Le but de l'homme moderne sur cette terre est à l'évidence de s'agiter sans réfléchir dans tous les sens, afin de pouvoir dire fièrement, à l'heure de sa mort: je n'ai pas perdu mon temps. (Pierre Desproges).
Le personnage principal du premier roman de Raphaël Enthoven, Le Temps Gagné, est moderne (vocabulaire cru, c'est moderne, non?) et il s'agite. Donc à l'heure de sa mort il pourra à coup sûr dire qu'il n'a pas perdu son temps. Ça tombe bien, son père lui conseillait d'en gagner. "Gagne du temps. Sois péremptoire, snob ou dogmatique…Mais gagne du temps".
Et si vous aussi, vous souhaitez économiser votre précieux temps de cerveau disponible, ne lisez pas Le Temps Gagné (Les éditions de l'observatoire, 2020). Autrement vous risquez de vous sentir spolié. J'ai été assez docile pour aller jusqu'à la page 372. A cet endroit l'auteur décrit la manière dont Faustine, la compagne du narrateur, insonorisait le "plouf" de son caca. Ce passage scatologique aura été salvateur, il restait 150 pages.
Une métaphore de publicité mensongère ? D'abord, on y perd son temps, et ensuite il n'y a rien dans ce roman qui fasse penser au chef d'œuvre de Marcel Proust. A mon humble avis, le problème de l'auteur est qu'il a des facilités pour écrire et qu'il est cultivé. Aurait-il pensé que son journal intime pourrait servir de trame à une histoire? Mais un roman c'est l'histoire de, et dans le cas présent je serai incapable de vous dire de qu'elle histoire il s'agit.
La publication d'un journal aurait été plus judicieuse. Dans un journal, on ne s'attend pas à une histoire, on cherche à rentrer dans l'intimité de l'auteur, sans but précis, on chine. Mais Le Temps Gagné nous promet en quelque sorte une histoire et lorsque la petite souris s'aperçoit qu'il n'y a pas de morceau de fromage dans le grand labyrinthe, elle s'énerve. Je fis l'erreur d'accorder beaucoup de crédit à Raphaël Enthoven, le philosophe, d'ou les 372 pages. Mais c'est d'Enthoven le romancier dont il est question ici. Eine grosse Nuance.
Le narrateur évolue dans la gauche caviar, le terme est employé. Je parlerai plutôt de Bourgeoisie Bon Marché (BBM). Le plus crispant est que l'auteur ponctue son texte de passage de gros mots bien vulgaires. S'imagine-t-il que ça fait bonhomme, que c'est le symptôme d'une forme d'adversité sociale, d'une origine populaire? Comme si il tentait de se mettre à notre hauteur. Imposture.
Un des rares intérêts de l'ouvrage est qu'il m'a donné l'envie de lire "Rien de Grave" (Ed. Stock, 2004) de Justine Levy. Je conseille. Plus court, moins arrogant. Un cri d'angoisse et de peine teinté d'espoir. Une écriture simple qui vous tire rapidement vers la lumière au bout du tunnel. Très bien. Avalé en à peine deux jours.
En revanche, toujours cette manie BBM de citer sans arrêt les noms de rue. J'ai mis un moment à comprendre l'intérêt mais lorsqu'on possède plusieurs lieux de vie ou de villégiature ça devient indispensable sinon on ne s'y retrouve plus. Indéniablement nous avons affaire à des PDF. Plusieurs Domiciles Fixes. Rue Condé, rue Bonaparte, rue de Savoie, rue de l'Ancienne Comédie. Chez les BBMs, on ne descend pas en dessous de 15k euros le mètre carré. It's safer.
Bref, Le Temps Gagné est une confusion des genres littéraires. Si vous souhaitez plonger dans la confusion, lisez plutôt le récit de Marie Tanguy, Confusions (Editions Jean Claude Lattès, 2020). Je vous en parlerai une autre fois.
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