Est-il besoin de décrire la complexité et les évolutions de l’environnement éducatif ? Le renouvellement constant des fonctionnalités pédagogiques des outils numériques, l’évolution des besoins de formation du monde professionnel, l’influence des réseaux sociaux sur les représentations des individus et des élèves à l’égard des pratiques de l’institution, la juridicisation croissante de l’éducation, l’évolution de la culture juvénile qui s'inscrit parfois en opposition aux normes scolaires, les chocs exogènes comme la crise sanitaire ou les tensions sécuritaires qui nécessitent des réactions rapides du système éducatif, tous ces éléments mettent en évidence les nombreuses interactions d’un système scolaire avec son environnement éducatif et la nécessité d’adaptation continue. Le changement est perpétuel en éducation. Les systèmes éducatifs qui veulent éviter d’être dans une logique passive qui les amènent à subir les évolutions de leur environnement cherchent à adopter une posture stratégique. Il ne s’agit plus de constater les évolutions de l’environnement mais de les anticiper afin d’avoir une vision à long terme pour le devenir du système éducatif.
Définir des objectifs pédagogiques
L’anticipation porte en premier lieu sur les connaissances et les compétences que les élèves devront maîtriser dans le futur[1]. Derrière ces compétences, se trouvent des objectifs de cohésion sociale, d’équité, de libre expression de la citoyenneté démocratique, d’ouverture culturelle, de capacité de réaction au changement et d’adaptation au monde professionnel. Adopter une posture stratégique consiste à définir des objectifs pédagogiques sous forme de référentiels de connaissances et des compétences qui s’imposent aux acteurs de l’éducation[2] [3].
Donner le pouvoir d’agir aux acteurs
Les objectifs pédagogiques étant fixés, la stratégie éducative consiste à décider que ce qui doit être mis en œuvre pour les atteindre. Quelles sont les mises en situation qui vont favoriser les apprentissages ? Quelles sont les activités pédagogiques envisagées ? Comment vont être évalués les acquis des élèves ? Quels sont les moyens qui vont être mis en œuvre ? Comment sont-ils répartis ? Comment va se faire l’organisation des enseignements ? Toutes ces questions trouvent leurs réponses à tous les niveaux du système éducatif et auprès des enseignants en premier lieu car ce sont eux qui sont au contact des élèves et qui ont la connaissance aiguë de chaque contexte spécifique d’éducation. Adopter une posture stratégique suppose ainsi de supprimer tous les éléments prescriptifs et de donner le pouvoir d’agir[4] à l’ensemble des acteurs de l’éducation. Cela suppose de reconnaître chacun comme étant pleinement légitime pour décider, par lui-même, des tâches qu’il doit accomplir et de lui faire pleinement confiance[5] [6].
Entrer dans des postures de facilitation
La stratégie éducative est ainsi définie à tous les niveaux du système éducatif. Définir un parcours individualisé qui énonce des adaptations spécifiques pour un élève, prévoir collectivement des modalités de régulation d’un groupe classe, élaborer un projet pédagogique pluridisciplinaire qui met en jeu des processus d’acquisition des compétences transversales, associer des partenaires extérieurs à la démarche pédagogique, faire un diagnostic partagé[7] pour élaborer un projet d’établissement, identifier des problématiques communes à l’échelle d’un territoire apprenant, tous ces aspects relèvent d’une démarche de stratégie éducative. A chaque fois, il s’agit de définir des actions concrètes qui permettent de répondre aux objectifs pédagogiques en tenant compte du contexte spécifique de décision.
Lorsque le pouvoir d’agir est donné aux acteurs, les managers (ceux dont le rôle est de conduire l’action collective) adoptent des postures de facilitation. Selon la formule consacrée, le rôle de l’encadrement évolue de concepteur/préconisateur/contrôleur à celui de stratège/facilitateur/évaluateur. Il s’agit de susciter la réflexion, favoriser le travail collaboratif, la prise de décision en intelligence collective, de tout mettre en œuvre pour que les acteurs puissent s’emparer de leur pouvoir d’agir.
