SYLVAIN MORAILLON
Président de la Ligue française des droits de l'enfant, président de l'Adua, vice-président de Violette Justice
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Billet de blog 28 avr. 2015

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LOI SUR LE RENSEIGNEMENT : LE TRIOMPHE DE BIG BROTHER...

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OU LA TENTATION TOTALITAIRE DE LA FRANCE

Le projet de loi sur le renseignement qui sera présenté le 5 mai au parlement rappelle les heures les plus sombres de la République. Rédigé dans l’urgence, présenté en procédure accélérée pour forcer son adoption sans concertation nationale préalable, sa lecture laisse apparaître une volonté franche de pouvoir surveiller n’importe qui, n’importe quand, d’enregistrer discussions, messages et vidéos sans rendre de compte à personne. Les motifs invoqués pour permettre de justifier les collectes d’informations sont suffisamment larges et imprécis pour autoriser de surveiller les simples opposants politiques, les manifestants, les défenseurs de causes diverses et variées nourrissant la dynamique républicaine et permettant à la démocratie de survivre aux présidences liberticides qui se sont succédées depuis l’élection de Chirac en 1995. Installer des « boites noires » chez les fournisseurs d’accès, c’est s’autoriser d’office à surveiller toutes les communications numériques quelles qu’elles soient : mails, chats, statuts et discussions sur les réseaux sociaux, appels téléphoniques d’ordre privé, skype, etc. Le texte semble volontairement imprécis sur le qui fait quoi : qui collecte les données, qui les analyse, qui les détruit. Les termes génériques employés dans sa rédaction montre clairement l’intention de créer la confusion afin de rester libre, à tout moment, de prendre l’initiative de la répression. Au nom de la sécurité, l’état s’apprête à instaurer la surveillance massive des citoyens sans qu’aucun contrôle, ni en amont ni en aval, ne puisse réellement être mis en place de manière effective. De quel poids dispose un particulier face au Conseil d’état même s’il est en mesure de le saisir ? Quel argument peut faire valoir le citoyen lambda face à la machine répressive animée par la raison d’état au nom de la sureté nationale ? Étrangement, la CNIL, pourtant largement consultée dans le processus, elle-même est parfaitement absente du projet de loi. Tout est prévu pour que les choses soient faites en interne, « entre gens de bonnes intentions ».

L’un des principaux problèmes de ce texte, qui semble avoir échappé à la majorité des analystes et commentateurs, est qu’il concentre un pouvoir immense entre les mains d’un seul homme, le Premier ministre. Or, concentrer tous les pouvoirs permettant de porter atteinte aux libertés individuelles et à la vie familiale et privée entre les mains d’un seul homme est l’apanage des régimes totalitaires. Il y a, derrière ce texte de loi, la volonté cachée de créer une gigantesque base de métadonnées recueillant des informations sur chaque citoyen afin de savoir ce qu’il fait, ce qu’il pense, ce qu’il dit, ce qu’il prépare, et en quoi il représente une menace pour le pouvoir en place. C’est la logique du meilleur des mondes, avec un non dit qui exprime une menace répressive exhortant le peuple et les citoyens au silence et à l’inaction, à l’acceptation de tout faute de se voir désigné à l’opprobre publique comme mettant en danger la République à travers le filtre conceptuel des « violences collectives » ou de la « menace terroriste ». Le journaliste ou l’écrivain effectuant des recherches documentaires sur le net et les réseaux, l’étudiant ou l’universitaire deviennent soudain suspects et possiblement objet d’une étroite surveillance.

 À travers la loi sur le renseignement, c’est un engrenage fasciste mettant en péril le droit associatif, parmi d'autres, dans lequel la France s’engage. La liberté d’opinion devient un délit présumé commis, le droit de manifester une menace terroriste passible de prison, et tous les abus sont dès lors possibles, le texte ne prévoyant aucune sanction pénale pour les dérives qui pourraient avoir lieu, en France comme à l’étranger.

Un pays dans lequel des « services spéciaux », sans rendre de compte à personne, sans assumer la moindre responsabilité, au nom d’un « préalablement coupable éventuel » peuvent surveiller les citoyens tant à l’intérieur de leur domicile que dans la rue en collectant des données les concernant, est un état fasciste. L’ère du Big Brother, qui a déjà commencé, arrive à l’heure de son triomphe. Le message n’est pas de dire aux citoyens : « N’ayez pas peur, nous sommes là pour vous protéger. » C’est au contraire leur dire : « Ayez peur de nous, nous vous surveillons, partout, et à tout heure. » 

http://blogs.mediapart.fr/blog/la-redaction-de-mediapart/240415/4-mai-mediapart-organise-les-six-heures-contre-la-surveillance

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