Stephanie Lamy (avatar)

Stephanie Lamy

Féministe, chargée d'enseignement, chercheuse

Abonné·e de Mediapart

11 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 mars 2025

Stephanie Lamy (avatar)

Stephanie Lamy

Féministe, chargée d'enseignement, chercheuse

Abonné·e de Mediapart

Pour une mémoire inclusive : rendre hommage aux victimes de tous les terrorismes

Trop souvent ignorées, les violences faites aux femmes et minorités de genre précèdent les actes terroristes. Invisibiliser ces victimes, c'est nier une réalité où misogynie et violences sexistes et racistes alimentent l'extrémisme. En cette Journée d’hommage, élargissons notre devoir de mémoire à toutes les victimes d'attentats, y compris masculinistes.

Stephanie Lamy (avatar)

Stephanie Lamy

Féministe, chargée d'enseignement, chercheuse

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a plus invisible que la victime du terrorisme, les femmes victimes de terrorisme masculiniste.

Illustration 1
Le 26 août 1970, dépot d'une gerbe en hommage de la femme du soldat inconnu par le MLF.

En cette Journée nationale d’hommage aux victimes du terrorisme, il relève de notre devoir de mémoire de commémorer celles et ceux qui ont perdu la vie, subi des blessures physiques ou traversé des traumatismes indélébiles. Ce moment de recueillement est également l'occasion de reconnaître une avancée judiciaire historique cette année : pour la première fois en France, la justice a reconnu qu'un projet d'attentat déjoué à Annecy relevait d'un acte terroriste à caractère masculiniste, une décision qui marque une prise de conscience tardive, mais nécessaire de la violence extrémiste fondée sur le suprémacisme de genre masculin. Ce tournant devrait par ailleurs susciter une prise de conscience pour inclure toutes les victimes d'actes terroristes dans nos commémorations et de mener une réflexion profonde concernant les victimes invisibilisées et les violences systémiques perpétuées par certaines politiques sécuritaires.

Violences faites aux femmes et aux enfants, marqueur du passage à l’acte terroriste

Il est urgent de reconnaître que les violences faites aux femmes sont bien souvent un précurseur du passage à l'acte terroriste. Cette corrélation, reconnue dans la doctrine britannique de lutte contre la radicalisation, reste trop largement ignorée en France. Les faits pourtant parlent d'eux-mêmes. Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, auteur de l'attentat du 14 juillet 2016 à Nice, qui a causé la mort de 86 personnes et blessé plus de 450 autres - dont de nombreux enfants - été sur le point de perdre ses droits parentaux pour commission de violences sur sa conjointe et enfants. Mickaël Harpon, responsable de l'attentat à la Préfecture de Police de Paris en 2019, qui a tué 4 personnes, avait également été impliqué dans des violences envers son ex-épouse. Frédérik Limol, survivaliste ayant tué trois gendarmes en 2020 dans le Puy-de-Dôme, avait auparavant maltraité ses deux ex-compagnes. Ces femmes, ces enfants et ces proches sont les premières victimes des auteurs d'attentats. Elles et ils sont les premières cibles sur lesquelles les terroristes s'entraînent à la violence.

Le terrorisme international ne se réduit pas au djihadisme

Bien que la date de la Journée en hommage des victimes de terrorisme choisie par l'Union européenne commémore l'attentat de la gare de Madrid-Atocha commis par al Qaida et faisant 191 mort.e.s et 2000 bléssé.e.s, il est crucial de ne pas réduire la question du terrorisme à la seule violence djihadiste. Cette vision réductrice participe à invisibiliser les autres formes d'extrémisme qui tuent, notamment les mouvances masculinistes et suprémacistes blanches. L'assassinat de Mélanie Ghione en 2020 en est un exemple glaçant. Cette femme a été tuée par un militant des MGTOW ("Men Going Their Own Way"). Au cours de cette attaque, l'agresseur a également tenté de violer et de tuer la sœur de Mélanie Ghione, ainsi que d'assassiner son nouveau compagnon. Mes pensées vont à elle, à ses proches, et à toutes les victimes invisibilisées du terrorisme masculiniste dont les noms et les visages resteront inconnus. 

Les violences masculinistes sont continuellement exclues des catégories classiques du terrorisme en raison des types de violences commises (surtout sexuelles), des espaces dans lesquels ces violences sont commises (dit “privé”) ou encore à cause de la normalisation de la misogynie qui suscite le passage à l’acte. Ces victimes sont ainsi effacées de la mémoire collective et privées de la reconnaissance publique qu’elles méritent. L'absence de cette reconnaissance est le reflet d'une société qui banalise et normalise la misogynie et les violences faites aux femmes.

Sortir de l'approche militariste

Les décompte des victimes ne se réduit pas aux décès des "combattants sur le champ de bataille" de la République - notion viriliste et militariste appliqué à des victimes civiles. Car les attentats ont des conséquences sociales et psychologiques qui dépassent la zone de l'attentat, qui pèsent de manière disproportionnée sur les femmes. Ces dernières deviennent majoritairement celles qui prennent soin des proches blessés ou traumatisés, en particulier les enfants. Ce rôle invisibilisé de soutien post-attentat accentue les inégalités genrées et aggrave les impacts sociaux de ces violences.

Les femmes dans la lutte contre le terrorisme

Par ailleurs, bien que les femmes soient de plus en plus présentes dans les dispositifs de lutte contre la radicalisation et les services de sécurité, elles restent largement exclues des postes stratégiques et de direction en matière de politiques antiterroristes. Cette invisibilisation limite la prise en compte des dynamiques genrées dans les approches sécuritaires et entrave la construction de politiques plus inclusives et efficaces.

Une victimisation secondaire par nos politiques sécuritaires

En partie à cause d’une réduction au seul fait djihadiste, les violences institutionnelles liées à la lutte contre le terrorisme touchent de manière disproportionnée les minorités. Les politiques antiterroristes en France se traduisent par des perquisitions abusives, des contrôles au faciès et une stigmatisation systémique des femmes musulmanes, qui sont perçues à la fois comme des cibles et comme des menaces. 

Pour une commémoration inclusive de toutes les victimes de terrorisme

Le terrorisme masculiniste, raciste et d'extrême-droite doit être reconnu comme une menace égale à celle que représentent les violences djihadistes. En invisibilisant les victimes de ces courants idéologiques, en ignorant la portée politique et symbolique de ces violences, nous perpétuons l'idée selon laquelle les vies des femmes et des minorités valent moins. Nous devons à l'ensemble des victimes de toutes formes d'extrémisme une politique globale, ambitieuse et inclusive, qui mette fin à la normalisation des violences sexistes et racistes.

Rendre visible la diversité des victimes et des formes de terrorisme est non seulement un devoir de mémoire, mais aussi une nécessité absolue pour prévenir de futurs attentats.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.