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Billet de blog 18 août 2024

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Morts invisibles Colonialisme systémique

Une dérouleuse agricole de film plastique lui a sectionné un bras. Le fils du patron l’a ramené et déposé devant chez lui (façon de parler, une baraque en tôle de cinq mètres carrés). Il s’est vidé de son sang et en est mort. Il s’appelait Singh. Il était Indien. Pourtant cet épisode n’a pas été média(par)tisé en France.

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Morts invisibles

Colonialisme systémique

Une dérouleuse agricole de film plastique lui a sectionné un bras. Le fils du patron l’a ramené et déposé devant chez lui (façon de parler, une baraque en tôle de cinq mètres carrés). Il s’est vidé de son sang et en est mort.

Il s’appelait Singh. Il était Indien.

Ça s’est passé près de chez nous en UE, en juin de cette année, en Italie plus précisément, dans le marais pontin à quelques encâblures du pouvoir politique italien. Les médecins légistes ont certifié qu’il aurait pu être sauvé s’il avait été directement amené à l’hôpital.

Et voici qu’un deuxième Singh, Satnam, Sikh, meurt ce 16 juillet, à 54 ans à Borgo Piave pas loin d’où est mort son compagnon d’esclavage, probablement de chaud et d’épuisement…

Ces épisodes terribles d’accidents du travail de migrants sont récurrents et relatés régulièrement dans le journal italien en ligne « Il fatto quotidiano ». Pourtant ces épisodes ne sont pas média(par)tisés en France. Je me résous donc à cogner sur mon clavier.

Il s’agit en vérité d’un véritable système économique colonial.

Le caporalat, un colonialisme systémique

Sauf qu’il est inutile d’aller conquérir des pays lointains… Il y a beaucoup plus simple. Il suffit de transférer la main d’œuvre c’est beaucoup plus rentable et invisible. En Italie on appelle ça le caporalat (caporalato)qui évoque de terribles épisodes de l’histoire européenne…  Un intermédiaire, de la même origine que les ouvriers migrants, sert de lien entre le propriétaire agricole et ses compatriotes. Ainsi une barrière étanche sépare les exploités de l’exploiteur qui la plupart du temps n'a même pas besoin de les rencontrer. Ce caporal est bien sûr libre de traiter comme bon lui semble les ouvriers et il ne s’en prive pas.

Des intermédiaires indiens ayant séjourné en Italie et connaissant parfaitement les filières et les arcanes administratives italiennes ont organisé un transfert de bras d’Inde vers l’Italie. Des bureaux de recrutement promettent en Inde des contrats de travail réguliers.

À l’arrivée en Italie la réalité est bien différente.

A Vérone (dans le Nord opulent pour les intégrés de la division internationale du travail ) une filière a été démantelée : contre 17 000 euros on promettait en Inde aux recrutés contrat de travail en bonne et due forme. Une fois arrivés en Italie, leurs papiers étaient confisqués. Ils étaient entassés dans des hangars douteux avec juste le minimum pour se laver et dormir. Ils travaillaient 10 à 12h par jour 7 jours sur 7 pour 4 euros de l’heure. Mais ils ne voyaient jamais cet argent car il était déduit des 17 000 euros qu’ils devaient rembourser… Cet argent qu’ils avaient rassemblé à coups d’endettements en Inde et de vente de leurs maigres biens.

Le même système existe avec des Chinois, eux intégrés dans la filière du luxe et du textile. Les maltraitances sont les mêmes.

Morts invisibles systémiques, désormais indispensables à notre organisation du travail : prix bas dans nos supermarchés (fréquentés évidemment par les plus pauvres, dont forcément les migrants) sous-traitance dans de nombreux secteurs, notamment le bâtiment, et esclavage quotidien pour ce qui est du travail agricole en particulier en Italie (mais ce n’est guère différent en Espagne, les producteurs espagnols eux se plaignant de la concurrence déloyale du Maroc…).

Racisme inutile

Dans le cas de Singh et de ses compagnons d’esclavage le racisme n’est même pas utile. Bizarrement pas de cris horrifiés de nos intellectuels décoloniaux. Il avait pourtant la bonne couleur de peau Singh… Il est pourtant facile de se tenir informé de tels faits. Les tragédies des migrants qui survivent aux cimetières marins méditerranéens le sont bien et à juste titre. Concernant les migrations d’Afrique vers l’Europe, des flots d’articles relatent ces insupportables épisodes et soulèvent indignation et volonté de solidarité. Cette solidarité se poursuit souvent par la nécessité de les accueillir dignement. Dignement ? Vraiment ? La suite de leur vie est beaucoup moins digne.

Et est-ce vraiment possible dans les pays de la concurrence libre et non faussée et de la fraude fiscale dans les pays où la législation du travail a été tellement démantelée qu’elle ne protège plus personne et où la structure du travail promeut une flexibilité à outrance qui nécessite la mise en place de la sous-traitance de l’auto-entreprenariat dans le meilleur de cas mais aussi de l’esclavage moderne quand il s’agit de faire baisser les prix dans les supermarchés ? 

Avers

Ajoutons que le racisme est l’avers de l’esclavagisme. Une vidéo monstrueuse a circulé en Italie, où l’on voit un patron bastonner un migrant noir pour le forcer à aller travailler…

Mais que fait donc Carole Rakete ? Mais que fait Giorgia Meloni ? Mais que fait Ursula?

Carole Rakete la passionaria donneuse de leçons et hyper médiatisée, s’est présentée aux élections au nom de la lutte contre l’apartheid climatique et la suprématie blanche ouvrant la route au fascisme. En attendant l’esclavagisme s’installe tranquillement dans les champs du sud de l’Europe, notamment grâce aux migrants rescapés du cimetière marin méditerranéen, mais pas uniquement.

Tout le monde se donne bonne conscience en dénonçant les drames réguliers en méditerranée et en vantant les prouesses des bateaux sauveteurs. Dernièrement, un reportage sur un capitaine de bateau italien à la retraite relate le quotidien de cet homme qui a repris du service sur une bateau de sauvetage. Depuis qu’il s’est engagé dans cette action il ne peut plus envisager de s’arrêter de sauver des vies, dit-il. C’est bien de vies dont il parle, pas de couleur de peau...

Giorgio Meloni elle, bien consciente de la manne économique que représente cette main d’œuvre esclavagisée a d’abord lancé un plan de régularisation des migrants illégaux (400 000 personnes), sur fond de dénatalité italienne (1,25 enfant par femme) qui va mettre en danger à terme l’économie italienne et le pays tout entier. Face à l’indignation soulevée par le drame de Singh, Elle a promis aussi quelques contrôleurs supplémentaires alors que le pays est gangréné par le travail noir et sous payé (migrants ou pas d’ailleurs). Mais elle va plus loin avec des cadeaux fiscaux ces derniers temps pour régulariser la situation des fraudeurs.

Ursula ?

L’UE a ouvert une procédure d’infraction contre l’Italie car elle considère que les dix ans de résidence nécessaires pour obtenir un équivalent du RSA français (reddito di cittadinanza qui a entretemps été supprimé) sont une discrimination à l’égard des migrants extracommunautaires…

De l’esclavage systémique, avatar du colonialisme inversé, c’est-à dire du capitalisme internationalisé et déterritorialisé, à part les articles du journal en ligne « Il fatto quotidiano » pas un mot dans l’UE…

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