SYLVAIN MORAILLON
Président de la Ligue française des droits de l'enfant, président de l'Adua, vice-président de Violette Justice
Abonné·e de Mediapart

32 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 févr. 2019

SYLVAIN MORAILLON
Président de la Ligue française des droits de l'enfant, président de l'Adua, vice-président de Violette Justice
Abonné·e de Mediapart

QUELLE EUROPE VOULONS-NOUS ?

L’Europe est un sujet aussi vaste que le continent sur lequel elle s’est construite. De l’extrême-droite à l’extrême-gauche, qui se rejoignent parfois dans son déni, toutes les tendances politiques se l’approprient, sans pour autant réussir à se faire réellement entendre.

SYLVAIN MORAILLON
Président de la Ligue française des droits de l'enfant, président de l'Adua, vice-président de Violette Justice
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

C’est que cette Europe, si présente et si lointaine à la fois, rejetée par les uns et plébiscitée par les autres mais utile à tous, souffre d’un défaut d’identité majeur auprès de nos concitoyens. Lorsque nous posons d’entrée comme champ de réflexion l’Europe à laquelle nous aspirons, nous oublions de nous interroger, en préambule, sur ce qu’elle est déjà. Marché commun, place financière, communauté de nations, table ronde de chefs d’état, instrument de lobbying ? L’Europe est-elle avant tout une banque, une puissance politique ou une force économique, ou bien tout cela à la fois ? Constitue-t-elle un bloc unifié autour d’un projet commun, capable de rivaliser avec la Chine, l’Inde, les Etats-Unis ou la Russie ? Ou n’est-elle in fine qu’un club élitiste aux mains d’oligarques où chacun est en désaccord avec l’autre, mais où seul le plus fort l’emporte systématiquement ? Face à cette question de l’identité européenne, cruciale pour son présent comme pour son avenir, même les députés les plus aguerris installés à Strasbourg sont mis en difficulté. Nous pouvons tous dire ce que l’Europe doit être, en fonction de nos propres valeurs, mais nous sommes incapables de dire clairement ce qu’elle est aujourd’hui. Le chemin à prendre pour envisager une autre Europe, celle que nous, socialistes, souhaitons reconstruire et défendre, commence donc par emprunter à rebours celui de ses fondations encore fragiles, et de son bilan parfois – souvent -discutable pour l’ensemble de nos concitoyens, faute d’un programme cohérent et ambitieux.

Pour beaucoup, l’Union Européenne apparait uniquement aujourd’hui comme un vaste marché, inhumain ou déshumanisé, qui n’appelle à aucune transformation spontanée parce que la mondialisation s’est imposée en seul objectif d’évolution. De nombreuses mutations économiques et dynamiques ont pourtant déjà eu lieu en Europe, à l’initiative d’institutions comme la Commission européenne ou le Conseil de l’Europe. Mais dans un moment où les avancées portées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme sont rares, nous devons réaffirmer nos valeurs humanistes,et démocratiques, afin qu’aucun modèle économique imposé par une Europe de lobbyistes ne puisse triompher sans la volonté des peuples. Les nations européennes doivent s’opposer à la brutalité d’un tel système au lieu d’y participer, puisqu’elles n’y sont pas soumises.

L'Europe est un outil de paix, et même si elle reste un ouvrage encore en cours de construction, elle peut devenir un outil de pacification à l'échelle mondiale, pour assurer au mieux ses échanges commerciaux et son propre développement économique, ainsi que la sécurité de sa population et de ses ressortissants. Affirmer les valeurs de l'Europe, c'est d'abord rappeler que notre coopération est née après la guerre contre la guerre. Le socle fraternel sur lequel elle s'est bâtie avait aussi pour ambition d'empêcher de nouveaux crimes contre l'humanité, dont certains aujourd'hui encore banalisent l'existence, nient la réalité ou pire font l'apologie.
Il convient pour y parvenir d’asseoir la présence de l’Europe en tant qu’entité solidaire à l’ONU, ce qui permettrait d’impacter fortement les politiques internationales sur la démocratie et le développement. Cette démarche implique évidemment la naissance, enfin, d’une véritable constitution européenne, inexistante à ce jour, ainsi que la création d’une force militaire unitaire regroupant les différentes composantes de ses états membres.

Dans le même ordre d’idées, une mutualisation des ressources sociales, éducatives, culturelles, énergétiques, scientifiques, marquerait une réelle ambition de coopération progressiste et une avancée considérable dans son fonctionnement. Il serait d’ailleurs, à titre d’exemple, particulièrement efficace de développer beaucoup plus largement les programmes de types Erasmus en les dotant de moyens financiers suffisants afin que chaque enfant et chaque étudiant européens puissent effectuer des voyages réguliers au sein des états membres, quitte à les assurer d’une prise en charge totale des frais engendrés pour ceux dont les moyens financiers ne permettent aucune participation.

