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Billet de blog 9 octobre 2017

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L'agriculture biologique, une chance pour l'emploi

L'agriculture "bio" emploie nettement plus de main-d’œuvre que les méthodes intensives en produits chimiques. Ce qui pourrait passer pour un handicap est en fait une opportunité : investir massivement dans le développement du "bio" permettrait de préserver notre environnement tout en faisant reculer le chômage... sans même peser sur les finances publiques. Explications.

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L'emploi est fréquemment cité comme l'une des premières préoccupations des Français : à longueur d'année, nous déplorons le chômage de masse et exprimons nos inquiétudes quant au risque que nous ou nos proches puissions être amenés à rejoindre la grande cohorte des sans-emploi. Pourtant, quand le débat commence à porter sur les solutions possibles, nos élites politiciennes sonnent trop souvent comme des disques rayés – la gauche de gouvernement appelle sans cesse à stimuler la croissance, tandis que la droite et le centre ne cessent de pousser pour un allègement du droit du travail.

Ainsi reste à l'écart des discussions un secteur aujourd'hui marginal, mais qui il y a deux siècles à peine occupait les trois quarts de la population : l'agriculture. A l'école – certains s'en souviennent-ils ? – nous apprenions comment l'industrie et les services avaient historiquement supplanté l'agriculture, dans un mouvement de modernisation qui paraissait irrémédiable. Aujourd'hui l'agriculture ne représente plus que 2 % du PIB de la France, et seulement 3 % des emplois.

Illustration 1
Emploi en France : part des différents secteurs

Ce mouvement a été en grande partie la conséquence d'une colossale augmentation de la productivité agricole. D'abord par le développement de machines capables d'accomplir le travail des centaines d'hommes qui trimaient auparavant avec bêche et faux. Puis par la concentration des terres, liée à la mécanisation : l'utilisation de tracteurs puissants est plus rentable sur une grande surface, ce qui entraîne des économies d'échelle – et la disparition progressive de petits exploitants. Enfin, par l'introduction massive des produits chimiques : engrais, pesticides, herbicides... destinés à stimuler la croissance des plantes ou à les protéger contre diverses menaces, ces intrants ont longtemps été célébrés pour leurs performances.

Illustration 2
Publicité ancienne pour des pesticides

De nos jours, pourtant, les informations n'en finissent par de s'accumuler sur les dégâts que l'agrochimie fait subir tant aux hommes (cancers, stérilité, maladies neurologiques) qu'à leur environnement (pollution des eaux, gaz à effet de serre, extinction des espèces). Un autre modèle de production émerge comme une alternative nécessaire et gagne de plus en plus les faveurs des consommateurs : l'agriculture biologique.

Illustration 3
Evolution des surfaces cultivées en agriculture biologique en France

Au-delà des bénéfices essentiels que l'agriculture biologique procure pour la préservation de notre environnement, cette voie présente un autre intérêt majeur : son intensité en main-d'oeuvre. En effet, le refus d'utiliser les produits chimiques de synthèse oblige l'agriculteur à employer des techniques complexes d'agro-écologie. Ces méthodes, qui allient savoirs traditionnels et connaissances scientifiques (cultures associées, lutte biologique, paillage, etc.), impliquent un niveau de compétence élevé ainsi qu'un temps de travail plus important.

Ainsi on constate qu'en 2012, les exploitations "bio" ne recouvraient que 4 % de la SAU (Surface Agricole Utile) mais employaient 7 % de la main-d’œuvre agricole française. Rapporté à l'hectare, cela signifie 80 % d'emplois en plus par rapport à l'agriculture conventionnelle. Ce chiffre impressionnant doit immédiatement être relativisé, du fait des différents biais qui interviennent dans une telle comparaison : d'une part, l'agriculture biologique est surtout pratiquée dans les secteurs déjà intensifs en main-d’œuvre (arboriculture, viticulture, maraîchage). D'autre part, les exploitations biologiques pratiquent beaucoup plus souvent des activités annexes (comme la vente directe) que les exploitations conventionnelles.

Une note publiée en 2012 par le ministère de l'agriculture conclut que les exploitations labellisées "AB" emploient 28 % de travailleurs en plus par rapport aux exploitations conventionnelles. Ce chiffre recoupe les résultats d'autres études réalisées dans différents pays, dont le Royaume-Uni [1]. Selon les pays et les méthodes employées, la quantité d'emplois supplémentaires va de 10 % à 98 %. Cela est notamment dû au fait que les besoins en main-d’œuvre varient énormément en fonction du type de cultures pratiquées sur le territoire étudié (Prévalence de l'élevage ? Du maraîchage ? De l'horticulture ?). Les recherches sur ce sujet sont encore insuffisantes, et une évaluation précise de l'apport du "bio" en termes d'emplois créés reste donc difficile. Nous pouvons cependant retenir le chiffre arrondi de 30 % comme une estimation relativement prudente, qui nous permettra d'imaginer les conséquences sociales qu'induirait un développement massif de l'agriculture biologique.

Un calcul assez simple [2] nous indique alors qu'une conversion totale [3] de l'agriculture française au "bio" pourrait entraîner la création de 240 000 emplois. Certes un tel bénéfice paraît modeste au regard des 2,8 millions de personnes qui pointent chaque mois au Pôle Emploi. Mais il faut admettre qu'aucune recette-miracle ne viendra à bout du chômage de masse. Ce constat n'est aucunement emprunt de défaitisme : il appelle au contraire à une combinaison de plusieurs politiques ambitieuses, à la bataille sur plusieurs fronts qui est aujourd'hui nécessaire afin que notre pays retrouve le chemin du plein-emploi. Et tout porte à croire que le développement de l'agriculture biologique est voué à faire partie de la solution.

