Je vais essayer de manière claire et concise de vous préciser ma pensée sur les évolutions commerciales en court, sujettes à caution et à débats stériles.
Pourquoi un tel sujet ? Car il impacte clairement toute notre structure économique, la consommation étant le moteur premier de notre activité, plus que la production.
Dans le contexte de crise sanitaire qui est le nôtre, cette évidence est telle que le débat sur la réindustrialisation du pays a pris de l’ampleur même s’il n’y a pas et n’y aura pas de résultats significatifs sans un changement politique d’envergure de la part de l’action de l’Union Européenne. C’est un très vieux « serpent de mer » franco-français …
De ce fait, le management, l’organisation d’un appareil commercial pour un Etat revêt une importance stratégique fondamentale car il oriente clairement les flux économiques principaux, la production, les importations, et plus encore la réalité des centres villes et des centres commerciaux, et même les courants touristiques ; bref, presque tout.
L’idée qui est né au cœur de la crise sanitaire a été que les grands distributeurs numériques détruisaient le petit commerce, condamnés dans le même temps à fermer leurs portes sous le label humiliant et pour le moins péjoratif de « non essentiel ».
La situation asymétrique des petits commerces par rapport aux géants tels que Amazon a été de ce fait accentuée ; mais ce serait oublier deux faits :
- Ce n’est pas nouveaux, et le commerce en ligne prospère depuis déjà au moins 5 ans ;
- Ce n’est que la projection du débat ancien disant que les grandes surfaces avaient ruiné le petit commerce, dès le milieu des années 50 ;
- Ce n’est pas finit vu qu’une des conséquences importantes de la crise sanitaire aura été de mettre quasiment toute la population entre les mains d’internet ;
Essayons d’y voir clair, et surtout de dresser des lignes d’avenir à la fois utiles et structurantes.
1 / Concernant le commerce numérique, sa croissance, son rôle, son utilité
Les usages du numérique dans l’acte d’achat ou de revente se démocratisent et se développent chaque jour pour des raisons objectives et claires pour l’ensemble des consommateurs.
Il convient ainsi d’éviter de tomber dans le déni, l’amnésie, la paranoïa, ou la schizophrénie. Ce qui signifie clairement qu’au même moment que l’on commande en masse sur Amazon, on dénie à cette entreprise son utilité économique. Cette ambivalence de jugement est mise à l’épreuve par l’anonymisation de l’acte d’achat et la question de l’« effet de bonne conscience » résidant dans l’achat local comme structurant d’un mode vie de qualité et d’un attachement à des valeurs d’enracinement.
La contradiction est alors évidente entre la norme d’achat qui devient digitale pour des segments croissants de consommation poussés par des innovations majeures, des progrès logistiques gigantesques, portés eux-mêmes par le mariage désormais officiel entre la DATA et l’IA, et produisant des effets de centration puissants sur l’ajustement immédiat de l’offre et de la demande, tel que notre économie ne l’a jamais connu.
Les résultats produits sont très clairs, et le consommateur en a retiré des observations assez logiques :
- Une baisse structurelle des prix : forte, identifiable, et croissante ;
- Une diversité des produits jamais atteinte par le commerce de détail et reflétant des gammes en constant accroissement, en perfectionnement perpétuel ;
- Des délais de livraisons de plus en plus inexistants ;
- Une protection du consommateurs (retrait, échanges, transparence qualité et origine) croissante ;
Aussi, mon analyse est que la stigmatisation des géants de la distribution numérique est une erreur économique, sociale, et surement éthique dans l’avenir, même si ce terrain doit se structurer différemment des pratiques actuelles, ce qui ne va surement pas tarder à arriver pour des raisons d’analyses financières de long terme intégrant par nécessité des normes de RSE objectives et établies pour tous.
Aucun commerce de détail n’est en effet jamais parvenu (et ne parviendra jamais) à rivaliser avec la puissance actuelle des gammes en ligne, la baisse tendancielle de leurs prix et la capacité de riposte du consommateur en cas de refus ou de mécontentement.
Cet aboutissement reflète en soi l’ensemble de ce que recherche le consommateur lambda.
