SYLVAIN MORAILLON
Président de la Ligue française des droits de l'enfant, président de l'Adua, vice-président de Violette Justice
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Billet de blog 18 juin 2015

SYLVAIN MORAILLON
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L’IMPUNITÉ, LE GRAND CANCER DE LA DÉMOCRATIE.

SYLVAIN MORAILLON
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Sophie Coignard, dans son livre L’omerta française[1], paru en 1999, évoquait le club des étouffeurs, pour parler d’une certaine intelligentsia dont le rôle prépondérant est de faire taire les lanceurs d’alerte, et d’imposer le silence et l’impunité face aux pires dérives affairistes d’un système qui profite également à ces mêmes fossoyeurs d’éthique. Plus récemment, suite à la relaxe d’Éric Woerth dans l’affaire Bettancourt, Médiapart s’indignait du fonctionnement actuel de la justice en dénonçant la « machine à blanchir »[2].  L’évidence qui s’impose est donc qu’en plus de 15 ans, absolument rien n’a changé. En réalité, la situation est bien pire aujourd’hui, : toutes les forfaitures sont permises, sans que jamais les coupables ne soient condamnés, si ce n’est, dans le meilleur des cas, à des peines symboliques quand dans tant d’autres pays les mêmes innocents aux mains pleines auraient été cloués au pilori sur la place publique.

Après 13 ans de procédure, Jacques Chirac coule doctement des jours paisibles de retraité après avoir été condamné pour « détournement de fonds publics », « abus de confiance », « prise illégale d'intérêts » et « délit d'ingérence », aux frais de la République qu’il a si loyalement servie[3]. Quant à Charles Pasqua, relaxé dans l’affaire Pétrole contre nourriture[4], ses condamnations, outre les deux ans de sursis dont il a écopé en première instance dans l’affaire Hamon[5] et les dix-huit mois supplémentaires de l’affaire Annemasse[6], il a tout de même pris un an de prison ferme dans le procès de l’Angolagate[7]. La prison, pourtant, il n’ira jamais, car la Cour de justice de la République l’en a exempté en raison de  son « âge et de son passé au service de la France», et l’a relaxé en appel[8].  Finalement, c’est sur le mensonge afférent à sa déclaration de patrimoine qu’il aura le plus de soucis, puisqu’il sera condamné à 5000 € d’amende[9]. Une fortune pour un homme tel que lui.

Ni Chirac ni Pasqua, il est vrai, n’ont réellement démérité dans l’exercice de leurs fonctions, même si, avec le recul, on peut leur reprocher d’avoir définitivement implanté le Front national dans le paysage politique français en s’accaparant et donc en banalisant ses théories fumeuses sur l’immigration et la sécurité. Mais est-ce parce qu’ils ont servi la République et l’État qu’ils ont le droit de spolier les contribuables et d’ignorer si honteusement les lois ? Il semble que l’on doive répondre par l’affirmative, et de là vient, en grande partie, la défiance du citoyen pour les politiques. "À quoi sert-il d’aller voter, puisqu’ils sont tous pareils, tous corrompus, et que de toute façon, ils n’auront jamais à répondre de leurs exactions lorsqu’ils en commettent ?" Ainsi parlait l'électeur en 2015. 

Assurément, les condamnations de Chirac et Pasqua devaient amorcer une ère nouvelle, celle de la République propre, promise et si chère à François Hollande. Au moins ce dernier est-il irréprochable sur ce point, car nul ne doute ni ne peut douter de son intégrité, même pas les Guignols de l'info, pour lesquels il n'est qu'un "bleu en affaires". C’est une grande première, si l’on se souvient des diamants de Bokassa sous Giscard[10] et de l’affaire Urba sous Mitterrand[11]. Quant à Sarkozy, qui croule sous les affaires mais finit toujours par s’en sortir, qui a tenté de faire financer sa campagne présidentielle par une puissance étrangère, en la personne de Kadhafi[12], et de vendre à bas prix les réserves d’or de la France[13], le moins que l’on puisse dire est qu’il ne constitue pas un exemple d’éthique digne d’une République moderne et rénovée, à l’aune d’une crise économique mondiale qui n’en finit plus de s’enliser malgré les effets d’annonces de la BCE et de tant d’autres, qui commencent à redouter, notamment en Europe, l’embrasement des soulèvements populaires tels qu’on a pu en voir en Espagne[14] ou ailleurs. Jérôme Cahuzac a quand même réussi la perfomance de mentir, filmé, devant le peuple tout entier et la représentation nationale[15]. Hormis le fait que cet « incident » fâcheux aura sans doute mis fin, pour longtemps, à sa brillante carrière politique, son renvoi en correctionnelle pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale marquera-t-il réellement un tournant ? Il faut l'espérer, car la liste pourrait s’allonger indéfiniment : il suffit de penser aux époux Balkany, qui défraient la chronique depuis si longtemps, mais continuent, nonchalants, de diriger Levallois-Perret d’une poigne de fer en criant au loup dès que l’on ose mettre en cause leur probité.[16]

Cela doit changer. Il est intolérable que les serviteurs de l’État échappent à tout contrôle, et à toutes sanctions lorsqu’ils dévient, alors même que les lois de la République sont conçues pour punir sévèrement de telles dérives. Et les politiques, qui ont malgré tout bon dos pour essuyer la vindicte populaire lorsque tout va si mal, ne sont pas les seuls concernés : ils sont seulement les plus exposés médiatiquement. Ils sont également une proie de choix pour tous ceux qui sont animés par une volonté de puissance personnelle, lesquels n’hésitent pas, parfois, à inventer des affaires de toutes pièces, y compris judiciaires, pour ternir l’image d’un ministre, d’un député, d’un candidat[17]. La justice, dont on nous serine qu’elle serait indépendante, est pourtant bel et bien instrumentalisée ! Les forfaitures commises dans l’affaire Kerviel sont tout simplement ahurissantes : pièces de procédures et témoins écartés, analyses des experts passées sous silence, procès uniquement à charge, en violation de toutes les règles et du principe soi-disant fondamental du contradictoire[18]. La question qu’il faut donc se poser est : à qui profite le trucage d’un tel procès ? Pourquoi les auxiliaires de justice ont-il benoitement suivi mot à mot la version de la Société Générale, quitte à se rendre coupables de déni de justice ? À leur tour, en répondront-ils jamais ? Évidemment, cette fois encore, la réponse est non. Et d'ailleurs, ce qui est encore bien plus inquiétant, c'est que personne n'ait eu le courage de poser la question !

