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Billet de blog 21 novembre 2008

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Remarques complémentaires sur l'arrêt de la cour d'appel de Douai

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Me EOLAS vient de publier sur son blog un commentaire exhaustif de l'arrêt de la cour d'appel qu'il a pu obtenir. Je constate une large convergence de vue avec le célèbre avocat blogueur. Qu'on en juge :

"L'exigence d'une incidence de la qualité essentielle sur la vie matrimoniale est rajoutée au texte et aboutit à restreindre considérablement le champ de l'article 180. En outre, il soumet la validité de la formation du mariage à une condition affectant son futur, alors que les conditions de formation s'apprécient au jour de la formation. À mon sens, le critère pertinent est celui de la qualité ayant déterminé le consentement de l'époux errans[3], la difficulté étant de prouver le caractère essentiel de cette qualité. L'article 180 protège le consentement de l'époux, et c'est lui qui est vicié par cette erreur sur une qualité essentielle. La cour semble opter pour le caractère objectif de la qualité essentielle, celle qui est commune à toute union matrimoniale. Je critique cette théorie car elle aboutit à vider l'article 180 de sa substance : quelles sont les qualités essentielles de tout conjoint ? C'est se lancer des des controverses sans fin aboutissant toutes à dire que reconnaître telle qualité comme essentielle est contraire à la dignité de l'époux concerné. "

Ce qui est très surprenant dans cet arrêt, c'est le changement de stratégie de l'époux, qui ne soulève plus l'absence de virginité mais le mensonge de sa future épouse : "Le moyen d’annulation invoqué par Monsieur X. tient à ce que Madame Y. lui aurait, dans la période précédant le mariage, menti sur sa vie sentimentale antérieure et sur sa virginité et que ce mensonge aurait provoqué chez lui une erreur sur la confiance qu’il pouvait avoir en sa future épouse et sur la sincérité de celle-ci, tous éléments — confiance et fidélité réciproques, sincérité— relevant des “qualités essentielles” attendues par chacun des conjoints de l’autre." L'épouse contestant lui avoir menti, le moyen de pouvait absolument pas prospérer (la preuve du mensonge était impossible.

Mais la cour ne s'est pas contenté de rejeter le moyen. Par une incise qui ressemble à un motif surabondant, puisqu'il suffisait de dire que la preuve du mensonge n'était pas rapportée, elle rajoute que

Il sera ajouté qu’en toute hypothèse le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n’est pas un fondement valide pour l’annulation d’un mariage.

Tel est particulièrement le cas quand le mensonge prétendu aurait porté sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité, qui n’est pas une qualité essentielle en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale.

Dans ces conditions, où la preuve du mensonge de la future mariée n'est pas rapportée, les chances d'un éventuel pourvoi en cassation sont minces s'il porte seulement sur l'aspect de la définition de la qualité essentielle. Reste le moyen évoqué par Me EOLAS qui est susceptible d'emporter la conviction. Celui de l'irrecevabilité de l'appel du parquet en ce qu'il demandait seulement la modification des motifs du jugement et non pas du dispositif (la partie du jugement qui se prononce sur l'annulation du mariage).

Edit du 22 novembre : Je signale un commentaire favorable à l'arrêt de la cour d'appel sur le site de l'éditeur Dalloz : pour le commentateur V Egéa, les qualités essentielles doivent revêtir deux conditions qui semblent pour lui cumulatives. La qualité doit en effet présenter d'une part un caractère essentiel aux yeux de l'époux dans l'erreur. D'autre part, "elle doit être objectivement essentielle. En ce sens « les qualités essentielles sont celles qui sont sociologiquement déterminantes "(Malaurie et Fulchiron, La famille, Defrénois, n° 183)". Et de se réjouir, de ce coup de frein au consensualisme en la matière : "Par un attendu dénué de toute ambigüité, la cour d'appel met un frein à la tentation « contractualiste » en soulignant que l'appréciation des « qualités essentielles » relève du contrôle de l'ordre public. Le mariage demeure une institution dont les conditions de formation restent soumises à un contrôle social important"

Précemment, au sujet du jugement du TGI de Lille, dans son éditot, Félix Rome

En clair, si, pour être essentielle, la qualité doit être déterminante pour l'époux demandeur, encore faut-il, pour qu'une erreur déterminante emporte la nullité du mariage, que la qualité litigieuse soit « de l'essence du mariage » (G. Cornu, Droit civil, La famille, Domat, 2006, spéc. n° 174) et, en raison de « la dimension sociale particulièrement marquée du mariage », qu'elle soit « compatible avec le système de valeurs de notre société » (H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 2007, spéc. p. 256). Or, qui osera prétendre, au regard de l'institution du mariage « telle qu'elle est aujourd'hui perçue et vécue » (G. Cornu, op. et loc. cit.) et des fins propres du mariage telles qu'elles résultent des principes qui régissent nos moeurs sociales, que la virginité de la (seule) future épouse puisse être considérée comme une qualité essentielle, eût-elle l'apparence grossière d'une qualité convenue ?
En somme, et d'une façon générale, peu importe le mensonge quand il porte sur une qualité indifférente au regard de l'essence du mariage, et ce d'autant plus si le mensonge est forcé !

Peut être, mais qu'est ce que "l'essence du mariage" ? par exemple, l'infertilité d'un époux compromettait-elle l'essence du mariage ? Si avoir des enfants constitue bien un but du mariage, la société n'oblige nullement les époux à procréer. Et si « les qualités essentielles sont celles qui sont sociologiquement déterminantes" il est difficile, dans un tel contexte, de déterminer lesquelles seraient sociologiquement déterminantes, sauf à réaliser avant des sondages d'opinion particulièrement serrés. Ainsi, en va-t-il en matière de virginité. La société n'exige pas que les futurs époux arrivent vierges au mariage. Elle n'exige pas non plus que les futurs époux aient vécu. Il s'agit là de choix moraux qui appartiennent à la sphère privée.

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