Il est pas anormal que ces sentiments et discours contradictoires émergent simultanément : d'un côté, il est impossible de masquer le fait que l'élection de Macron est extrêmement probable -comme on le verra plus loin- de l'autre tant Macron que Le Pen ont intérêt à faire accroire que les jeux ne sont pas faits : Macron, pour ne pas démobiliser les électeurs qui souhaitent sa victoire face à Le Pen (c'est à dire environ les deux tiers d'entre eux) même s'ils n'ont pas voté pour lui au premier tour (ce qui est le cas le plus fréquent puisqu'il n'a obtenu que 24% des suffrages exprimés, soit 18% des électeurs inscrits) et tenter d'obtenir la victoire la plus ample possible, Le Pen pour de pas démobiliser ceux qui ont voté pour elle où qui, sans l'avoir fait, sont disposés à le faire au second tour.
Macron et Le Pen ont donc en l'espèce un intérêt conjoint, bien que dissimulé. Cet intérêt rejoint celui du monde médiatique qui vit de la vente de journaux, d'abonnements, d'espaces publicitaires ou d'audience aux annonceurs. C'est donc toute la classe politico-médiatique qui a intérêt à entretenir le suspense. Les périodes électorales sont bonnes pour la santé de la presse, mais encore faut-il qu'il y ait un suspense minimal.
Lorsque l'on observe les résulats des sondages effectués quotidiennement, ce suspense semble ne pas devoir exister : tous les sondages de second tour où Le Pen est opposée à Macron (environ 90) ont toujours donné Macron vainqueur, avec une avance particulièrement confortable et stable, de l'ordre de 25. Ceci n'est d'ailleurs pas propre à Macron: depuis 2013, Le Pen était donnée qualifiée pour le second tour dans tous les sondages (plus de 200), sans exception, et le plus souvent qualifiée devant son concurrent du second tour, ce qui n'a pas été le cas. Tous ces sondages, à l'exception d'un seul (un second tour improbable où elle aurait été opposée à Hollande alors que ce dernier touchait le point le plus bas de son impopularité) ont toujours donné Le Pen battue au second tour, et ce quel que soit son adversaire -avec une marge confortable, voire très confortable- au bénéfice de ce dernier. Et c'est contre Macron que Le Pen enregistrait ses résultats les plus faibles, ce qui n'est pas surprenant compte tenu du fait qu'occupant l'espace central sur l'axe droite-gauche, Macron était -et demeure- le candidat qui déplait au plus petit nombre d'électeurs.
Le site du Huffington Post complile ces différents sondages afin de calculer une moyenne mobile des six derniers et de faire apparaitre la tendance et ses évolutions. Hier soir, 27 avril, voici ce que cela donnait en prenant en compte les 81 derniers sondages publiés :

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On peut à la fois noter la marge très substantielle dont dispose Macron, et également sa stabilité dans le temps. En particulier, il n'y a pour ainsi dire aucune baisse significative de ce dernier depuis que le résultat du premier tour est connu.
A ceux qui ont des doutes sur la validité de ces sondages, je leur suggère de lire mon billet précédant comparant la moyenne des sondages faits avant le premier tour et les résultats : https://blogs.mediapart.fr/sycophante/blog/250417/remarquable-performance-des-sondeurs-crash-des-methodes-alternatives Il convient également de rappeler qu'historiquement les sondages portant sur le second tour sont meilleurs que ceux portant sur le premier tour, ce qui est normal. Il n'y a plus que deux candidats, le choix est donc binaire, il y a moins d'indécis (actuellement 12 à 13% contre près de 30% avant le premier tour) et les électeurs changent moins souvent de camp qu'il ne changent de candidats à l'intérieur d'un même camp comme cela est possible au premier tour. Il n'y a plus de vote stratégique ou utile : il s'agit simplement de choisir le meilleur, ou d'éliminer le pire. A ceux qui pensent qu'une partie des électeurs d'un candidat éliminé pourrait se reporter sur Le Pen, voter blanc où s'abstenir, il convient simplement de rappeler que c'est bien le cas en effet, mais que ceci est déjà pris en compte dans les intentions de vote des sondages de second tour.
Est ce à dire que Macron est certain de gagner ? Non, mais pour cela il convient de rappeler quelques éléments de statistiques.Lorsqu'un sondage accorde x% d'intentions de votes à un candidat, le sondage présente nécessairement une marge d'erreur (ou intervalle de confiance) dont l'ampleur dépend de la taille de l'échantillon et du pourcentage x du candidat en question. Le tableau ci-dessous, extrait de la dernière étude du CEVIPOF réalisée avant le premier tour, résume ainsi les choses :