Politique, justice, administrations, organismes et professionnels de santé publique, caisses de recouvrement, grandes entreprises : l’impunité n’en finit plus de sévir, et de mettre en grand danger notre démocratie. Une République qui rompt avec l’article 6 de la Convention des droits de l’homme et du citoyen, « La loi doit être la même pour tous », est une République mourante. Notre époque va mal. Pas seulement en France, partout dans le monde. Si certains, indéniablement, s’efforcent de contenir les effets dévastateurs d’un système que plus personne ne semble en mesure de contrôler, d’autres profitent de ce désespoir généralisé pour s’enrichir au détriment des populations aux abois. L’indécence des sénateurs UMP s’octroyant généreusement des primes de Noël aux frais d’un contribuable exsangue a de quoi laisser pantois[19].  Il est à parier que d’ici deux mois, ce sera oublié, et qu’ils n’auront jamais à en subir les conséquences.

En France, les juges exonèrent presque systématiquement les serviteurs de l’État et leurs auxiliaires de leurs crimes et délits. Or, personne ne juge les juges, et surtout pas eux, qui sont pourtant les premiers à violer impunément les lois ou à les ignorer. Au contraire, ils réclament encore plus de pouvoir, plus d’indépendance, et tout cela sans la moindre contrepartie, pour s’affranchir du pouvoir politique et de leur ministre de tutelle. Le sénat s’apprête par ailleurs à valider un amendement qui donnera l’impunité totale aux professionnels de santé qui feront des signalements, sans que l’on puisse engager de poursuites pour faux ou diffamation dans un domaine où pourtant les abus sont déjà inadmissibles, et qui est celui de la protection de l’enfance ! Les incroyables pratiques des RSI ou des mandataires judiciaires, dépouillant sans scrupules les patrons de PME après les avoir acculés à la faillite, toujours en dehors de la légalité, ne sont jamais inquiétés. Les abus de pouvoir, dès qu’ils émanent d’un personnel travaillant au sein d’une institution, ne sont jamais réprimés.

Ce que les français réclament avant toute chance, c’est l’application du principe d’équité : que la justice soit respectée, que la loi soit appliquée et qu’elle reste la même pour tous. Les mêmes droits, avec les mêmes devoirs. Que la corruption cesse enfin, car elle est principalement responsable des extrêmes difficultés économiques de notre nation, qui dispose pourtant de tous les atouts pour se relever dignement d’une période sombre. Ce n’est qu’à ce prix que la confiance des citoyens envers nos institutions, et envers la République, pourra être rétablie.


[1] http://livre.fnac.com/a7112458/Sophie-Coignard-L-Omerta-francaise

[2] http://www.mediapart.fr/journal/france/280515/la-justice-francaise-une-machine-blanchir

[3] http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/12/15/verdict-attendu-dans-l-affaire-des-emplois-fictifs-de-la-ville-de-paris_1618652_3224.html

[4] http://www.leparisien.fr/faits-divers/proces-petrole-contre-nourriture-tous-les-prevenus-relaxes-dont-pasqua-08-07-2013-2964943.php

[5] http://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/affaire-hamon-santini-et-pasqua-condamnes-22-01-2013-2501497.php

[6] http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20100408.OBS2112/casino-d-annemasse-pasqua-definitivement-condamne-a-18-mois-avec-sursis.html

[7] http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/27/angolagate-charles-pasqua-condamne-a-un-an-de-prison-ferme_1259457_3224.html

[8] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/04/29/01016-20110429ARTFIG00470-angolagate-pasqua-relaxe-peine-reduite-pour-falcone.php

[9] http://www.leparisien.fr/faits-divers/declaration-de-patrimoine-charles-pasqua-condamne-a-5-000-euros-d-amende-13-05-2014-3837637.php

[10] http://lecanardenchaine.free.fr/affaires.html

[11] https://lecanarddechaineblog.wordpress.com/2013/02/12/financement-occulte-des-partis-politique/

[12] http://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/notre-dossier-largent-libyen-de-sarkozy

[13] http://www.marianne.net/Le-jour-ou-Sarkozy-a-jete-18-milliards-d-or-par-les-fenetres-_a200273.html

[14] http://www.mediapart.fr/journal/international/270515/espagne-cest-une-vague-de-soulevements-qui-commence

[15] http://www.liberation.fr/politiques/2013/04/02/cahuzac-je-n-ai-jamais-dispose-d-un-compte-en-suisse-jamais_893132

[16] http://www.lexpress.fr/actualite/politique/ump/ces-affaires-qui-touchent-les-balkany_1679379.html

[17] http://100p100desintox.over-blog.com/2015/06/la-rumeur-comme-arme-de-destruction-politique-massive.html

[18] http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/05/18/mediapart-rouvre-l-affaire-kerviel_4635038_1653578.html

[19] http://www.ladepeche.fr/article/2015/06/17/2126582-quand-senateurs-ump-versaient-8-000e-etrennes-noel.html

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