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Billet de blog 15 juin 2020

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LE COMPAS, C'EST PAS CON !

Un compas est-il plus efficace qu'une équerre pour combattre la Covid-19 ? C'est la question posée au ministre de l'Éducation nationale au moment de prendre les "bonnes mesures" pour une reprise généralisée des cours le 22 juin. On peut tout faire avec un compas, sauf s'asseoir dessus ! Alors, à défaut de planter le virus avec la pointe de l'outil géométrique, prenons la chose avec sérieux.

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Emmanuel Macron a beau s'entourer de communicants, le manque de clarté dont il a fait preuve lors de son allocution du 14 juin a encore compliqué les choses :  "Dès demain, en hexagone comme en Outre-mer, les crèches, les écoles, les collèges se prépareront à accueillir à partir du 22 juin tous les élèves, de manière obligatoire et selon les règles de présence normale". Certains, un peu distraits, ont pu croire à un retour à la normale dès le 15 juin. Question limpidité, le Président de la République fait de la concurrence à Jean-Michel Blanquer qui avait lui aussi embrouillé tout le monde le 28 mai dernier en annonçant : « Dans la phase 2, celle qui s'ouvre à partir du 2 juin, toutes les écoles seront ouvertes". On se souvient que cela avait été interprété - jusque dans les bandeaux des chaînes d'info en continue - comme une réouverture de toutes les écoles dès le 2 juin.

Or, l'essentiel n'est pas ce qu'a dit Emmanuel Macron mais bien ce qu'il a omis de préciser : y aura-t-il toujours un protocole sanitaire en vigueur dans les écoles ? Et si oui, lequel ? Car il est bien entendu impossible d'accueillir à nouveau tous les élèves si les règles de distanciation restent les mêmes. Fort heureusement, lundi 15 juin au matin, le ministre de l'Éducation nationale était sur Europe 1 pour apporter cette précision importante : "Désormais, il y a toujours une distanciation physique mais beaucoup moins contraignante, avec un mètre latéral entre les élèves". Précisons que jusque ici, il fallait respecter une surface de 4 m² par élève. Alors, forcément passer de 4 (m²) à 1 (mètre latéral), peut donner l'illusion d'augmenter par quatre les possibilités d'accueil. Voilà qui tombe à pic, si j'ose dire s'agissant de compas, puisque jusqu'alors les effectifs de retour plafonnent à 25 % au primaire. En faisant quatre fois un quart, nous voici revenus au grand complet ! Applaudissements !

Mais il y a un problème : quand on établit un rayon sanitaire d'un mètre autour d'un élève (1), on crée - telle la chèvre autour de son piquet - un cercle d'un mètre de rayon. Dès lors, il faut se souvenir de la règle de calcul de la surface : π x r². Appliquée à un rayon d'un mètre, on obtient une nouvelle aire de... 3,14 m² par élève (2) ! Nous avons ainsi gagné 0,86 m² par enfant soit un gain d'environ 21 %. Voilà ce que le ministre appelle une distanciation "beaucoup moins contraignante" ! Donc, pour résumer, où pouvaient être accueillis dix élèves, on peut désormais espérer en caser une douzaine mais toujours pas vingt-cinq ou trente (3). De qui se moque-t-on ? Pourtant, une fois encore, il est à craindre que ça soit les enseignants qui se retrouvent à nouveau éclaboussés quand leur ministre patauge !

En attendant l'officialisation du nouveau protocole dans les jours à venir, peut-être les professeurs pourraient-ils faire calculer à leurs élèves le nombre de bénéficiaires de cette "nouvelle mesure" dont la promotion médiatique en dit long sur le niveau en maths du ministre ou bien sa tendance à nous prendre pour des benêts (d'âne).

 Sylvain GRANDSERRE
Maître d'école en Normandie
Auteur de "Un instit ne devrait pas avoir à dire ça !" (coédition ESF / LA CLASSE)

(1) Je suppose que le ministre imagine des dispositions de tables en alignement face au tableau. En élémentaire, on voit bien d'autres façons de s'installer. Sans parler des classes maternelles !

 (2) Bien sûr, on peut réduire cette distance sanitaire pour n'accorder à chaque enfant qu'un rayon de 0,50 m mais il faudrait tenir compte de la corpulence de chacun (un enfant n'est pas un point au centre d'un cercle) et ce serait encore dans la perspective d'enfants-robots se déplaçant très exactement comme on les aurait programmés. Ajout le 17/06/2020

(3) Au-delà des questions de mesures qui virent à l'absurde, le principal problème concret rencontré dans bien des classes est le mobilier. En effet, nous sommes nombreux à disposer uniquement de tables de deux places et non de tables d'une place. Dès lors, il faut une table par élève et dans ma classe de 29 CM1/CM2, non seulement ce mobilier est inexistant, mais en plus ça ne rentrerait pas... Bref, il faut trancher entre "il n'y aucun risque pour les enfants" (retour obligatoire le 22 sans protocole)  ou bien le "il y a un risque pour les enfants" (protocole sanitaire toujours présent même allégé mais alors effectifs réduits). 

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