Sylvain Bourmeau

journaliste, producteur de La Suite dans les Idées (France Culture), et professeur associé à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Journaliste à Mediapart

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Billet de blog 20 février 2009

Sylvain Bourmeau

journaliste, producteur de La Suite dans les Idées (France Culture), et professeur associé à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

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Nann Naoned

L'étrange et soudaine impression d'être né à Sarajevo. Voilà ce que provoquent en moi les prétentions de plus en plus pressantes de rattacher Nantes à la Bretagne. S'en suit, selon l'humeur, un grand éclat de rire ou une sorte d'effroi

Sylvain Bourmeau

journaliste, producteur de La Suite dans les Idées (France Culture), et professeur associé à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Journaliste à Mediapart

L'étrange et soudaine impression d'être né à Sarajevo. Voilà ce que provoquent en moi les prétentions de plus en plus pressantes de rattacher Nantes à la Bretagne. S'en suit, selon l'humeur, un grand éclat de rire ou une sorte d'effroi devant le piège d'une politique identitaire et l'incapacité, ici et maintenant, d'assumer la réalité métissée de ce qui fut et devrait d'abord rester un port. D'attache et d'échappée. Des quais sur lesquels, enfants, nous nous massions pour assister au lancement d'un nouveau bateau, dans l'odeur du houblon ou des bananes débarquées d'un vieux cargo par d'immenses grues jaunes, préfiguration des machines à venir du Royal de Luxe.

Non Nantes n'est pas la Bretagne. Elle est bien plus que la Bretagne. Une ville à la croisée. Au Nord, la Bretagne, oui, comment l'ignorer ? Au Sud, la Vendée, qui tombe, elle aussi, dans le puits cinglé du folklore politique douteux à coups de sons et lumières. A l'Est, et surtout à travers, la Loire, encore miraculeusement sauvage. A l'Ouest, l'océan, l'infini - rien moins.

C'est une vieille histoire. La première fois que j'en ai entendu parler, j'étais à l'arrière de la voiture de mes parents, je devais avoir moins de dix ans, un graffiti inconnu avait suscité mon interrogation. Ce n'était pas les « US Go Home » ou « Libre d'avorter » que j'avais appris à déchiffrer. C'était, au milieu des années 70 et au milieu de la ZUP où j'habitais, le panneau d'entrée de ville qui marquait la frontière entre Saint-Herblain et Nantes, rebaptisée à la bombe Naoned. C'était la mode des Fest Noz et des sabots en bois, des sacs US et des badges « Nucléaire, nein danke».

Je me souviens qu'on m'avait expliqué combien les choses étaient plus compliquées, plus riches aussi, à l'image de l'histoire de ma famille assez typiquement nantaise : une grand-mère bretonne, l'autre vendéenne ; un grand-père de la basse-loire, l'autre de Paris 6ème.

Je me souviens des petits-déjeuners avec cette grand-mère bretonne qui me lisait, dans L'Eclair du jour, les aventures en « parler nantais » de Julien et Valentine, et me racontait comment, enfant à Chantenay juste après la première guerre mondiale, elle se sentait littéralement immigrée, avec des parents qui parlaient entre eux une langue qu'elle n'avait pas le droit de pratiquer, surtout à l'école. Sa famille venait d'Ergué-Gabéric, village des bords de l'Odet, où les puissants s'appelaient Bolloré et faisaient déjà du papier. Je me souviens que dans « Julien et Valentine » on ne parlait pas breton et qu'on disait « asteure » comme dans les bandes-dessinées de Claire Brétecher.

Quitte à voir des nantais d'origine immigrée réclamer le rattachement de leur ville à leur pays d'origine, avouons que ce serait plus drôle et plus sympathique s'il s'agissait des Polonais de Couëron, des Argentins historiques du FC Nantes ou des Maliens venus s'y installer deux cent cinquante ans après le commerce triangulaire.

Les prétentions annexionnistes d'une Bretagne largement imaginaire ne datent pourtant pas hier. Des réaménagements administratifs qui ont produit cette drôle de non-région que sont les Pays de la Loire sans doute, de la création d'une académie de Nantes qui cessa de dépendre scolairement de Rennes probablement, du réhaussement de la Loire-Inférieure en Loire Atlantique assurément. Comme en réaction, par une sorte de dictat culturel, des architectes et urbanistes ont imposé partout au Nord de la Loire un « style breton » ardoise et pierre de granit venu des côtes du Nord et qu'on n'avait même jamais vu dans le Morbihan où les tuiles n'étaient pas rares.

Si Nantes est Breton, alors elle est André Breton, qui tomba amoureux fou de cette ville « où un esprit d'aventure au-delà de toutes les aventures habite encore certains êtres ».

Si ce lieu unique qu'est Nantes traverse une crise d'identité, il lui suffit de faire face à son passé le plus noir, de se tourner vers les Antilles pour y retrouver la forme d'une ville qui ne saurait être autre chose qu'un Tout-Monde.