Le 30 juin, une journée de mobilisation historique au Soudan
Hier, des millions de soudanais-es sont sorti-e-s dans les rues dans la plupart des villes du Soudan, exigeant la fin du régime militaire et la remise du pouvoir aux civils. Cette manifestation du 30 juin à eu lieu en un jour de commémoration de deux événements importants de l'Histoire du Soudan. Le premier évènement était la prise de pouvoir des Frères musulmans au Soudan, le 30 juin 1989, lors d'un coup d'État militaire dirigé par l'ancien président déchu Omar Al-Bashir, après avoir renversé le gouvernement démocratique dirigé par Al Sadiq al-Mahdi. Le second évènement à être commémoré a eu lieu le 30 juin 2019, il s’agit d’immenses manifestations qui avaient pour objectif de contraindre la composante militaire à reprendre les négociations avec les forces de la Déclaration de liberté et de changement. Ces manifestations ont permis un accord stipulant la répartition du pouvoir entre les militaires et les composantes civiles pour une période transitoire de trois ans.
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Pourquoi les Soudanais-e-s rejettent le gouvernement militaire ?
Le 25 octobre 2021, le chef du Conseil souverain du Soudan, le lieutenant-général Abdel Fattah al-Burhan, a annoncé la destitution du gouvernement, la déclaration de l'état d'urgence et la suspension d'articles du document constitutionnel. Les services de sécurité ont également arrêté durant la même période, un certain nombre de membres du gouvernement de transition soudanais et de dirigeants civils, dont l'ancien Premier ministre soudanais, Abdullah Hamdok. Le coup d'État d'octobre a provoqué des manifestations qui n'ont pas cessé pendant huit mois. Plusieurs pays, dont les États-Unis, ont critiqué le coup d'État et appelé à un retour à la voie démocratique. En juillet 2019, le Conseil militaire soudanais avait signé un accord avec les Forces de la Déclaration de liberté et du changement pour partager le pouvoir et mettre en place un plan pour la phase de transition. Cependant, la composante militaire a renversé l'accord et a complètement retiré la composante civile du pouvoir en octobre 2021.
Depuis, les Nations Unies et l'Union africaine tentent de superviser des négociations entre les partis soudanais en conflit dans le but de trouver une solution à la crise politique en cours dans le pays. Malgré la grande mobilisation des citoyen-ne-s et de toutes les forces d'opposition, les objectifs sont différents entre chaque partis. Certains groupes, parmi lesquels on compte les comités de résistance (comités populaires qui organisent la mobilisation par quartier), réclament le renversement complet du coup d'État et au procès de ses dirigeants, et restent attachés à leur slogan : "Pas de négociation, pas le partenariat et pas de légitimation". D’autres tentent de profiter de l'élan populaire pour obtenir des concessions des militaires lors des négociations, comme c'est le cas pour les partis politiques représentés par les Forces de la liberté et du changement.
Appels et annonces pour les manifestations du 30 juin
Depuis une semaine, des appels à la mobilisation pour le 30 juin ont été lancés dans les quartiers. Les comités de résistance ont organisé des appels à manifestation quotidiens dans les quartiers, et ont distribué des banderoles et des tracts. Mercredi, la ville de Khartoum a été témoin de manifestations appelant les citoyens à participer à celles du lendemain, le 30 juin. Lors de ce cortège du mercredi, les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants dans les quartiers de Burri et de Omdurman, ainsi que dans le sud et l'est de la capitale. Le Comité central des médecins soudanais a annoncé la mort le 29 juin d'un manifestant ayant reçu une balle dans la poitrine tirée par les forces de sécurité dans la ville de Bahri, au nord de la capitale.
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Mesures de sécurité renforcées avant le début des manifestations
Jeudi matin, la capitale soudanaise, Khartoum, a connu une interruption des services Internet. Ce n'est pas la première fois qu’internet est coupé avant des manifestations. Depuis la prise du pouvoir par l'armée, le pays connaît des coupures d'internet, pour tenter de perturber le mouvement quasi hebdomadaire de contestation par des manifestations. Les autorités ont également fermé des routes et des ponts reliant la ville de Khartoum, Omdurman et Bahri, arrêté un certain nombre de militant-e-s et de personnalités politiques avant le début de la manifestation, et fermé les marchés et les magasins.
