son de cloche chez Laurent Berger le secrétaire général de la CFDT : « il y a une manipulation de l’extrême droite pour récupérer ce mouvement ». Opposé en outre à l’idée de blocage, le leader cédétiste n’exclut d’ailleurs pas totalement, dans le cadre d’une transition écologique globale qu’il souhaite solidaire, la hausse du prix des carburants. Si l’ensemble des syndicats soulignent l’exaspération d’un certain nombre de salariés obligés d’utiliser leur véhicule pour se rendre au travail, ce n’est pas une raison suffisante pour eux de participer aux actions du 17 novembre.
Colères légitimes, mais revendications insuffisantes
Outre l’OPA de la droite extrême, les syndicats pointent un autre problème : la présence de secteurs du patronat, comme lors de mouvement des Bonnets rouges en Bretagne en 2013. Les transporteurs routiers — notamment les grands groupes du secteur — tireraient évidemment profit d’une baisse du prix du gasoil. Leur revendication défendant des intérêts privés fusionne ici avec celle de salariés modestes frappés au porte-monnaie par de nombreuses mesures du gouvernement, dont celle sur les taxes des carburants. Un leurre pour la CGT qui rappelle qu’elle se place dans le cadre de « l’opposition des intérêts du capitalisme et ceux des travailleurs.euses ».