Avec sa couverture malheureuse placardée sur les dos de kiosques – Michel Houellebecq marmonnant, le matin même de la tuerie à Charlie, « J’ai survécu à toutes les attaques » – L’Obs n’eût pas, début janvier, l’exclusivité du désastreux télescopage publicitaire avec l’actualité violente des attentats. D’autres affiches se proposaient, en effet, au même moment et de manière cette fois intentionnelle, de mettre en scène, dans les rues de Paris, le médiatique et si fantasmatique choc des civilisations – sans visiblement provoquer jusqu’à ce jour de réactions notables, notamment de la part de journalistes qui auraient pourtant logiquement dû se sentir particulièrement visés par le message comme par son émetteur.
Le message, d’abord. Il est visuel et textuel mais l’image s’impose en premier lieu. Trois images en fait, composées selon le même principe : la juxtaposition de deux moitiés de visages qui n’en forment plus qu’un. Deux moitiés censément opposées, renvoyant à l’un des dualismes primaires souvent mobilisés pour visualiser l’actualité : un choc des identités figurant, au sens propre, celui, sous-entendu, des civilisations.
Une phrase abjecte a résonné dans l’espace médiatique alors que ces trois affiches étaient encore sur les abribus parisiens : « Je suis Charlie Coulibaly » a osé le sinistre Dieudonné utilisant la même formule qui a prévalu à la conception de cette campagne de publicité, une formule qu’on pourrait en anglais qualifier d’oxymoronic (i. e. oxymore crétin) et que Jean-Luc Godard a relevé il y a bien longtemps déjà en moquant la conception de l’objectivité à la télévision, les fameuses « cinq minutes pour les juifs, cinq minutes pour Hitler ».
Dans le jargon de la télévision, on appelle ça un pif-paf, un sujet dans lequel on entend, tour à tour, un pour un contre. Les chaines d’info en continu, et i24 en est une nouvelle, s’en repaissent à longueur de journées, s’imaginant en toute bonne foi produire sans trop réfléchir une imparable objectivité là où elles se contentent d’afficher leur confondante naïveté. Mais nous aurions tort de réserver cette critique à la seule télévision : c’est une bonne partie de la mise en scène des « événements » dans la presse écrite qui obéit à ce mode d’objectivation simpliste et trop rarement questionné.
Pour celui qui passe devant à relative vive allure sur un scooter, le choc des images de la campagne i24 masque un temps le bon poids de bêtise des mots qui les accompagnent, et qu’on finit par découvrir à l’arrêt au prochain feu rouge : « l’information est l’union de tous les points de vue ». De quoi caler. Et de quoi méditer jusqu’au prochain feu. Comment en ce début de XXIe siècle un média à prétention internationale peut-il oser pareil slogan ? En imaginant qu’il offre la version en plan large du susmentionné pif-paf ? Entre absolu relativisme et mièvre œcuménisme, l’épistémologie journalistique, ce perpétuel refoulé professionnel, touche plus que jamais le fond.
Des images, des mots, une campagne de publicité pour porter le projet d’un média dont le logo apparaît plutôt discrètement en bas de l’affiche : i24news. Une nouvelle chaine d’information en continu lancée en français en ce début d’année par Patrick Drahi. « L’union de tous les points de vue », si possible exprimée façon pif-paf, qu’en disent les journalistes de Libération et des titres du groupe L’Express, journaux que vient de racheter cet homme d’affaire ? Ou ceux de Radio Nova qu’il voudrait aussi croquer ?
(Le titre de ce billet est un clin d’œil à un recueil d’article de Martin Amis, The Moronic Inferno ... lui même titré en référence à une conférence de Saul Below dans laquelle... il citait cette expression de Wyndham Lewis à propos du crétinisme ambiant)