La réindustrialisation de la France est un débat permanent depuis... la perte de ses industries lourdes au tournant des années 80. Le retour de cette question aujourd'hui est en lien non avec une nostalgie productive, mais plutôt pour assurer des productions nationales de base indispensables, limiter l'impact des prix à l'importation, générer un cycle économique vertueux sous contraintes économiques et éthiques désormais renforcées.
L'ESS, longtemps perçu comme le secteur des nouveaux services à impact social, pourrait bien réserver la surprise d'une réindustrialisation de notre pays en répondant mieux que le marché à une dimension productive très exigeante.
Une visite récente au cœur de Marseille dans les ateliers de l'entreprise d'insertion Fil rouge, 242 emplois, spécialisée dans la confection textile, donne à réfléchir sur le sens de l'industrie et l'apport des spécificités de l'entrepreneuriat en ESS à son profit.
La contrainte de l'entreprise industrielle est bien connue. Face à un marché mondialisé, soumit à une concurrence impitoyable, les secteurs industrielles traditionnelles ne peuvent occuper en France que des niches productives, le reste ayant été détruit ou délocalisé. L'écart de compétitivité, plus encore d'ajustement, d’agilité, ont eu raison de nos productions de masse en produits industriels de base, que ce soit dans le domaine des produits de consommation, comme des biens d'équipement, ou même de l'agroalimentaire.
La recréation d'un tissu industriel ne va pas de soi. Elle nécessite un entrepreneuriat conscient des risques et enjeux, de la complexité de l'acte industriel dans notre pays sur-normé. Mais plus encore d'un environnement global de financement et accompagnement adapté et évolutif, une commande publique responsable et structurée dans le long terme.
La France a une armature très évoluée, fonctionnelle, efficace, en la matière, au profit de l'ESS, qui en fait une de ses spécificités cachée mais active et très réelle.
De la banque coopérative, en passant par des structures aussi pertinentes que France Active, des fonds dédiés comme ESFIN, et une myriade d'autres structures, il est clair que désormais le temps des "concours avec dotation" n'est plus le seul moyen de se financer en ESS. Et de loin.
L'arrivée massive d'une épargne de partage grand public sur le marché des disponibilités financières, acceptant une rémunération inférieure aux taux d’intérêt du moment, montre également l’intérêt citoyen à faire émerger un mode de financement adapté à notre époque. Un circuit financier de collecte à impact existe et peut facilement se développer. Le rendement obligataire servit par exemple par la plate forme LITA sur des projets 100% ESS si situe entre 8 et 10% ! La rentabilité est donc aussi au rendez vous en ESS.
Une économie de la frugalité, de la circularité, de la transparence, est particulièrement adaptée à l'ESS. Mais plus encore à l'industrie !
En effet, la contrainte initiale de l'accumulation du capital pour générer des moyens de productions lourds et couteux peut être contrôlée par des mécanismes de soutien bancaires et étatiques existants, représentant un investissement et non une subvention à perte, d'un montage bancaire dont la garantie peut être portée par des structures ad-hoc existantes, de collecte de fonds selon la loi Hamon de 2014, d'un projet sociale et pédagogique intégrant les salariés et les dirigeants dans le même bateau.
Bref, il est parfaitement possible de faire financer dans des proportions importantes le démarrage et le développement d'un projet industriel en ESS.
Démarré avec quelques salariés il y a 3 ans, les ateliers marseillais Fil Rouge occupent à ce jour 242 salariés, avec un plan de développement important. Cette réussite qui doit tout à l'énergie et au professionnalisme des dirigeants, représente l'émergence d’un modèle productif nouveau.
Certes, le monde des coopératives offre déjà bien des exemples d’entreprises industrielles sous statut ESS. Mais il stagne.
Le cas "Fil Rouge" nous fait sortir de la "niche" habituelle de l'ESS au travers d'une activité productive nouvelle, démarrée ex nihilo.
Pour autant, les limites sont toujours les mêmes : recrutement, localisation de l'activité à terme, accompagnement financier à long terme, nouveaux marché, mais aussi, accès à la matière première etc. Tout cela est bien classique !
Quelle solution?
L'ESS est parfaitement adaptée au retour de l'industrie en France. Elle permet, sans risquer les accusations de dumping, à l’État, aux collectivités, et aux partenaires publics et privés, plus encore à la Banque des territoires, de financer et soutenir l’émergence d'activités productives au nom de l'utilité sociale et du retour à l'emploi, de maitriser dans la transparence un projet productif basé sur les contraintes écologiques d'aujourd'hui, de générer du haut de bilan et du capital (public comme privé ! ) dans le cadre des SCIC par exemple.
La seule question est désormais d'aligner tous les partenaires financiers et l'accompagnement, les distributeurs et grandes marques, et de créer une véritable agence nationale au profit des projets industrielles en ESS, et nous auront nos nouvelles pépites, y compris dans la pharmacie, le BTP, les bien d'équipement etc.
La question des négociations actuels sur la maitrise des prix des distributeurs serait bien différentes si tout le monde en France travaillait depuis longtemps sur un projet productif ayant intégré les contraintes de tous, et ne menant pas à une guerre de régulation sur commande politique, le tout en périmètre national ayant structuré de l'approvisionnement de proximité...
De ce point de vue, la nouvelle régulation carbone de l'Union Européenne ne donnera aucun bénéfice macro économique si un alignement des acteurs productifs ne s'opère pas. Ce sera alors même l'inverse.
L'émergence de filières industrielles nouvelles est donc à l'ordre du jour pour retrouver une boussole économique et sociale française et européenne.
A ce titre, et vu les paradigmes de l'ESS, les lowtech auront surement dans ce contexte une marge de progression et un terrain d'exercice nouveau et très élargi . Ainsi que les deeptech (innovations de rupture) qui ont besoin de financeurs pouvant évaluer la portée d'une nouveauté fortement disruptive. Ces mondes là, portés souvent par de jeunes diplômés, ou des innovateurs encore non reconnus, sont surement proches des valeurs de l'ESS, elles mêmes très disruptives dans l'analyse économique !
Le pari de la coopération en ESS est une chance historique pour notre économie et nos singularités françaises, le retour d'une industrie propre et active, et surtout socialement en pointe. Elle gommera à la fois un défaut de compétitivité, et donne naissance à un système productif de proximité souple et adaptable par un environnement partenarial riche, sur des territoires organisés et conscient de cet enjeux essentiel.