Après la nomination en janvier de Marin Karmitz au poste nouveau de ministre de la culture auprès du Président de la République, celle de Frédéric Mitterrand aux fonctions plus classiques de ministre de la culture du gouvernement vient spectaculairement prendre acte du rôle désormais central dévolu au cinéma dans le monde culturel. Peu importe qu'on ait connu le succès économique (MK2) ou la faillite (Olympic), il semble dorénavant établi que l'exercice, dans les années 70, de la courageuse profession d'entrepreneur indépendant en matière d'exploitation de salles de cinéma à Paris prédestine socialement à l'occupation aujourd'hui des postes clés de la politique culturelle.
D'une cohorte si mince, il faudrait sans doute se garder de tirer des enseignements définitifs, et pourtant, en deçà du ridicule d'une loi sociologique, ce micro fait social révèle, comme d'autres, et comme aurait dit l'autre, la structure actuelle du champ de la polcul. Un champ de forces dont le pôle d'attraction aurait d'abord basculé des Lettres (Malraux) vers le théâtre (Michel Guy, Jack Lang, Catherine Tasca) puis, tout dernièrement donc, le cinéma - venant enfin reconnaître, sous les lambris de la République, la surpuissante hégémonie économique, sociale et bien évidemment culturelle d'un art, le septième, qui su aussi mettre à profit les cinquante années d'existence de ce ministère pour finir par devenir le roi de Valois.
On pourrait s'en inquiéter, tant le cinéma écrase tout, non sans s'être au préalable repu de ses proies, littéraires, plastiques, chorégraphiques, théâtrales, plus rarement musicales. On aurait tort . Ce serait méconnaître l'ingéniosité d'artistes, souvent les plus puissants, qui jouent de ce rapport du faible au fort pour régénérer leurs domaines de création en se faisant des films de leurs livres, spectacles, installations, et toiles. A son insu le plus souvent, le cinéma fini donc par rendre ce qu'il ne cesse de voler.
On pourrait se féliciter de l'arrivée aux manettes du ministère de la culture d'une figure-de-cinéma (comme on dit gens-de-lettres ou homme-de-théâtre). On aurait raison s'il s'agit enfin de sortir d'un référentiel politique daté, marqué par la centralité du spectacle vivant, et qui s'est trop souvent avéré incapable de traiter avec les industries culturelles. C'est bien du côté du cinéma, avec les mécanismes de péréquation, et du livre , avec le prix unique, qu'il faut regarder pour inventer les politiques culturelles social démocrates (i. e . d'encadrement du marché) dont nous avons depuis si longtemps besoin pour garantir le pluralisme et la vitalité des différents secteurs de la culture.
Dans cette perspective, le fait que le nouveau ministre soit passé du grand au petit écran n'a rien d'inquiétant. En rêvant un peu, trop sans doute, on peut même y voir l'occasion unique d'affirmer que la télévision (publique mais aussi privée encadrée) devrait être le principal levier de la politique culturelle.