L’essentiel des programmes d’aides et de soutien aux entreprises culturelles ou aux artistes, en France, bénéficie à des structures déjà bien établies. Les mécanismes d’attributions sont filtrés par les conditions d’accès et de dépôt des dossiers. La Sacem, par exemple, a mis en place un « accompagnement digital », qui « s’adresse aux artistes qui souhaitent créer des contenus vidéos et numériques s’inscrivant dans une démarche de promotion et de développement de carrière ». Malgré une intention louable, cette aide ne concerne pourtant que des artistes ayant déjà commercialisé au moins deux albums, donc des artistes qui sont déjà dans un processus de production avancé. La même société d’auteurs-compositeurs prévoit une aide aux festivals et manifestations audiovisuelles dont les critères d’éligibilité démontrent également qu’elle ne profite en réalité qu’à des organisateurs présentant des garanties financières conséquentes, le calcul du montant attribué dépendant directement, et proportionnellement, du budget de production des évènements soutenus. Nous pourrions multiplier les exemples : l’aide aux formations et ensembles de musique contemporaine n’est attribuée qu’à des formations donnant déjà une dizaine de concerts par an. À la SACD, les mêmes principes sont actifs. Ainsi, le fonds SACD Web Séries apporte certes une aide financière aux auteurs, mais uniquement à partir de la 2ème saison de production de leur série. Pour les producteurs, c’est la même chose. Seuls ceux qui ont déjà un passif et les moyens financiers de produire, avec ou sans aide, de nouveaux spectacles ou de nouveaux artistes sont éligibles aux différents programmes. C’est vrai pour la musique, comme pour le cinéma. Les fonds d’aide à l’écriture du CNC s’adresse exclusivement à des auteurs attestant de plusieurs œuvres, même s’il s’agit de courts-métrage ; quant à l’avance sur recettes, elle n’est opérante que pour des films déjà produits, contrats de distribution à l’appui.
En clair, l’argent est toujours redistribué aux mêmes producteurs, aux mêmes organisateurs, aux mêmes sociétés, celles qui en ont le moins besoin et qui sont capables de répondre à des critères d’éligibilités telles que l’on se demande si réellement elles ont besoin de ces aides. Ou alors, les montants, souvent mineurs, sont répartis aux artistes qui se sont, déjà, d’une manière ou d’une autre, installé dans le paysage culturel. En résumé, la culture est soumise aux mêmes aberrations que les entreprises qui répondent aux appels d’offres, que ce soit sur les marchés publics ou privés. Or, s’il est primordial, et même vital d’augmenter les budgets de la culture, comme l’a promis Manuel Valls pour 2016, il est tout aussi nécessaire de repenser les mécanismes d’attributions des multiples aides et soutiens dont les entreprises et les intervenants du secteur peuvent bénéficier. Car pour développer les talents, encourager les initiatives et les créations d’emploi, optimiser la qualité des projets en obligeant les artistes et les producteurs à innover et à prendre des risques créatifs, ce sont les premières œuvres, les artistes débutants et les structures naissantes qu’il faut soutenir. Pour cela, nous disposons déjà des moyens financiers : le budget de la culture avoisine les 7 milliards d’euros. Et nous disposons également d’un modèle dont nous inspirer, qui est celui de l’aide à la création d’entreprise, domaine où la France a su faire ses preuves, se montrer audacieuse et innovante à travers de nombreux dispositifs d’incitation et d’accompagnement.
Il n’est pas question, naturellement, de priver les entreprises culturelles des aides dont elles bénéficient et qui sont parfois nécessaires à leur survie. Mais une meilleure répartition, réorientée en faveurs des initiatives, des créations ex nihilo, des potentiels naissants, et permettant aux innombrables talents dont la France regorge et qui sont à l’heure actuelle étouffés, faute de moyens, par un ascenseur social en panne, serait sans doute le meilleur moyen de redynamiser un secteur qui manque cruellement aujourd’hui de vitalité et d’inspiration.