« Hier, on a vu sur toutes les chaînes de télé des reportages disant que j’étais dans la meilleure prison qui soit, dans des conditions parfaites, avec des repas comme au restaurant.
Aujourd’hui, c’est la troisième personne de mon unité qui vient d’être hospitalisée pour tuberculose. Sur 15 personnes, ça fait 20% de malades, c’est beaucoup plus que le seuil épidémiologique. Alors on pourrait penser qu’il s’agit d’une urgence, et qu’on va entendre les sirènes des secours ? Mais non, tout le monde s’en fout ; tout ce qui tracasse la direction, c’est la façon de dissimuler ces chiffres.
On dirait un mème :
Petit garçon : il met un masque pour se protéger du coronavirus.
Homme : il dort sur sa couchette à côté d’un tuberculeux qui tousse.
Voilà comment elle est, notre "prison parfaite et exemplaire". Les condamnés font tous des prières pour ne pas s’y retrouver, et à l’intérieur, c’est la saleté, la tuberculose et pas de médicaments. En voyant l’état des assiettes dans lesquelles on met la bouffe, je suis vraiment surpris qu’on n’y trouve pas de virus Ebola.
Quand on a emmené le troisième tuberculeux, nous sommes allés regarder le panneau sur la « Prévention des maladies » qui parle de la tuberculose.
Il y est écrit qu’on doit booster son immunité avec une alimentation saine, pleine de protéines.
D’abord, les autres se sont tous moqués de moi bien sûr, et ensuite d’eux-mêmes, car notre ration de viande a été volée au départ de Moscou. À Vladimir, ce sont l’huile et les légumes qui ont disparu. Et sur place, à Pokrov, ils ont piqué les dernières miettes, en laissant aux détenus une bouillie d’avoine, style « colle » et des patates congelées. Allez-y, renforcez-la votre immunité avec ça !
Alors ma réponse à tous ces reportages est simple : il n’y a pas un seul mot de vrai. Ni dans les grandes lignes, ni dans les détails.
Et j’invite les correspondants des chaînes de Poutine à passer la nuit dans notre « prison idéale » sur un lit à côté d’un détenu qui tousse.
Ou au moins à côté de moi. Je cite les données officielles de la prise de température d’aujourd’hui : « A.A. Navalny, forte toux, température 38,1°C ».
Mais il y a aussi un côté positif : comme on dit, il faut « soigner le mal par le mal », alors si j’ai la tuberculose, peut-être que cela fera disparaître mes douleurs au dos et l’engourdissement de mes jambes. Ce serait bien.
Renforcez votre immunité !
P.S.
Je continue la grève de la faim, bien sûr. J’ai le droit légal d’appeler un médecin à mes frais. Je ne l’abandonne pas, car les médecins de prison sont aussi fiables que la télé publique. »
Alliance des médecins
Le syndicat Alliance des médecins a lancé une pétition en faveur d’un juste accès aux soins et d’un arrêt des mauvais traitements pour Navalny, qui rassemble déjà plus de 1000 signatures de médecins. Il a aussi donné aux autorités jusqu’à lundi soir 5/04 pour répondre à ses demandes. Devant leur refus et ces dernières nouvelles inquiétantes sur la santé de l’opposant, la dirigeante du syndicat, la docteure Anastasya Vasilyeva demande à tous les personnels de santé de se rendre mardi 6/04 à la colonie pénitentiaire de Pokrov située à une centaine de kilomètres de Moscou pour voir et apporter les soins nécessaires à Navalny et à tous les malades atteints de tuberculose de la prison.
Sur le compte Twitter de son équipe, elle conclut : « C’est non seulement la vie de Navalny qui est en jeu, mais aussi celles de beaucoup d’autres ; on se croirait en 1943. Demain, nous n’allons pas manifester, nous allons sauver des vies. »