Sylvain Bourmeau

journaliste, producteur de La Suite dans les Idées (France Culture), et professeur associé à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Journaliste à Mediapart

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Billet de blog 16 mars 2008

Sylvain Bourmeau

journaliste, producteur de La Suite dans les Idées (France Culture), et professeur associé à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

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Nuit de naufrage

Je l’ai échappé belle, hier soir, au Rouquet, ce café à l’angle de la rue des Saints-Pères et du boulevard Saint-Germain où j’ai passé tant d’heures vers le milieu des années 80. J’étais invité à l’anniversaire d’un mort. C’est Patti Smith, parisienne pour quelques semaines (le temps de préparer sa prochaine et très attendue exposition à la Fondation Cartier), qui avait choisi de célébrer par une Grande beuverie les cent ans de la naissance de René Daumal, l’autre poète des Ardennes, né dix-sept ans après Arthur Rimbaud, et mort encore plus jeune que lui.

Sylvain Bourmeau

journaliste, producteur de La Suite dans les Idées (France Culture), et professeur associé à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Journaliste à Mediapart

Je l’ai échappé belle, hier soir, au Rouquet, ce café à l’angle de la rue des Saints-Pères et du boulevard Saint-Germain où j’ai passé tant d’heures vers le milieu des années 80. J’étais invité à l’anniversaire d’un mort. C’est Patti Smith, parisienne pour quelques semaines (le temps de préparer sa prochaine et très attendue exposition à la Fondation Cartier), qui avait choisi de célébrer par une Grande beuverie les cent ans de la naissance de René Daumal, l’autre poète des Ardennes, né dix-sept ans après Arthur Rimbaud, et mort encore plus jeune que lui.
C’est à St Mark’s place au début des années 70 qu’on avait soudain l’impression de se trouver hier soir dans le propret Saint-Germain-des-près, face au building flambant neuf de Sonia Rykiel. Patti Smith n’avait rien prévu, dit-elle. Juste de lire quelques poèmes, et surtout, le vin aidant, d’encourager ceux qui étaient là à lire aussi. Après s’être excusée de ne pas parler français, elle qui depuis toujours dévore notre littérature, après avoir rendu hommage à « la mère de René Daumal qui, il y a tout juste cent ans, devait connaître la souffrance de l’accouchement », à son père aussi « parce qu’il y était quand même un peu pour quelque chose », Patti Smith, veste noire, jean et chemise blanche as usual, empoigna sa guitare et chanta Grateful pour dire sa reconnaissance à Daumal. Puis elle lut, en anglais. Etrange d’ailleurs comment Daumal sonne mieux en anglais. Mais peut-être cette impression venait elle du fait que Patti Smith avait dégotté, on ne sait trop où, un poète gascon à l’accent désopilant. Tous les gens assis dans le café en firent l’expérience : il suffisait de fermer un instant les yeux pour entendre Francis Lalanne. S’en suivait un fou rire, que tous nous parvînmes à contenir. Patti Smith avait aussi invité une universitaire américaine, spécialiste de René Daumal, qui a lu des extraits d’un livre qu’elle lui a consacré, et nous a expliqué que c’est dans ce même café que Daumal a rencontré Alexandre de Salzmann, un disciple du mystérieux Georges Gurdjieff. Une rencontre décisive, apparemment, pour Daumal qui alors re-naît.
Re-nai c’est d’ailleurs par ce petit nom affectueux que tout au long de la soirée Patti Smith appellera l'auteur de La Grande beuverie et du Contre-Ciel enchaînant lectures et chansons. Invitant ceux qui étaient là à se joindre à elle. Ce que fit la première une jeune étudiante américaine de passage, puis Agnès Varda qui, depuis un bon moment, mitraillait la chanteuse avec son petit Lumix, puis un comédien, puis un groupe d’amis, parmi lesquels Marie Darrieussecq et Nicolas Fargues qui en chœur, lirent du Daumal comme une comptine (et s’étaient mis en tête de me faire lire moi aussi, la page 129 du Poésie Gallimard de Daumal, soit Nuit de naufrage, le bien titré.) Enfin, sous le regard attendri de Claude Régy, Isabelle Huppert, arrivée tard – du Réza je présume. Patti Smith se lança pour finir dans une lecture bastard mix anglais-français en duo avec notre Francis Lalanne d’occasion. Jusqu’à minuit, premières minutes du 16 mars, jour de lancement de Mediapart, et il y a cent ans de naissance de Daumal. Un classique Happy Birthday Re-nai ! vint sonner ma délivrance : je n’aurais pas eu à lire un poème en public pour la première fois depuis l’école primaire.