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Billet de blog 5 août 2025

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Les goûts et les couleurs, ma grand-mère et moi

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« Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas » répétait inlassablement ma grand-mère. La première fois que j’entendis, et surtout que je compris cet aphorisme, il me sembla à la fois lumineux et incontestable. J’étais à l’âge tendre où les paroles de ma grand-mère sonnaient comme des vérités universelles. Ça n’a pas duré.

Aujourd’hui, des entreprises, comme celle qui me fournit de la musique en streaming, à toutes les heures de la journée, s’appuient sur des modèles d’utilité marginale décroissante pour prédire le moment fatidique où l’auditeur, lassé après trop d’écoutes, va switcher. Avec ma grand-mère, j’ai switché à quinze ans. Malheureusement pour moi, comme je vivais avec elle, il n’y avait pas d’autre playlist, pas d’autre grand-mère à écouter. J’étais condamné à endurer ses maximes.

Et chaque fois qu’elle ressortait son sempiternel « Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas », souvent pour clouer le bec à mon grand-père, j’avais, je l’avoue avec un brin de culpabilité rétrospective, presque envie de l’étrangler (paix à son âme). Car à cette époque, s’il y avait bien une chose qui me tenait à cœur, c’était de discuter. Et plus encore, de critiquer : les goûts déprimants de ma famille, les couleurs criardes de mon quartier, cet univers que j’avais pourtant autrefois exploré, heureux, avec mon vieux bicloune et mes poteaux. Mais à l’adolescence, les lieux de mon enfance prenaient des airs de sitcom mal éclairé. J’habitais dans La France Moche et je commençais à m’en rendre compte.

« J’ai des goûts très simples ; je me contente de ce qu’il y a de meilleur. » (Oscar Wilde)

Géraldine Sarratia, elle, consacre des émissions entières à parler des goûts (et parfois des couleurs) de ses invités. Ma grand-mère aurait détesté son podcast. Moi, j’en raffole. Mais attention, Le Goût de M, ce n’est pas un tribunal ; Géraldine ne juge pas. Elle explore, elle nuance : « Quel était le goût de votre enfance ? Vos amis ont-ils du goût ? Peut-on tomber amoureux de quelqu’un dont on ne partage pas les goûts ? » Voilà les questions qu’un enfant curieux devrait poser à sa grand-mère, plutôt que de la critiquer bêtement, et un peu méchamment, les deux allant ensemble. J’aurais peut-être appris plus de chose sur elle.

« En matière de goût, même les imbéciles ont le leur. » (attribué à Guy de Maupassant)

Si vous ne deviez écouter qu’un épisode de ce podcast, choisissez celui avec l’historien Michel Pastoureau. En parlant de ses goûts personnels, il nous plonge par la même dans l’histoire de la symbolique culturelle des couleurs. Là, Géraldine touche à la quintessence de son projet : elle laisse parler, elle relance (Pourquoi ? demande-t-elle souvent), elle s’étonne. Et lui, avec son calme et son phrasé ciselé d’universitaire, lâche des perles. Il reprend notamment la théorie de l’intérêt décroissant, version chromatique : « C’est une erreur de vivre dans des couleurs tapageuses quand on les aime. Ça finit par vous en dégoûter. »

À la fin de chaque épisode, Géraldine pose la question:
– Alors Michel Pastoureau, ce serait quoi, pour vous, avoir du goût ?
– Avoir du goût ? Mais tout le monde a du goût ! Ce qu’il faut, c’est ne pas en avoir honte.

Selon cette définition, ma grand-mère avait du goût. Et avec un peu de recul, je commence à penser qu’elle avait peut-être raison : les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. En revanche, on se doit d’en parler. Loin d’être vain, cela ouvre des perspectives insoupçonnées sur les autres. Et peut-être même sur soi-même...

« Il faut de tout pour faire un monde, même des gens qui aiment l’andouillette. » (SylvainPö)

Illustration 1
Ile aux moines © SylvainPö

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