Malgré ses qualités, l'agriculture biologique reste délaissée par les pouvoirs publics. Les socialistes auront eu le mérite d'augmenter nettement les soutiens pendant la présidence Hollande, mais le montant des subventions reste bien faible au regard des enjeux : en 2016, l'agriculture biologique recevait 180 millions d'euros d'aides publiques – une goutte d'eau qui correspond à 0,05 % du budget de l'Etat. La situation s'est considérablement dégradée depuis les élections de cette année, comme nous le verrons plus loin dans cet article.

S'y ajoute un paradoxe particulier qui frappe l'emploi agricole : les politiques menées restent tendues vers l'objectif défini dans l'après-guerre, à savoir augmenter sans cesse la productivité par actif – c'est à dire réduire au maximum le nombre d'heures travaillées pour une même production. Une telle approche avait tout son sens à l'époque, alors que l'enjeu était de parvenir à nourrir la population, de libérer des bras pour reconstruire le pays et de rétablir l'industrie.

De nos jours la main-d’œuvre disponible se retrouve en surnombre, et tout ceci paraît bien archaïque... pourtant, comme l'explique l'agronome Jacques Caplat, rien n'a changé sur le plan des politiques agricoles : "un paysan est fermement découragé d'embaucher (pour un euro de salaire, il lui faut ajouter un euro de contributions sociales) et clairement encouragé à investir et s'équiper (pour un euro d'achat de matériel, il reçoit 50 centimes de subventions)." Ainsi ce spécialiste dénonce "une distorsion de concurrence au détriment des agricultures responsables".

Les professionnels de la filière "bio" estiment à 250 millions d'euros le montant des aides qu'il faudrait leur fournir pour maintenir la production et accompagner le mouvement de conversion de l'agriculture française. Sachant que les exploitations labellisées "AB" couvrent aujourd'hui 5,7 % de la surface agricole utile (SAU) du pays, on peut estimer à 4,4 milliards d'euros le montant annuel d'aides nécessaires pour soutenir la filière AB si elle couvrait 100 % de la SAU.

Ce chiffre peut être rapporté au coût financier du chômage : il est estimé par le ministère du travail autour de 50 milliards d'euros pour 2,8 millions de personnes sans emploi. Comme annoncé plus haut, une conversion totale de l'agriculture française aux méthodes biologiques pourrait réduire de 240 000 le nombre de chômeurs, économisant ainsi à L’État 4,3 milliards d'euros de dépenses directes.

Au vu de ces chiffres, il apparaît que la démultiplication des aides à la filière "bio" représenterait une mesure à coût zéro pour le contribuable [4] – mais apporterait un bénéfice très important en termes de préservation de l'environnement et de santé publique. Un investissement équilibré qui permettrait à la fois de créer des emplois, de revitaliser les campagnes, de réduire considérablement la pollution des eaux et de lutter contre le changement climatique... bref de rompre enfin avec les méfaits de l'agriculture industrielle héritée de l'après-guerre.

La présidence d'Emmanuel Macron s'oppose clairement à cette évolution. En témoigne le choix – dès juillet dernier – de couper l'essentiel des aides à l'agriculture biologique. Un véritable coup d'arrêt pour cette filière dont le dynamisme est désormais en péril. Sauf à imaginer un changement de cap radical de la part du gouvernement, nos attentes peuvent d'ores et déjà se tourner vers les élections de 2022 : dans cinq ans, quels courants politiques seront prêts à porter un véritable projet en faveur de l'emploi, de l'environnement et de la santé publique, via le développement des agricultures responsables ? A nous, citoyens, de porter cette idée afin qu'elle chemine jusqu'aux sphères du pouvoir.

[1] Voir Lobley & al., 2005 et Green & Maynard, 2009. Ces deux études avaient conclut respectivement à 39 % et 32 % d'emplois supplémentaires dans les exploitations bio.

[2] En France environ 900 000 personnes travaillent dans l'agriculture, dont 800 000 dans l'agriculture conventionnelle. La conversion de toutes ces exploitations aux méthodes biologiques entraînerait donc la création de 240 000 emplois (30 % de 800 000).

[3] Contrairement à certains préjugés tenaces, l'alimentation de l'humanité pourrait reposer intégralement sur l'agriculture biologique. De nombreuses études convergent pour démontrer que la "bio" offre en moyenne des rendements à peine moins élevés que ceux de l'agriculture conventionnelle. Sur une même surface cultivée, la production biologique serait donc inférieure de seulement 20 %, voire 10 % lorsque l'agriculture biologique est pratiquée de manière véritablement adéquate. Dans le cadre d'une conversion généralisée aux méthodes biologiques, cette baisse modérée de la production pourrait être aisément compensée par une réduction du gaspillage alimentaire et de la consommation de viande (l'alimentation du bétail absorbe la moitié de la production mondiale de céréales).

[4] 4,4 milliards dépensés et 4,3 milliards économisés, soit un coût de 100 millions d'euros pour le trésor public (moins de 0,03 % du budget de L’État). Pour rappel, ce résultat est sujet à des incertitudes et il s'agit d'un simple ordre de grandeur : le point important est que l'investissement de fonds publics dans le développement de l'agriculture biologique permettrait d'économiser des sommes d'une ampleur équivalente à travers la réduction du chômage.

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