Au moment où la planète sanglotait à l'unisson et en canon du fait des fuseaux horaires, le silence de Barack Obama à propos de la mort de Michael Jackson interrogea. Une nouvelle fois le contraste entre notre président et celui des américains fut saisissant.
En voyage aux Antilles, Nicolas Sarkozy a déclaré : « C'est un homme qui a apporté beaucoup à la musique... à la danse. Michael Jackson puisqu'il avait des fans, des gens qui l'aimaient sur tous les continents. Je suis persuadé que les gens qui l'aimaient dans notre pays ne le voyaient pas comme quelqu'un d'étranger. Il pourrait faire parti du Panthéon, comme ces acteurs mythiques du cinéma américain ou de la musique américaine ».
Etait-il un étranger, en revanche, pour Obama qui n'a, à ce jour, rien dit lui-même publiquement sur la mort de Jackson ? Obama, qui tenait pourtant une conférence de presse le lendemain, n'a pas personnellement réagi à cette information. Et aucun journaliste présent ne lui a posé la question de savoir ce qu'il pensait du chanteur. Dans un point presse séparé, son conseiller Robert Gibbs a rapporté une conversation privée qu'il a eu avec le président, indiquant aux journalistes présent qu'Obama considérait Jackson comme « un artiste spectaculaire, une icône de la musique » mais qu'il avait aussi pointé que « certains aspects de sa vie étaient tristes et tragiques ».
Certains commentateurs ont vite fait le parallèle avec la gêne éprouvée par Jimmy Carter lors de la mort d'Elvis Presley. Ne sachant trop comment rendre hommage à un personnage controversé à la fin de sa vie, le président démocrate avait fini, quelques jours après sa disparition et sous la pression populaire, par rendre public un communiqué. Certes Obama a pu être embarrassé par les ennuis judiciaires de Michael Jackson, mais il est plus que probable que son malaise soit autrement plus profond, et qu'il vienne d'ailleurs.
Il suffit pour s'en convaincre de reprendre son premier livre, Les rêves de mon père, très beau texte qu'il publia en 1995, avant même de s'engager en politique, de relire l'un des passages dans lequel il raconte comment, à l'âge de 9 ans, il fit une expérience aussi violente que structurante à propos de la couleur de sa peau.
« Ma mère m'installa dans la bibliothèque pendant qu'elle retournait à son travail. Je finis mes bandes dessinées et les devoirs qu'elle m'avait fait apporter, puis je me levai pour aller flâner à travers les rayons. Dans un coin, je découvris une collection de Life, tous soigneusement présentés dans des classeurs de plastique clair. Je parcourus les publicités accrocheuses et me sentis vaguement rassuré. Plus loin, je tombai sur une photo qui illustrait un article, et j'essayai de deviner le sujet avant de lire la légende. Une photo de petits Français qui couraient dans des rues pavées : c'était une scène joyeuse, un jeu de cache-cache après une journée de classe et de corvées, et leurs rires évoquaient la liberté. La photo d'une Japonaise tenant délicatement une petite fille nue dans une baignoire à peine remplie : ça, c'était triste. La petite fille était malade, ses jambes étaient tordues, sa tête tombait en arrière contre la poitrine de sa mère, la figure de la mère était crispée de chagrin, peut-être se faisait-elle des reproches...
Puis j'en arrivai à la photo d'un homme âgé qui portait des lunettes noires et un imperméable. Il marchait le long d'une route déserte. Je ne parvins pas à deviner de quoi parlait cette photo ; le sujet n'avait rien d'extraordinaire. Sur la page suivante, il y en avait une autre : c'était un gros plan sur les mains du même homme. Elles montraient une étrange pâleur, une pâleur qui n'était pas naturelle, comme si la peau avait été vidée de son sang. Je retournai à la première photo, et je remarquai les cheveux crépus de l'homme, ses lèvres épaisses et larges, son nez charnu, et le tout avait cette même teinte irrégulière, spectrale.
Il est sans doute gravement malade, me dis-je. Victime d'une irradiation, peut-être, ou albinos. J'avais vu un albinos dans la rue quelques jours auparavant, et ma mère m'avait donné des explications. Mais lorsque je lus les mots qui accompagnaient la photo, je vis que ce n'était pas cela du tout. L'homme avait reçu un traitement chimique pour éclaircir sa peau, disait l'article. Il l'avait payé de ses propres deniers. Il disait regretter d'avoir essayé de se faire passer pour un Blanc, se désolait de la manière catastrophique dont l'expérience avait tourné. Mais les résultats étaient irréversibles. Il existait des milliers de gens comme lui en Amérique, des Noirs, hommes et femmes, qui s'étaient soumis au même traitement à la suite de publicités qui leur avaient promis le bonheur, une fois devenus blancs.
Je sentis la chaleur envahir mon visage et mon cou. Mon estomac se serra ; les caractères devinrent flous. Ma mère était-elle au courant ? Et son patron ? Pourquoi était-il si calme, à lire ses rapports, quelques mètres plus loin, au bout du couloir ? Je ressentis le besoin urgent de sauter à bas de mon siège, de leur montrer ce que je venais d'apprendre, de leur demander de m'expliquer, ou de me rassurer. Mais quelque chose me retint. Comme dans les rêves, j'étais privé de voix, incapable d'articuler les mots traduisant cette peur nouvelle pour moi.
Lorsque ma mère vint me chercher pour me ramener à la maison, mon visage était souriant, et les magazines avaient retrouvé leur place. La pièce, l'atmosphère étaient aussi tranquilles qu'avant. »
Après lecture, on comprend mieux ce que peut ressentir Obama face à Jackson.
Et contrairement à ce qu'on entend ici ou là depuis la mort de ce dernier, le président américain n'est pas le seul à éprouver ce malaise. Dans sa belle enquête sur La Condition noire (en France), l'historien Pap Ndiaye en témoigne : « Un Michael Jackson, qui tente de gommer ses traits et sa couleur d'origine depuis vingt ans, fait figure, aux yeux de mes interlocuteurs noirs de France, de personnage pathétique, égaré dans les labyrinthe de la folie. Car il n'a pas seulement recours aux nombreux produits de dépigmentation - en quoi il ne se distinguerait nullement de millions de Noirs d'Afrique, d'Europe et des Amériques - mais au bistouri du chirurgien, dans une frénésie d'effacement radical de ce qui pourrait le ramener à son « apparence noire », alors que sa position sociale ne l'y obligeait en rien puisqu'il est devenu célèbre avant sa transformation physique. »
Le plus troublant dans cette histoire est sans doute que la carrière de Michael Jackson a pris son essor au moment même où naissait un mouvement de « fierté mélanique » aux Etats-Unis dont le Say it loud ! I'm Black and I'm proud (1968) de James Brown peut-être considéré comme l'hymne. Loin de ne concerner que les franges radicales liée au Black Power, cette fierté s'étend, notamment via la musique, les films de blaxpoitation et les coupes afros à l'ensemble des african americans. C'est à ce moment, relève Pap Ndiaye, au tournant des années 60 et 70 que le mot Black supplante celui de Negro qui avait lui-même remplacé, en inversant sa connotation, celui de nigger. C'est à ce moment là, quand les Noirs américains sont devenus Blacks que Michael Jackson a, lui, décidé de devenir blanc.