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Ainsi, lorsqu'un sondage accorde 38% à Le Pen, ce qu est actuellement son score moyen, et que ce sondage a été réalisé auprès d'un échantillon de 1 000 personnes, la marge d'erreur statistique est de 3 points. Ceci signifie, que la probabilité que le score de Le Pen soit compris entre 35% et 41% est de 95%. Pour un échantillon beaucoup plus vaste, comme celui utilisé par le CEVIPOF (8 000 personnes ayant l'intention de voter), la marge d'erreur est réduite à 1 point et il y a donc 95% de chances que le score de Le Pen soit alors compris entre 37% et 39%. Naturellement, plus le niveau de confiance requis est élevé (presque tous les sondages retiennent le seuil de 95%, habituel dans les études économétriques), plus la marge d'erreur est importante (1).
Quid des 5% par conséquent ? Une autre façon de dire ce qui précède est qu'il y a 5% de chances que le score de Le Pen ne soit pas compris dans la fourchette en question, c'est à dire, pour un échantillon de 1 000 personnes, que dans 5% des cas, le score de Le pen sera inférieur à 35% ou supérieur à 41%. Question : jusqu'ou Le Pen peut elle baisser ? Ou plutôt, ce qui intéressera sans doute davantage de lecteurs, jusqu'ou Le Pen peut elle monter ? Et quelle est la probabilité qu'elle dépasse le seuil fatitique de 50% ? La réponse à cette question est connue car les scores électoraux possibles, comme beaucoup de phénomènes naturels aléatoires, obéissent à une loi statistique dite loi normale (ou distribution gaussienne) qui est une courbe en cloche comme représentée ci dessous. Dans cet exemple, c'est une réparation d'habitants par taille qui y figure :

La taille moyenne des individus représentés est de 1,75m, mais certains, peu nombreux ont une taille inférieure à 1,50m, voire 1,40 m, tandis que d'autres, également peu nombreux, ont une taille dépassant 1,90m, voire 2 mètres.
Bien que la technique ne soit pas, à ma connaissance, développée en France, il existe aux Etats Unis et en Grande Bretagne des modèles de simulation déduisant des sondages d'intentions de votes les probabilités qu'un candidat gagne en prenant en compte l'ensemble des distributions de votes possibles, y compris par conséquent les 5% de cas où le résultat n'est pas compris dans l'intervalle de confiance. L'un de ces simulateurs figure sur un blog hébergé par The Economist (2). Un autre est développé par The Crosstab et ce sont les résultats de ce dernier, les plus favorables à Le Pen, qui figurent ci-dessous. Ceux qui sont intéressés par la méthodologie de construction de ces modèles de simulation peuvent se reporter à la note de bas de page 3.
The Crosstab prend d'abord en compte tous les sondages afin d'établir une moyenne dans laquelle les sondages les plus récents ont plus de poids que les plus anciens selon une méthode très proche de celle du Huffington Post. Le score moyen de Macron ressort ainsi ce 28 avril au matin à 61,8%, et celui de Le Pen à 38,2% :

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Puis, le modèle effectue environ 10 000 simulations des résultats possibles en fonction de ces sondages, faisant ainsi apparaitre l'ensemble de la distribution des résultats possibles, ce qui aboutit au résultat suivant :

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Comme on peut le constater, le résultat de ces simulations fait apparaitre que Le Pen atteint ou dépasse le seuil de 50% dans un faible nombre de cas. Faible, mais non nul...Symétriquement, il existe un faible nombre de cas où Macron atteint, voire dépasse 75% des suffrages exprimés.
Quelle est la probabilité que Le Pen dépasse 50 % ? A cette question, le modèle accorde actuellement à Le Pen une probabilité de 2,56% comme on peut le voir ci-dessous :

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Ceci correspond donc à une chance sur quarante...
Il n'est pas sans intérêt de constater que les chances de Le Pen ont diminué depuis dimanche tandis que deux autres candidats, Fillon (en bleu) et Mélenchon (en rouge), ont vu leurs chances réduites à zéro alors qu'ils avaient, jusqu'à samedi, respectivement, environ 11% et 13% de chances de gagner l'élection.
Les deux phénomènes sont liés : si les chances de Le Pen ont baissé, c'est parce qu'elle avait plus de chances de battre l'un ou l'autre de ces candidats que de battre Macron. Ce dernier est donc le grand bénéficiaire du premier tour : non seulement il se qualifie, mais il est opposé à la candidate qu'il avait le plus de chances de battre au second tour...
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(1) En toute rigueur, il convient de préciser que la marge d'erreur ne peut être calculée que s'agissant d'échantillons aléatoires et qu'elle n'est pas calculable s'agissant de sondages qui reposent, comme en France, sur la méthode des quotas. La Commission des Sondages exige néanmoins leur publication et il est alors fait l'hypothèse que celle-ci est égale à celle qui serait issue d'échantillons aléatoires. La méthode des quotas est supposée être plus fiable que la méthode statistique aléatoire (mais plus onéreuse). Mais, en sens inverse, peuvent s'ajouter à l'aléa statistique théorique d'autres aléas augmentant la marge d'erreur : mauvais calibrage des quotas, mauvais redresseements inhérents à a méthode, de même que d'autres existants également avec l'échantillonage aléatoire : mensonges des sondés plus fréquents s'agissant d'un candidat que d'un autre, erreurs de calculs etc..
(2) Le modèle figurant dans le blog de The Economist accorde moins de 1% de chances à Le Pen. Il figure ici : http://www.economist.com/blogs/graphicdetail/2017/04/daily-chart-5
(3) Sur les aspects techniques de la modélisation de Crosstab : http://www.thecrosstab.com/2017/02/14/france-2017-methodology/
Sur celle figurant dans le blog de The Economist : http://www.economist.com/blogs/graphicdetail/2017/04/election-forecasting