Obsolescence programmée, gaspillage alimentaire, complexité productive induisant un recyclage impossible par agglomération trop forte de composantes, sur consommation, surnutrition, pollutions urbaines, prégnance d’une agroalimentaire d’assemblage, publicités intragénérationnelles insidieuses, sont les facettes du même mal : la recherche d’une croissance basée sur un mode productif exigeant par nécessité l’anticipation de son propre taux de croissance comme baromètre de sa seule soutenabilité.
La recherche par tous ces moyens de l’extension du système s’est installée au cœur de nos modes de vie, et de pensée, de manière si puissante que la pensée semble impossible en dehors d’elle.
Dévitalisation des savoirs faire culinaires, désagrégation de la « famille » comme de la vie commune (quelle qu’en soit la forme) au profit de l’isolement contingent produisant des reflexes d’achat au lieu de l’autoproduction des repas, innovation permanente et rapprochée déclenchant une nouvelle norme d’ obsolescence d’usage plus que de déprogrammation technique (bien plus efficace et plus perfide que celle-là ! ) , le produit est simplement dépassé en soi, rapidement ; faiblesse extrême des prix de vente détruisant la notion de valeur intrinsèque du produit : il n’est donc plus capitalisable dans une optique patrimonial d’attachement ou d’usage de long terme et sa mise en déchet n’est pas un regret et ne peut ni ne doit entrainer un surcout plus fort que son prix de vente et, de la même manière, son arrêt rapide par défaillance n’est pas une supercherie ni une escroquerie car il a couté très peu cher.
Cette nouvelle distanciation de l’objet à ce moment de notre civilisation matérielle est en fait un nouveau cycle du produit se superposant au cycle ancien des avoirs fondamentaux et rudimentaires ( une cuisinière par exemple) pour faire entrer cependant désormais dans le mécanisme de la bimbeloterie, l’ancienne classification des bien superficiels et inutiles, des bien de plus en plus importants qui hier faisaient l’objet d’un achat patrimonial : un aspirateur, un four micro-onde, accessibles pour quelques euros désormais, et demain une voiture, ou un module d’habitation.
La naissance d’une économie de la fonctionnalité a caché cette émergence, car elle-même signifiait que l’on s’accaparait l’usage et non plus le bien lui-même.
Mais une vague bien plus puissante arrive, conditionnée par l’essor des technologies agrégeant DATA et IA, et pouvant aller jusqu’à supprimer à la marge la notion de prix de revient ; oui, la possession revient alors par le moyen de l’achat, pour un prix si dérisoire que sa propre location en serait déjà plus couteuse.
Les mécanismes d’impression 3D, de multiplication à outrance de fausses innovations faisant croire à une nouveauté inspirante vont désormais accroitre leur vitesse d’arrivée dans un marché hyper saturé, elles ne seront bientôt plus que la seule possibilité d’extension nouvelle d’une surconsommation qui continuera à nier jusqu’à sa propre existence.
Cette superficialité définitive de l’objet rendu a un usage purement éphémère intègre en lui-même le critère primordial de sa propre destruction, de sa vulnérabilité.
Sorti définitivement du circuit productif d’un artisanat salvateur basant sa valeur sur l’usage de la patine et du temps, celui là est un traitre si affiné qu’il n’a plus aucun lien finalement avec l’ancien mode de la production ; il est portant le dernier et pale reflet de son enfantement taylorien, mâtiné des hypertechnologies de process dont le prix des mécanismes est désormais renvoyé à quasiment rien, et la matière première elle-même si intangible et si peu chère capturée sur les marchés médians échappant aux contrôle normées, payé par le prix du sang des esclaves de la Terre.
Il est l’aboutissement hors contrôle et pourtant si subtil et si cohérent, si convaincu et résolu du suprême sursaut de l’ère productive mondialisée dont on pensait qu’elle s’estomperai de son propre débordement.
Et non ! le voilà narquois et glorieux revisitant l’acte d’achat dans sa plus simple expression, fondé sur nos pouvoir d’achat détériorés auxquels il s’est adapté en nous disant du coin de sa boite parfaite et coloré : « quel risque prend tu à m’acheter, je ne suis pas cher, je ne te vole rien, et je vais continuer à faire de toi un consommateur impliqué et actif, en te rendant de grands services dont tu as si besoin.
Le cumul, l’agglutinement, le fond rempli de nos tiroirs dont on ne connait plus très bien le contenu fait alors la différence ; on se trouve à posséder alors plusieurs le même objet sous plusieurs formes.
Mais il n’y a pas malice. C’est pourtant et surement le firmament d’une économie de l’hyperproduction en désarroi, cherchant son aboutissement déraisonnable.
Il n’y a que notre impossibilité irréductible de stopper un acte d’achat dont on connait la portée éphémère et qui va pourtant s’imposer de lui-même, par évidence, par négligence.
Il n’y a là que notre impossibilité à réellement se dispenser de ce qui n’est pas indispensable et qui garantirai pourtant le fond et la solidité de toute attitude.
En matière d’achat, de pensée, comme d’action ; renouer avec une économie réelle de la décision, et ne structurer nos comportements que sur des fondamentaux sera bien le début d’une possibilité de vie frugale seule compatible avec l’avenir du monde et le changement de paradigme universelle garantissant notre survie terrestre.
La frugalité intellectuelle doit ainsi précéder celle de la consommation et de la production, et nous permettre une centration sur l’essentielle : la construction de l’avenir de notre espèce en symbiose avec la planète et l’univers.
Pour autant, le fait de devoir le penser n’amène pas à le penser directement. Et c’est bien somme toute la réinscription d’une optique civilisationnelle dans son ensemble qui doit rendre sa conscience à chacun de nos actes humains, comme expression lucide de notre humaine condition. Le tout étant alors d’essayer d’associer la pensée et l’action ».
Notes économiques
Le 28 décembre 2020
Stéphane Salord