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Billet de blog 16 juin 2025

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Ma nuit dans une « Love Room »

Le dernier livre de Christine Angot, « une nuit sur commande » pour la collection « ma nuit au musée » (éditions Stock) était une commande. Christine n’aime pas les commandes. Elle le dit clairement. D’ailleurs, Christine a toujours eu le courage de dire, de ne pas dire et surtout de contredire.

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Je n’apprécie guère les grandes réunions de famille. Qui plus est, celles qui se tiennent à Toulouse. Toulouse, c’est ennuyeux, le train n’y va pas vite. La voiture encore moins. Alors il faut prendre l’avion. L’avion c’est ennuyeux. Il y a des retards. On y mange mal. On doit exposer le contenu de sa trousse de toilette à des agents de sécurité. Les grandes réunions de famille, c’est ennuyeux. On passe d’une personne à l’autre sans vraiment aller au fond des choses.

— Bonjour.
— Oh bah, ça doit bien faire cinq ans ?
— Oui, c’est ça, avant le Covid.
— Tu bosses toujours à la mairie ?
— Oui, oui. Et toi ?
— J’ai été licencié.
— C’est bien, tu as du temps pour toi.
— Oui, oui.
— Vous êtes venus comment ?
— En avion.
— C’est bien, l’avion.
— Ah, tu crois ?

Toulouse, c’était une commande. On nous avait fait réserver la date plus de dix mois à l’avance. Impossible de dire que nous n’étions pas libres. Même s’il nous arrive de faire quelques pas de danses, mon épouse et moi ne sommes pas le ballet du Bolchoï avec un planning plein trois ans à l’avance. Inutile de dire que je n’aime pas être commandé.

Le dernier livre de Christine Angot, « une nuit sur commande » pour la collection « ma nuit au musée » (éditions Stock) était également une commande comme son titre le laisse présager. Et comme moi, Christine n’aime pas les commandes. Elle le dit clairement. D’ailleurs, Christine a toujours eu le courage de dire, de ne pas dire et surtout de contredire. Quand elle veut pas, c’est pas la peine d’insister, elle est comme ça la Christine, on ne la changera pas, elle a le courage de la sincérité. Elle n’est pas berrichonne pour rien. Lorsqu’en 2017 David Pujadas l’avait invitée sur le plateau de France 2 pour qu’elle balance à François Fillon, candidat à la présidentielle, ce que personne n’osait lui dire en direct, l’histoire notamment des costards à dix mille balles offerts par un « ami », cela avait été un moment plus qu’embarrassant pour le leader de la droite. La Christine, ça la dérange pas de mettre les doigts dans la prise en plein direct devant des millions de téléspectateurs. Ça réveille et ça remet les pendules à l’heure. Je la comprends, quand on est un transfuge de classe, il y a souvent des moments où on a envie de chier dans la colle. 

Illustration 1

Quoi qu’il en soit, dans « la nuit sur commande » Christine fait évidemment tout sauf ce qu'on lui a demandé de faire. Alléché par ce refus d’obstacle, j’avais décidé de lire son bouquin lors du week-end « grande réunion familiale » à Toulouse. Le dernier Angot servirait de bonbon pour faire passer ces quarante-huit heures au goût incertain. Le vendredi soir, veille du départ, je me mis à feuilleter cette pépite et aussitôt je m’aperçus qu’elle égaierait mes deux jours dans la ville rose. Il fallait seulement que je ne tournasse pas trop vite les pages pour que le plaisir durât jusqu’au dimanche soir. 

L’auteur de « L’Inceste » (1999, Stock) ne raconte pas vraiment sa nuit à la bourse du commerce, ce temple de l’art moderne qui abrite la collection privée d’un milliardaire. Elle n’en parle que sur trois pages. Autant dire presque rien. Mais elle n’est pas hors-sujet. Christine décrit son arrivée à Paris et son intégration plus ou moins réussie dans les cercles littéraires et le milieu de l’art contemporain. Dans les arrondissements à un chiffre de préférence, le Paris qui vit et pense, Madame. Elle y raconte les dîners de la FIAC (ne vous inquiétez pas si cet acronyme vous est inconnu). Elle cite beaucoup de noms que l’on croit reconnaître, elle croise des auteurs prestigieux. L’intelligentsia parisienne est comme une « grande réunion de famille »…

Samedi 12h, l’avion décolle. Très vite, on me demande :  «sucré ou salé?» La question me plonge dans un abîme de réflexion. L’hôtesse perd patience. Je prends un jus tomate, ce qui me semble être un bon compromis. La personne devant moi se fait servir un coca pour y mettre, dit-elle, son aspirine. Quelle idée. Lorsque j’avais quatorze, dans ma lointaine banlieue, il y avait cette rumeur urbaine d’adolescent qui prétendait que l’aspirine dans le coca décuplait votre érection. Mes deux potos Alain et Mehmed disaient « bander fort ». J’ai essayé et ça n’a jamais marché, on avait dû me donner un placebo. Je n’ai jamais été doué pour les essais cliniques. 