Parce qu’il faut travailler sur l’identité européenne, l’art et la culture doivent y prendre une part et une place prépondérantes. Outils de communication, mais également d’éducation et d’identification, ils seront complémentaires d’une redéfinition économique et politique de l’Europe et de son rôle sur le continent autant qu’à travers le monde : pacification, régulation, développement. Il est par ailleurs impératif de mieux instruire les citoyens européens sur le fonctionnement de ses institutions et de leurs rôles, qui leur paraissent bien souvent très opaques. Il appartient aux socialistes de s’affirmer pour une Europe de proximité, qui soit utile et protectrice au quotidien, efficace dans les mesures qu’elle impose de mettre en place à ses états membres dans le souci d’améliorer la qualité de vie de ses habitants, et non seulement les chiffres budgétaires d’une fiscalité mal expliquée. La création d’une carte d’identité européenne est également à envisager. Les efforts de François Mitterrand et de ses prédécesseurs ont été exceptionnels pour aboutir au Passeport de la Communauté Européenne dès les années 80. Ils prouvent qu’une construction européenne inclusive des citoyens est possible, à condition de vouloir la réaliser. Ce progressisme passe par les modifications évoquées précédemment: elles s’inscrivent dans la continuité du développement des institutions européennes. En ce sens, il faut en finir avec les populismes et les opportunismes nationaux. Une solidarité réelle entre les pays en matière économique, culturelle et militaire est évidemment la pierre angulaire de ce combat contre les communautarismes et le repli sur soi, qu’ils soient d’ordre nationalistes ou religieux.

Il est donc temps de donner à nos institutions un rôle clairement défini, en cohérence avec les compétences que nous souhaitons choisir et accorder aux États-membres ; l’Europe peut être le centre d’enjeux fondamentaux comme l’emploi, les migrations, la santé publique, et l’Union Européenne reconnue comme grande puissance pluriculturelle et unilatérale dans le monde. Si les bases du système actuel n’appellent pas à une modification de premier plan, le fonctionnement de l’Union doit être plus démocratique (suffrage européen universel direct), et plus transparent (élection de tous les membres, fin du lobbying). Nous pouvons logiquement faire évoluer son modèle vers un idéal réaliste, même dans un monde en constante évolution.

Enfin, nous ne devons pas abandonner le débat sur la souveraineté aux fossoyeurs de l’Europe. Car s’il est vrai que près de 80 % des lois désormais votées sont la résultante de directives européennes, les états membres restent toutefois en capacité de les mettre en œuvre tel qu’ils les envisagent eux-mêmes. La question n’est d’ailleurs pas tant la souveraineté elle-même que l’influence qu’un état membre peut avoir au Conseil de l’Union européenne, malheureusement inaudible, et dans le rôle du parlement qu’il faut absolument renforcer afin de rétablir un juste équilibre des forces entre la Commission européenne et les Députés. Tous les états-membres doivent pouvoir prendre activement part à la construction européenne. L’« Europe à deux vitesse » est une hérésie politique. C’est réinjecter un libéralisme irresponsable dans un modèle ultra-libéral déjà trop dévastateur. Il nous faut une Europe soudée, portée par les meilleurs dans leurs domaines de compétences, par une approche toujours et réellement coopérative permettant à chacun d’apprendre des autres. Les états y gagneront en force et en cohérence, mais surtout, l’Union Européenne pourra enfin se tourner fièrement vers l’extérieur.

20 PROPOSITIONS POUR UNE EUROPE QUI AGIT

AU NOM DE SES VALEURS ET DE SES PRINCIPES

1. Une taxation juste et harmonisée pour empêcher l’évasion fiscale et le dumping social des monopoles commerciaux et garantir l’égalité interétatique.

2. Augmentation significative, jusqu’à 2% du PIB national, de la participation à l’Union européenne.

3. Redistribution directe des richesses auprès des citoyens européens pour leur garantir un revenu minimum.

4. Investissement de l’Union européenne dans les entreprises régionales pour créer un dynamisme et un cycle locaux vertueux.

5. Partages culturels inter-entreprises après initiatives d’expérimentations locales pertinentes et reconnues.

6. Interdiction totale et définitive du lobbying : les acteurs politiques savent s’informer.

7. Faire payer au prix du consommateur les produits non commercialisés et les excès d’invendus par les producteurs.

8. Création obligatoire d’instances nationales indépendantes pour vérifier la qualité des produits mis sur le marché (mise en conformité, toxicité, conditions de production, etc.)

9. Création d’une armée européenne de défense à caractère dissuasif.

10.Favoriser et garantir la possibilité de voyager pour les jeunes européens.

11.Instauration d’un mois de service civique européen pour la création d’une carte d’identité européenne.

12.Harmonisation du droit du travail assorti de contrôles obligatoires et réguliers sur son respect.

13.Droit à une rémunération égalitaire et équitable dans tous les pays de l’Union européenne.

14.Étendre au niveau européen la logique de la loi française sur le droit au logement.

15.Garantir dans les meilleures conditions l’accès à une alimentation saine et équilibrée pour tous les européens.

16.Élargir l’accès à l’énergie en contrôlant l’explosion des dépenses liées à sa consommation pour les citoyens.

17.Garantir durablement un accès à l’eau potable pour tous.

18.Garantir un droit à la santé par le développement et le redéploiement d’une sécurité sociale universelle inscrite dans sa future constitution à travers les pays de l’union européenne.

19.Créer une instance européenne disposant de larges moyens d’actions juridiques et financiers pour lutter contre la corruption et assurer efficacement la protection des lanceurs d’alerte.

20.Mettre en place une véritable politique de solidarité envers les migrants, aptes à assurer leur sécurité et leur protection.

SIGNATAIRES :

BENJAMIN BOURGOIN, SYLVAIN MORAILLON

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte