Mmes Taubira, Aubry, Romagnan, MM. Dray, Hamon, le groupe PS au conseil de Paris, mais également des journalistes de Mediapart (Mathieu Magnaudeix et Dan Israël, mais non Edwy Plénel) et bien d'autres personnalités ont pris position contre le projet de révision constitutionelle prévoyant la possibilité de déchoir de sa nationalité française un binnational né français en invoquant l'agument selon lequel une telle disposition remmettrait en cause le droit du sol, certains d'entre eux assurant de surcroît qu'il constituerait un prinicipe essentiel de la République.
Si l'on peut se réjouir de voir ces personnes prendre parti contre ce projet (auquel je suis personnellement totalement opposé), il est malencontreux qu'elles avancent un argument sans fondement. Le pouvoir aura en effet beau jeu de dire que son projet ne remet pas en cause le droit du sol, et Valls a d'ailleurs commencé à discourir en ce sens.
Ce projet ne remet pas en cause le droit du sol car le droit du sol car le droit du sol ne permet à personne de naître français selon le droit français de la nationalité.
Ceci surprendra certainement beaucoup des lecteurs de ce billet mais c'est la stricte vérité juridique. Aucune disposition du conde de la nationalité ne permet à une personne née en France d'être française de ce seul fait, ce qui est la définition du droit du sol. Le droit du sol existe dans plusieurs pays, le cas le plus connu étant sans doute celui des Etats Unis, mais de nombreux autres pays ont adopté le droit du sol par lequel n'importe quelle personne née dans ce pays acquière, dès sa naissance, automatiquement, la nationalité de ce pays (1).
Pour naître français, il n'existe en effet que deux possibilités :
Est française toute personne dont l'un au moins des parents est français, quelle que soit son lieu de naissance. C'est l'application du droit du sang. La nationalité française est alors acquise par filiation et c'est bien évidement, de très loin, le mode le plus fréquent par lequel on devient français.
La deuxième possibilité permettant de naître français est de naître en France d'au moins un parent qui est lui même né en France. C'est ce que l'on appelle le double droit du sol. C'est le cas de la France, mais le double droit du sol existe également dans d'autres pays (2). Cest lui que Patrick Weil qualifie "d'usage républicain".
La plus grande partie des binationaux résidants en France sont binationaux en vertu du droit du sang : ils sont français car l'un au moins de leurs parents est français. C'est le cas de tous ceux qui sont issus d'une union mixte. C'est le cas notamment si leur père est algérien, tunisien ou marocain. En effet, leur père, même s'il a acquis la nationalité française, demeure algérien, tunisien ou marocain, la nationalité se transmettant dans ces pays par le père et celui-ci ne peut renoncer à sa nationalité. Leurs enfants seront alors automatiquement algérien, tunisien ou marocain, quand bien même ni eux, ni leurs parents, n'ont mis les pieds au Maroc, en Tunisie ou en Algérie.
L'autre partie des binationaux, plus restreinte, est française en vertu du double droit du sol : ils sont nés en France et l'un au moins de leurs parents est lui même né en France. C'est donc le cas de tous ceux, nés en France, dont les parents sont étrangers mais dont un parent est né en France. S'il s'agit de leur père, et que ce père est algérien, tunisien ou marocain, ils sont également aussi, automatiquement, algérien, marocain ou tunisien.
Ce projet de révision constitutionnelle ne remet donc pas en cause le droit du sol puisqu'il ne permet pas de naître français. Il remet en revanche en cause le droit du sang et, de façon plus minoritaire, le double droit du sol.
Cette mesure remet surtout en cause un principe fondamental reconnu par les lois de la République, lesquels ont valeur constitutionelle. Dans son avis du 17 décembre dernier sur le projet de révision constitutionelle, le Conseil d'Etat écrit en effet ceci :
"Ccette mesure pourrait se heurter à un éventuel principe fondamental reconnu par les lois de la République interdisant de priver les Français de naissance de leur nationalité. Il est vrai qu’à supposer que les conditions de reconnaissance d'un tel principe soient réunies, cette circonstance ne suffirait pas nécessairement à le reconnaître.
Surtout, la nationalité française représente dès la naissance un élément constitutif de la personne. Elle confère à son titulaire des droits fondamentaux dont la privation par le législateur ordinaire pourrait être regardée comme une atteinte excessive et disproportionnée à ces droits, qui, par suite, serait inconstitutionnelle. La mesure envisagée par le Gouvernement poserait, en particulier, la question de sa conformité au principe de la garantie des droits proclamé par l'articile 16 de la Déclaration des des droits de l’Homme et du citoyen [de 1789]".
Le projet porte atteinte à un élement constitutif de la personne née française et c'est avant tout pour cette raison qu'il est inacceptable.
Il convient de citer un deuxième argument, également répandu mais également faux : certains affirment que ce projet créérait deux catégories de français et constituerait de ce fait une rupture du principe d'égalité entre citoyens. Il n'a pas davantage de fondement que celui portant sur le droit du sol. Dans son avis, le Conseil d'Etat indique en effet ;
"Le Conseil d'Etat considère que si devait être instituée la déchéance de la nationalité française pour des binationaux condamnés pour des faits de terrorisme, le principe de cette mesure devrait être inscrit dans la Constitution, eu égard au risque d'inconstitutionnalité qui pèserait sur une loi ordinaire.
Ce risque ne provient pas d’une éventuelle méconnaissance du principe d’égalité.
Certes, la mesure envisagée par le Gouvernement ne concernerait que les Français disposant d'une autre nationalité, mais ceux-ci ne sont pas, au regard de cette mesure, dans la même situation que les personnes qui ne détiennent que la nationalité française, car déchoir ces dernières de leur nationalité aurait pour effet de les rendre apatrides.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a jugé que les personnes nées françaises et celles ayant obtenu la qualité de Français par acquisition étaient dans la même situation au regard du droit de la nationalité. Dès lors, en élargissant aux personnes nées françaises la sanction de la déchéance déjà autorisée par le code civil pour les personnes devenues françaises par acquisition, la disposition envisagée ne crée pas non plus une rupture d’égalité entre ces deux catégories de personnes".
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Si lon entend mettre en échec ce projet qui, pour la première fois depuis Vichy, autoriserait le Gouvernement à déchoir de sa nationalité une personne née française, il vaut mieux éviter d'utiliser des argments sans valeur que le Pouvoir aura beau jeu de réfuter aisément.
Il faut dire que ce projet porte atteinte à un élement constitutif et fondamental de la personne née française et qui se trouve par aileurs être binationale en raison du fait que l'un ou moins de ses parents dispose, qu'il en convienne ou pas, d'une autre nationalité.
(1) C'est le cas notamment au Brésil, du Mexique et de la plupart des pays d'Amérique du Sud.
(2) Par exemple, en Espagne.
Ouvrage de référence : Weil (Patrick), Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Grasset, 2002