Sylvain Manyach (avatar)

Sylvain Manyach

juriste

Abonné·e de Mediapart

49 Billets

2 Éditions

Billet de blog 2 septembre 2008

Sylvain Manyach (avatar)

Sylvain Manyach

juriste

Abonné·e de Mediapart

Un modèle social cancérigène

Dans un article de Jean-Yves Nau publié par Le Monde ce 2 septembre, il est indiqué que selon une étude de l'institut de veille sanitaire, "le poids des inégalités sociales dans la mortalité par cancer est important, et qu'il n'a cessé de progresser entre 1968 et 1996, les données statistiques n'étant pas encore exploitables après cette date".

Sylvain Manyach (avatar)

Sylvain Manyach

juriste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans un article de Jean-Yves Nau publié par Le Monde ce 2 septembre, il est indiqué que selon une étude de l'institut de veille sanitaire, "le poids des inégalités sociales dans la mortalité par cancer est important, et qu'il n'a cessé de progresser entre 1968 et 1996, les données statistiques n'étant pas encore exploitables après cette date".

les auteurs de cette étude ont croisé les chiffres de l'échantillon démographique permanent de l'INSEE, ceux de la mortalité par cancer du centre d'épidémiologie. "Leurs analyses ont été conduites sur l'ensemble des affections cancéreuses mortelles, tandis que la situation sociale a été évaluée à partir du niveau d'études".

Si ces résultats ne constituent pas une totale surprise, tant on savait qu'une surmortalité affectait notamment les hommes des catégories sociales défavorisées, c'est l'évolution de ces inégalités face au risque cancérigène et au décès du fait de cette maladie qui pose problème. En effet, si les auteurs ont choisi d'étudier la mortalité pour cancer en fonction du niveau de diplôme, il ressort de cette étude que la surmortalité des personnes dépourvues de diplômes a augmenté: "Pour un homme peu diplômé, il était multiplié par 1,52 entre 1968 et 1974, puis par 2,12 pour la période 1975-1981,
2,20 pour celle de 1982 à 1988
et 2,29 de 1990 à 1996.
Le cancer de l'œsophage est l'un
de ceux sur lesquels les facteurs sociaux pèsent le plus: le risque de surmortalité était multiplié par 2,58 entre 1968 et 1974, 3,22 pour la période 1975-1981, 4,27 pour celle de 1982-1988 et jusqu'à 5,21 de 1990 à 1996."

On croit comprendre, même si l'article du Monde ne nous le dit pas, que les risques de mortalité liés au cancer a moins augmenté pour les plus diplômés, voire, n'a pas évolue (ou encore, qu'il a diminué). Nous devrons vérifier cela lorsque nous en saurons plus sur cette étude.

Mais comment expliquer de tels résultats ? l'article ne donne pas à mon sens de pistes et se contente largement de faire le constat d'une situation moralement et politiquement choquante. Et puis si le niveau d'étude est un indice des inégalités sociales, il n'en est qu'une photographie imparfaite. Enfin, il ne faudrait pas confondre corrélation (entre mortalité par cancer et niveau d'étude) et relation de causalité. Par exemple, si pour le cancer du sein "les femmes des milieux sociaux les plus favorisés bénéficient davantage que les autres des campagnes de dépistage et ont plus aisément accès aux soins spécialisés", est-ce le résultat de leur niveau d'études, ou de leur aisance financière ? des deux ? Si le niveau d'études était un moyen de lutter contre le risque de cancer, alors, on devrait observer une diminution du nombre des cancers en fonction de la démocratisation relative de l'enseignement supérieur et surtout de la massification de l'enseignement secondaire. L'article ne nous en dit rien.

Enfin, l'article a une conclusion dont j'ai du mal à comprendre la logique. L'auteur explique qu'il convient impérativement de tenir compte de ces inégalités face à la mortalité par cancer et son accroissement au cours du temps, faute de quoi les politiques menées pourraient "continuer à avoir des effets potentiellement négatifs dès lors que les actions entreprises bénéficieraient plus largement aux personnes des groupes sociaux les plus favorisés."Même si ces politiques bénéficient plus largement aux personnes qui sont favorisées, on ne voit pas en quoi elles auraient de ce fait des effets "potentiellement négatifs". Ce ne sont quand même pas ces politiques qui sont responsables d'un accroissement des inégalités sociales !En revanche, c'est que la lutte contre les affections et maladies graves telles que le cancer neoncerne pas seulement la science et la médecine, mais relève aussi de mesures sociales et in fine politique.

Finalement, on pourrait parler de l'instauration en France depuis plusieurs années d'un modèle social cancérigène. On parle du "cancer du chômage". On ne saurait mieux dire...sauf que dans la bouche de ceux qui l'utilise, c'est pour mieux souligner notre impuissance collective face à un risque perçu à tort comme indépendant des données sociales.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.