La France cultive deux contre-exemples étonnants qui montrent tout à la fois que cette culture du service de distribution à distance ne lui est pas du tout étrangère, et également son incapacité à le lier à l’économie monde émergente en son temps. Les cas de la disparition de Manufrance et de la survie de La Redoute sont à ce titre tout à fait emblématiques de deux échecs majeurs.
Que s’est-il passé ? pour faire simple, ces entreprises étaient en fait les derniers maillons d’une chaine économique sous tendue par la production industrielle française (les armes de chasse et les vélos pour Manufrance ; le textile du nord de la France pour La Redoute), autrement dit d’industriels importants voulant maitriser leur segment commercial sans passer par la grande distribution, ce qui était finalement une bonne intuition et relevait de la théorie économique de l’intégration verticale.
Quand les grands paramètres de la compétitivité industrielle de la France se sont trouvés en difficulté, autour des années 80 et des conséquences des chocs pétroliers comme de l’arrivée de la concurrence asiatique des « 4 dragons », plutôt que de s’ouvrir à de nouveaux produits notamment étrangers, ces entreprises sont restées fidèles à leurs marques-producteurs et sont mortes avec. L’intelligence aurait été de combiner et de faire de la qualité France une marque premium, ce qui aurait surement ralenti ou stoppé l’effondrement industriel de notre pays. Et aurait consacré un modèle de distribution spécifique.
Rappelons qu’au même moment la grande distribution sédentaire qui avait éclot au court des années 50 vivait son âge d’or dans les années 90 en appauvrissant le tissu industriel français par des importations massives sans compensation pour les productions nationales.
Le résultat nous donne à la fois un étranglement historique des productions françaises (que l’on retrouve toujours statistiquement, la France étant globalement un pays désormais désindustrialisé) et socialement (les emplois de services de proximité perdus n’ont jamais été retrouvés ce qui donne à la France son profil de chômage de masse durable provoquant une poche de misère à ce jour incompressible et croissante à nouveau).
De la même manière, la France a dissocié ses efforts de R et D publique et notamment en matière d’informatique de l’évolution des pratique commerciales et logistiques pour les centrer sur les technologies militaires et spatiales et non pas les usages civils.
Sur un plan plus global mais aussi plus « micro économique » le déploiement des pratiques de revente, mais aussi de vente de biens et services directement entre particuliers par voie numérique est un paramètre encore peu pris en compte dans son poids et son mode de calcul mais qui commence à avoir des effets économiques lourds et génère aussi une économie non monétaire.
L’effet positif est que si les pratiques de revente peuvent éviter du déchet ou de la dépréciation, l’analyse du bilan carbone de l’ensemble doit être repondérée. Mais dans quelle proportion ?
Cette question n’est pas neutre et relève d’un indicateur structurel désormais ancré de l’analyse économique et sociale, de la même manière que l’analyse des conditions de travail.
Je fais un pari simple : Amazon ne tardera pas à annoncer la création de la première flotte mondiale de livraison électrique, le premier plan mondial de gestion des déchets et autres.
Quant à la critique sur la situation salariale que cette entreprise génère, il restera à démontrer que travailler dans les entrepôts d’Amazon est socialement plus éprouvant que de le faire dans les entrepôts des géants français de la grande distribution souvent montrés du doigts pour des pratiques déloyales envers leurs salariés. Je ne suis pas sûr que la comparaison écrase socialement Amazon.
La révolution numérique a été à ce point commercialement décisive que désormais l’activité commerciale dans bien des magasins de grandes marques ou autres constituent à n’être que de simples vitrines vendant des produits stéréotypés et aucun accès aux gammes intégrales ; on se contente alors de vous dire : « commandez en ligne, cela ira plus vite ; cette référence n’est disponible qu’en ligne ». Cette tendance à la « vitrinisation » du commerce est en train, de la même manière, de frapper le commerce de moyenne distribution qui y voit l’arrivé de son modèle de résistance et d’avenir en éliminant l’entreposage et la logistique. Le magasin vitrine est alors une norme en train de s’installer largement …
2 / Quel avenir pour le « petit commerce » ? (Dénommé aussi commerce indépendant)
Ce commerce est essentiel à plusieurs titres : il emploie et fait travailler un segment important de la population ; il pourvoit à des services de proximité insubstituables par internet et plus encore il participe de la transmission de patrimoines culturels immenses et fondamentaux dans l’analyse d’une société post moderne en voie de construction.
