Ce texte est l'introduction de mon livre intitulé L'égalité des chances est une chimère
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Qui pourrait bien être contre l’égalité des chances ? Qui oserait refuser que chacun jouisse des mêmes opportunités de s’élever dans la société ? Personne, évidemment. Cette interrogation rhétorique permet de souligner ce qui, pour nos contemporains, ne fait plus question depuis bien longtemps – la naissance d’un individu ne doit pas commander à sa destinée.
Or, cette évidence tend à déborder de son lit pour prendre une forme qu’on peut juger plus sombre : à partir du moment où tout est possible pour tout le monde, chacun est responsable de ses échecs tout autant que de ses succès. La société peut devenir l’arène idéale d’une compétition équitable, où les gagnants recueilleront pleinement la gloire associée à leur réussite, tandis que les perdants paieront seuls le prix de leurs fautes.
Dans un pays où l’égalité des chances est une réalité, les places sont justement allouées en fonction du mérite de chacun – c’est le règne de la méritocratie. Ce modèle de société est largement considéré comme un idéal vers lequel nous devrions tendre, et il fait tellement consensus que les courants politiques de tous bords s’accusent mutuellement de lui porter atteinte : la gauche proteste car la compétition méritocratique est faussée par les déterminismes sociaux, tandis que la droite s’indigne que les vainqueurs de cette compétition ne soient pas suffisamment récompensés. Le débat public ne porte donc pas sur la méritocratie en elle-même, mais sur la meilleure manière de la faire advenir.
Cette suprématie de l’idéal méritocratique fait pourtant planer sur nous deux menaces. D’une part, les chantres de l’égalité des chances font bien souvent preuve d’une remarquable cécité quant à l’état réel de notre société : après avoir déclaré la main sur le cœur que chacun doit bénéficier des mêmes opportunités de réussite, ils assènent les jugements les plus sévères à propos des perdants de la compétition sociale – sans-emploi, précaires et travailleurs du bas de l’échelle, qu’ils dépeignent alors comme des parasites et des paresseux. Occultant le fossé qui se trouve entre leur idéal et la réalité, ils passent insidieusement du projet (« tout le monde devrait avoir les mêmes opportunités ») au constat (« tout le monde a les mêmes opportunités ») et ils en font découler des choix politiques hostiles aux plus modestes.
D’autre part, l’égalité des chances est généralement mise en opposition avec la redistribution des richesses, comme s’il s’agissait d’une forme d’égalité qui pourrait à elle seule répondre aux exigences de la justice sociale. A partir du moment où chacun a eu les mêmes opportunités de s’élever dans la société, pourquoi s’émouvoir du fait que certains individus sont beaucoup plus fortunés que d’autres ? Dès lors que nous aurions atteint l’égalité des chances, les inégalités ne pourraient plus être jugées injustes, et nous n’aurions plus aucune raison de partager les richesses.
Dans les deux cas, on constate que l’égalité des chances est mobilisée au service d’un discours conservateur qui s’emploie à légitimer le maintien de l’ordre social. L’objectif du livre que vous tenez entre les mains est de déjouer ces menaces, en dénonçant le miroir aux alouettes que représente aujourd’hui l’égalité des chances – car cet idéal présente de multiples failles, qui seront exposées au fil du livre. Je montrerai notamment les choses suivantes : que l’égalité des chances est impossible à réaliser ; qu’elle ne suffirait de toute façon pas à construire un monde juste ; et qu’elle peut même en réalité nuire à la société.
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