Arrivés à Toulouse, nous déjeunâmes sur la place du Capitole au son de la marche des fiertés qui s’apprêtait à partir défiler dans les rues du centre-ville. Finalement Toulouse n’était pas si ennuyeux. Puis nous nous dirigeâmes en fin d’après-midi vers Muret, au sud de Toulouse, en empruntant le TER, qui, lui, est plus agréable que l’avion car l’on peut y accrocher son vélo dans un wagon prévu à cet effet. Nous n’étions pas en vélo mais si nous l’avions été, nous l’aurions fait. Seize minutes de voyage, dans lequel je lus que le dernier job de Christine, avant de devenir écrivaine, fut un remplacement à la FNAC, au rayon poches, où son collègue- devenu son ami - l’avait aidée à trouver un éditeur pour son premier manuscrit. J’envoyai aussitôt une photo de ce passage à mon fils qui cherchait un boulot d’été en l’encourageant à postuler à la FNAC. « Qui sait, peut-être deviendrai-je écrivain? » me répondit-il. « Qui sait? » pensais-je.

Muret, bordée par la Garonne, est une ville calme (j'ai hésité à écrire "ennuyeuse"). Trop calme peut-être. Il n’y a aucun hôtel si bien que nous dûmes loger chez l’habitant. Une chambre surprenante avec un lit King Size, un sauna, un jacuzzi et une kitchenette. (Ma petite sœur, organisatrice de la « grande réunion familiale », me confiera quelques heures plus tard entre deux verres de punch que nous étions dans ce que les locaux appellent une « love room », en insistant sur les guillemets avec ses deux index et en me regardant avec un air entendu.)

Inutile de laisser planer le suspens: la greffe entre les avant-gardistes parisiens de l’art contemporain et Christine Angot ne prit jamais. Pourtant à bonne école dans le cénacle de Sophie Calle ou celui de Catherine Millet, notre Christine nationale ne se sentit jamais « à sa place ». Elle était avec eux mais sans y être, en dehors de son corps, une sensation comparable - à la lire - à celle ressentie lorsque adolescente elle fut violée par son père à maintes reprises. C’est probablement ce qui arrive à tous les gens que l’on force. Ils sont là physiquement, mais leur esprit est ailleurs. D’ailleurs le titre « une nuit sur commande » fait immédiatement penser à celles que son père lui fit subir. Le lecteur comprend in fine que Christine n’est bien que devant sa machine à écrire ou sur son clavier d’ordinateur.

Moi-même le samedi soir, en dégustant les petites saucisses apéritif, je sentis bien que je n’étais pas vraiment là. Les petites saucisses furent suivies d’un couscous, le plat préféré des Français, et de surcroît des Muretains. Nous quittâmes les festivités vers 1h du matin pour rejoindre notre « love room ». Nous nous endormîmes aussitôt sans user ni abuser des équipements mis à notre disposition. Le ronron du jacuzzi, que je n’avais pas réussi à éteindre, nous aida à dormir d’un sommeil profond. Au petit matin, je repris ma lecture sans faire de bruit pour ne pas interrompre les ronflements de mon épouse, qui fort heureusement cachaient ceux du frigo.

J’appris à ce moment que Christine et sa fille Éléonore avaient passé la nuit ou du moins une partie de la nuit, à la bourse du commerce sur des lits de camps. Je croyais les milliardaires plus généreux. Aristote Onassis invitait Maria Callas sur Christina O., un yacht de presque 100 mètres. François Pinault, lui, fait dormir Christine Angot sur un lit de camp. A moins que cela soit un truc d’art moderne, une « installation » comme ils disent: « Angot dormant sur un lit de camp dans un couloir ». Allez savoir.

Le lendemain des « grandes réunions de famille », il y a normalement ce qu’on appelle un « retour de noces », un déjeuner avant que tous les invités ne repartent. Il est de bon ton que les hôtes préparent un buffet avec les restes de la veille et y ajoutent des montagnes de charcuterie. C’est au moment de déguster une excellente terrine de canard qu’Evelyne me raconta qu’elle était repassée récemment dans la cité où elle m’avait mis au monde, la Butte Rouge à Châtenay-Malabry, où je passai donc les premières années de ma vie. Elle avait même pris des photos de l’immeuble au 1 rue Eugène Pottier. Je lui demandai de me les envoyer.  Les « grandes réunions de famille » peuvent réserver de belles surprises.

Illustration 2
1 rue Eugène Pottier, Chatenay-Malabry

Puis nous fîmes un au revoir général - bien plus efficace que les au revoir individuels - avant de reprendre le TER dans l’autre sens pour rejoindre Toulouse puis Blagnac. Dans l’avion du retour, je pris soin de ralentir ma vitesse de lecture. Je voulais lire la dernière phrase de « la nuit sur commande » au moment où les pneus de mon Airbus toucheraient le tarmac de l’aéroport d’Orly. Une dernière coquetterie avant de terminer mon dimanche. 

Cette commande « familiale » m’inspira finalement ce billet et je pris un certain plaisir à l’écrire. Comme quoi les « grandes réunions de famille » réservent parfois de belles surprises. Mais ça, je l’ai déjà dit.

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