Tu es convoquée à un entretien disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement le 1er février ? Peux-tu nous expliquer pourquoi ?
Officiellement, je n’en ai aucune idée, parce que je n’ai commis aucune erreur. J’en suis certaine. Officieusement, je dirais que c’est parce que je suis lanceuse d’alerte et représentante syndicale CGT. Je réplique par des courriers recommandés à ma direction, lorsqu’il y a un licenciement abusif, ou lorsqu’il y a une injustice envers un salarié. Cela ne plaît pas forcément, sachant que les prochaines élections sont au mois de mars. Un syndicat présent, qui défend les salariés, cela attise les convoitises. Surtout s’il risque de remporter les prochaines élections du conseil social et économique (CSE). Alors, pour la direction, il faudrait peut-être abattre dès maintenant les personnes susceptibles de faire changer les choses dans la clinique.
As-tu l’impression que ton « statut » de lanceuse d’alerte te poursuit ?
Complètement. Je suis arrivée dans le Gard en 2020 et ai repris le travail à partir du mois d’avril. J’ai commencé par des petites missions en tant que vacataire. On ne me connaissait pas. Ça allait. Nous étions en pleine période de crise sanitaire. Comme nous avons les masques constamment, cela m’a beaucoup aidé pour reprendre le boulot dans un autre département.
Puis, de fil en aiguille, les gens ont vu des choses réapparaître : des souvenirs d’il y a un an ou deux ans, sur les réseaux sociaux. Ensuite, quand tu manges, tu n’as plus le masque. Puis on me reconnaît et la direction l’apprend. Ils essayent de me mettre dans des services où il y a moins de soignants, moins de passage. Mon syndicat a essayé de me protéger et je leur en suis énormément reconnaissante. À la CGT, on m’a dit : « là, on ne va pas prendre de risque. On va te nommer représentante syndicale. Au moins, tu ne risqueras pas le licenciement pour tout et n’importe quoi ».
La direction a quand même trouvé un moyen de me réprimander, de me bâillonner. Donc je suis convoquée. Cependant, la « faute », que je ne connais pas encore, n’existe sûrement pas. Mais ils vont en trouver une. Pour ça, ils sont forts.
Depuis ton témoignage dans Envoyé spécial en 2018, où tu dénonçais la maltraitance institutionnelle liée au manque de moyens, as-tu le sentiment que les choses ont changé ?
Avec la crise sanitaire, nous les soignants avons été poussés dans le gouffre. Certes, on nous a accordé une prime de Ségur, mais cela reste une prime. Ce n’est pas une augmentation de salaire. Et ils peuvent décider de l’enlever. Dans le public, elle est conséquente, mais dans la clinique du groupe Elsan (privé lucratif) où je travaille, elle est de 19 euros brut par mois. Vous considérez cela comme une augmentation ? Est-ce que ça change nos vies ? Est-ce que cela nous aide à passer le cap de cette crise sanitaire, de vouloir continuer à travailler en s’exposant à ce virus et en risquant de le transmettre chez nous ?
Cette prime Ségur ne protège pas les soignants. Une augmentation de salaire ne nous protégerait pas plus, mais elle montrerait que l’on est reconnaissant de notre statut de soignants, que l’on nous pousse vers l’avant et nous motive. Mais 19 euros ! Tu motives qui ? Moi je ne suis pas prête à exposer toute ma famille pour 19 euros. Je ne serais pas prête à les exposer non plus pour 1000 euros, mais je serais prête à sauver des vies, s’il le faut, sans les 19 euros. Demander des augmentations, c’est demander de la reconnaissance. Je ne méprise aucun boulot, mais je pourrais faire un travail où je serais beaucoup plus tranquille, avec des horaires plus convenables. Être présente auprès de ma famille, ne pas être en contact avec tel ou tel virus et ne pas les exposer.
Aujourd’hui, on nous pousse à quitter nos jobs. Combien de soignants sont en burn-out ? Combien de soignants ont démissionné depuis cette crise sanitaire ? Et dans le privé lucratif, c’est encore plus poussé, parce qu’ils veulent toujours plus des soignants. Et avec toujours moins de moyens humains et financiers.
L’enjeu, et c’est clairement dit, c’est la rentabilité. On nous le dit : vous voulez qu’il y ait un aide-soignant en plus aux urgences ? Eh bien, il faut faire plus de passages, il faut qu’on fasse plus de fric. Comment peut-on dire ça aujourd’hui ? Je trouve cela petit, dégueulasse, rabaissant : pas du tout humain.