Approchez-vous. Vous avez votre téléphone ? Bien sûr. Ouvrez Google Maps, tapez « Île aux Moines ». Voilà. Maintenant, avec votre index et votre pouce, zoomez un peu. Non, pas là. Plus à l’ouest. Oui, là : plage du Gored. Vous me voyez ? Grande serviette bleue avec des dauphins. C’est moi.
Vendredi 8 août 2025, cinq heures de l’après-midi. La mer monte (pleine mer à 19h11, coefficient 74). Soleil impeccable, petite brise complice, cris joyeux d’enfants, ronronnement d’un moteur de bateau au large, vaguelettes qui chatouillent l’estran. Plage bondée (on dit la haute saison), conversations qui s’entrecroisent. Approchez l’oreille, voici quelques échantillons :
Bribe n°1
– Tu pourras me rendre mon plat ? J’ai envie de faire un clafoutis.
– Demain matin, ça te va ?
– Parfait. Ségolène et son mari arrivent demain soir.
Bribe n°2
– Elle a déposé une main courante.
– Elle devrait porter plainte.
Bribe n°3
– Ma belle-sœur ne veut plus venir.
– Pourquoi ?
– Il est insupportable, il insiste pour dîner tous les soirs à 20h.
– On est en vacances, quand même !
Bribe n°4
– Bon je remonte, tu t’occupes d’Octave.
– J’peux pas, j’ai un call dans 30 minutes.
Et personne, absolument personne, ne parle de la fin du monde. Pourtant, c’est aujourd’hui. Une amie nous l’a rappelé à l’apéro : Trump a donné un ultimatum à Poutine, et ça tombe le 8 août. Mince, une si belle journée pour tout faire sauter… mais ici, zéro angoisse. Il n’y a plus que moi pour croire aux ultimatums de Donald ?
Pendant ce temps, famine à Gaza. Nétanyahou et sa clique d’extrême droite, après avoir rasé la bande, décident de l’occuper. Cela fera-t-il revenir les derniers otages ou disparaitre le Hamas ? Peu probable malheureusement. Par contre, la misère des Gazaouis, elle, va s’aggraver. J’ai envie de hurler sur la plage : « Et Gaza, on y pense ? Merde enfin ! » Mais je me tais. Trop lâche ou trop résigné. Les deux assurément.
Mon portable vibre. Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, poste sur X (qu’est-ce que le Quai d’Orsay fout encore sur X ?) que « la France condamne fermement le plan du gouvernement israélien visant à préparer l’occupation intégrale de Gaza ». Je pense ému à ce conseiller qui, soucieux de la posture nationale, a ajouté l’adverbe « fermement ». Héros de l’ombre. « My fucking ass » (excuse my french), dirait un ami grec.
On pourrait dire qu’on a toujours le choix. Moi je pense surtout qu’on manque d’empathie collective. Août oblige : la France s’en fout. Si je criais « Et Gaza, on y pense ? », on me regarderait comme un huluberlu, puis on retournerait à sa torpeur sablée. Allez, donnons-leur le bénéfice du doute… Je suis trop gentil.
Et Dieu dans tout ça ? Je plaisante.
J’ai honte.
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