Tout commerce est clairement ESSENTIEL par nature.
Leur avenir n’est pourtant pas si favorable. Même si l’on voit le séquençage s’opérer assez facilement entre ce qui précède et ce paragraphe, le mitage du tissu commercial urbain peut tout à fait dévitaliser les centres villes et les zones commerciales à terme, ce qui est un danger politique et sociale majeur ; comme la disparition des arbres dans un écosystème. Mais après il sera trop tard.
Que faire ?
Le commerce indépendant a plusieurs fonctions vitales essentielles à son actif et qui doivent orienter l’action politique et collective en leur faveur.
- L’artisanat, synonyme de qualité et de singularité dans la relation commerciale et patrimoniale, telle que le plombier ou l’artisan bijoutier par exemple ;
- L’hyperspécialité et la qualité du conseil associé, tel que l’opticien par exemple ;
- La sédentarité structurelle, telle que le boulanger, le restaurateur ou le pharmacien ;
C’est bien l’association entre la connaissance précise du métier et la nécessaire relation physique qui va permettre au commerce indépendant de continuer de vivre. Encore faut il qu’il le fasse dignement, en gagnant sa vie, et en prospérant avec fierté de son métier.
Mais il faut envisager des pistes fortes et claires à son profit et lui garantir la naissance d’un écosystème sanctuarisé pour éviter sa perte à cause de chocs structurels exogènes trop forts et discontinus. Car un tissu commercial est fragile, par nature. Et ce qui a mis des décennies à se construire avec cohérence peu disparaitre rapidement. La France est hélas aujourd’hui l’exemple d’un pays qui a laissé son commerce de proximité mourir et sa ruralité dépérir, dans bon nombre de petites villes et de villes moyennes. La loi des agglomérations géantes a été de ce point de vue une gigantesque erreur, autant humaine qu’économique.
La première chose à faire est de transformer nos villes et nos périmètres marchands de chalandises en lieux sur-digitalisés par une offre puissante, mobile, souple, ajustée et surtout accessible à tous. Cela signifie que nos villes devront organiser l’interaction des commerces entre eux et structurer par les mêmes algorithmes que le commerce en ligne la notion de chalandise et de déambulation.
On en est qu’aux balbutiements, mais des initiatives arrivent. Pour être heureuses et puissantes, et surtout économiquement et socialement productives elles doivent mener au même dimensionnement qu’Amazon mais sur des territoires et intégrer transversalement le marques sur un plan nationale.
De plus, la sanctuarisation du commerce doit mener les cœurs de villes et de villages, de hameaux, à devenir des zones franches commerciales et à retirer au commerce une partie de la pression fiscale qu’il subit ; bref, à faire ce qui a été fait il y a 1 000 ans pour sortir de la funeste précarité du haut Moyen-âge, de donner à nos villes un climat commerciale propice par la désaffectation fiscale.
Il conviendra aussi de sanctuariser les loyers commerciaux afin d’éviter les délires des hausses infernales, permanentes et injustifiées guidées par la stratégie uniquement financière des fonds de pension propriétaires.
Sans quoi le nouveau Moyen-âge viendra frapper à nos portes par la désertion de nos centres-villes.
Pour conclure, selon moi les choses sont claires désormais.
La puissance des géants du numérique commercial est utile et va encore évoluer vers plus de sureté et de qualité.
Le commerce indépendant de proximité est un héritage puissant rivé dans nos vies et nos villes et a tout son avenir devant lui ; mais il doit avoir à ses côtés désormais une puissance force d’investissement et de prise de conscience publique, devant lui permettre sa mise au nome numérique tel que décrit, éviter son effondrement et les services irremplaçables qu’il rend.
Si la contraction et l’opposition semble exister entre les deux, c’est qu’on l’a laissé s’installer.
Mais il faut respecter le consommateur, et les nouveaux usages numériques qui doivent désormais désinhiber aussi le commerce traditionnel et le revitaliser par de nouvelles pratiques audacieuses et inspirantes.
La résilience et la fierté de notre pays, après 7 décennies d’erreurs économiques lourdes et désormais manifestes, serait d’agir de la sorte, en parfaite équité des uns avec les autres, en parfait réalisme économique et social.
Merci de votre lecture.
Stéphane SALORD
Aix-en-Provence, le 27 décembre 2020