Selon le principe de subsidiarité, le niveau de décision le plus pertinent est a priori, celui qui est le plus proche du terrain, ce qui correspond aux enseignants pour l’éducation. Cependant, de nombreuses problématiques dépassent le simple niveau de l’enseignant. Elles nécessitent des réflexions larges qui doivent inclure différentes parties prenantes. Définir la stratégie éducative à tous les niveaux du système éducatif ne signifie pas l’absence d’échelons d’encadrement : celui du projet pédagogique, celui de l’établissement scolaire, celui du découpage académique, le niveau national et le niveau européen. La posture de facilitation, qui est dévolue à l’ensemble de la ligne managériale, suppose de développer la pratique du dialogue de management entre les différents niveaux pour parvenir à une logique de management interactif[8].
Mutualiser les bonnes pratiques en réseau
Définir la stratégie éducative à tous les niveaux d’un système éducatif suppose de repenser les pratiques de management mais cela conduit aussi à développer des pratiques horizontales de mutualisation. Les enseignants, les établissements évoluent chacun dans un contexte qui leur est spécifique mais beaucoup d’entre eux connaissent des problématiques assez semblables avec des éléments de contexte similaires. La mutualisation des bonnes pratiques en réseau entre acteurs qui évoluent dans des contextes similaires devient une pratique spontanée lorsque les acteurs disposent du pouvoir d’agir et qu’ils doivent trouver des solutions pour décider des actions à mettre en œuvre[9]. Ainsi, les réseaux éducatifs sont nombreux et en fort développement[10]. Parmi l’ensemble des pratiques naissantes, ils permettent de faire ressortir celles d’entre elles qui seront considérées collectivement comme des bonnes pratiques afin de les mutualiser à grande échelle. L’activité de réseau associe souvent les chercheurs en éducation. La diffusion des bonnes pratiques est d’autant plus pertinente qu’elle est confortée par des pratiques de recherche-action.
Initier un processus réflexif d’évaluation
Pour être complète, l’approche stratégique en éducation suppose que les acteurs qui disposent du pouvoir d’agir puissent rendre compte de leurs décisions et qu’ils puissent envisager des pistes d’amélioration. C’est tout l’enjeu de l’évaluation globale des établissements scolaires que de parvenir à initier un processus réflexif et cognitif qui permette de s’interroger sur les pratiques mais aussi sur les postures et les représentations de chacun[11]. Il s’agit de se questionner sur la pertinence des actions mises en œuvre, sur le choix des moyens engagés, sur les effets pour l’apprentissage des élèves, sur le maintien de l’équité et le respect des principes de service public. L’évaluation est globale car la stratégie éducative est un fait collectif.
[1] Le cadre européen de référence précise les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie. https://competencescles.eu/sites/default/files/attachements/keycomp_fr.pdf
[2] Sur le cadre stratégique de l’éducation à la citoyenneté démocratique fixé par le conseil de l’Europe : https://rm.coe.int/global-education-guidelines-version-francaise-/168099098e
[3] Sur le cadre stratégique européen d’acquisition des compétences numériques : https://ec.europa.eu/jrc/en/publication/eur-scientific-and-technical-research-reports/digcomp-21-digital-competence-framework-citizens-eight-proficiency-levels-and-examples-use
[4] Sur le pouvoir d’agir des enseignants : https://youtu.be/U6MnR0L3xyI
[5] Un témoignage, au Grenelle de l’éducation, sur des pratiques de management par la confiance à la MAIF : https://www.aefinfo.fr/assets/newsletter/horsmedia/3_JdGE_Pascal_Demurger.pdf
[6] Sur le management par la confiance : https://youtu.be/8LUzBjTcZ4M
[7] Le diagnostic prend souvent la forme d’une matrice BFFP : besoins éducatifs du public accueilli, forces de l’établissement, faiblesses de l’établissement, opportunités de partenariats éducatifs.
[8] Sur les lignes managériales en éducation, le dialogue de management et la logique du management interactif, voir « Comprendre l’approche par la ligne managériale », p 169 de : https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807318892-le-management-des-etablissements-scolaires
[9] Le parlement européen recommande depuis 2001 le développement des réseaux éducatifs :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32001H0166&from=LT
[10] Sur l’activité de réseaux en éducation : https://youtu.be/JvefWDIdIyc
[11] Sur l’évaluation des établissements scolaires, voir le guide ManagEduc : https://lnkd.in/dA_FG2R