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Grandes manifestations dans les villes soudanaises
Khartoum n'est pas la seule à s'être prononcée hier pour exiger la fin du régime militaire et la remise du pouvoir aux civils ; un grand nombre de villes soudanaises ont dénoncé le coup d'État et exigé un régime civil et la justice pour les victimes. Les habitant-e-s de Darfour, El Fasher, Nyala et El Geneina sont sorti-e-s malgré la répression excessive contre les manifestants. Toutes les autres grandes villes comme Port Soudan, Atbara, Kassala, Gedaref, Al-Abyad et Wad Madani dans l'État d'Al-Jazirah ont également manifesté.
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Le soir quand les manifestants ont été dispersés par les gaz et la répression, ils et elles ont organisé des sit-in dans certains quartiers qui ont duré jusqu'à très tard ans la nuit, notamment dans le quartier de Chambat à Bahri, dans le quartier de Buri à l'est de Khartoum avec les habitants de Khartoum-Sud. À Omdurman les manifestants sont restés devant le parlement soudanais jusqu'à très tard de la nuit avant d'être disperser par l'autorité.
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Au moins dix morts et des centaines de blessés
Le Comité central des médecins soudanais a annoncé qu'au moins 10 manifestant-e-s ont été tués hier, jeudi, lors de la manifestation du 30 juin. Des centaines des manifestant-e-s ont été blessé-e-s dans la ville d'Omdurman, à l'ouest de Khartoum et les forces de sécurité ont dispersé une manifestation condamnant le régime militaire au Soudan près du palais présidentiel du centre de Khartoum. Plus tôt jeudi, le comité a annoncé dans un communiqué via Twitter que deux personnes étaient mortes lors des manifestations dans la ville d'Omdurman.
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Soutien aux manifestant-e-s à l'international
D'autre part, une déclaration conjointe des ambassades à Khartoum des États-Unis, de Grande-Bretagne, du Canada, de Norvège, de Suisse et du Japon, publiée par l'ambassade américaine via Twitter, indique que les manifestations pro-démocratie montrent que le peuple soudanais veut une transition démocratique. La déclaration appelle tous les partis à travailler ensemble dans le cadre du processus politique, pour trouver une voie vers une transition démocratique, tout en affirmant le droit du peuple soudanais à manifester sans peur ni violence. La déclaration a également exhorté tous les partis au Soudan à faire preuve de retenue et à protéger les civils.
Dans plusieurs villes à l'étranger, les soudanais-e-s ont manifesté en même temps pour montrer leurs soutien. En France, les soudanais-e-s ont manifesté devant l'ambassade soudanaise à Paris, où ils et elles ont affirmé leurs soutien aux manifestant-e-s. En Angleterre, les soudanais-e-s ont manifesté à Londres, à Birmingham, et à Manchester. Il y a eu des manifestations dans plusieurs villes aux Etats-Unis aussi.
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Larges réactions des partis politiques et silence total de l’armée
Après la manifestation, à laquelle des millions de soudanais-e-s ont participé, un certain nombre de partis politiques ont publié des déclarations, ils ont salué les manifestants et les ont appelés à continuer à manifester jusqu'à ce que le coup d'État soit renversé. Dans ce contexte, le Parti communiste soudanais a publié une déclaration dans laquelle il a renouvelé sa position de refus de dialoguer avec la composante militaire et de continuer à manifester jusqu'au renversement des putschistes. Le Parti du Congrès soudanais, les comités de résistance et les syndicats professionnels ont également publié des déclarations confirmant leur poursuite sur la voie de la lutte. L'armée, elle, n'a fait aucune déclaration dans le contexte des manifestations d'hier.
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Par Equipe de Sudfa
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