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Billet de blog 18 novembre 2022

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Longtemps, je n'ai pas lu Proust.

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A la veille de notre quinzième anniversaire de mariage, mon épouse et moi-même venions chacun d'entamer, à vingt trois heures trente précise, la lecture d'A La Recherche du Temps Perdu.

Ce fait à la fois incongru et romantique, n'était pas le résultat d'un processus conscient, un projet à deux, comme si nous avions souhaité, quelques heures avant d'aborder la seizième année de notre vie de couple, re-synchroniser nos esprits en utilisant le plus compliqué des diapasons, en l'occurrence le plus célèbre des romans français. Non, il était le fruit du hasard. Si nous étions quelques minutes avant minuit alités, avec d'un coté mon épouse tenant la version anglaise "Swann's Way" et de l'autre moi-même tenant "Du côté de chez Swann", c'était le résultat d'une série d'évènements fortuits.

C'est ce hasard qui n'en n'avait pas l'air mais qui selon nous en était au premier abord sans que nous y crussions vraiment, qui m'interrogea. Qu'était-ce que cette vraie fausse coïncidence qui avait placé dans nos mains ces pavés de 574 pages en français et de 461 pages pour la version anglaise? Quels inconscients tortueux nous avaient réunis?

Je décidais d'enquêter.

Tout avait commencé quelques jours plus tôt avec une interview de Christine Angot. L'écrivaine répondant à la question "Pour vous, quel est la plus belle phrase de la littérature Française?" avait déclamé "Longtemps, je me suis couché de bonne heure" s'empressant de décrire comment Marcel Proust à partir de cette entrée en matière à la fois belle et sommaire avait déroulé le fil de sa pensée et la manière quasi chirurgicale dont il se couchait et s'endormait, ou plutôt ne s'endormait pas.

Je n'avais jamais grimpé en haut de cet Everest littéraire. J'étais à peine monté au camp de base en lisant Un Amour de Swann, ne comprenant pas d'ailleurs où figurait cet épisode dans l'ensemble de l'œuvre. Mais j'avais aimé, je pensais avoir touché du doigt ce qui faisait le talent de l'auteur, la description minutieuse des sentiments, l'effervescence des sens. Et puis je m'étais arrêté, en manque d'oxygène, incapable d'avancer plus loin, comme cela arrive à beaucoup d'alpinistes au-dessus de 8,000m. On ne part pas sans préparation à la conquête des plus hautes cimes. On s'entraîne, on s'entoure, on s'informe.

Mais Angot m'avait débloqué. De nouveaux j'avais envie d'atteindre le sommet, de planter mon petit drapeau. En un-clic sur un site web portant le nom d'un fleuve millénaire, je commandais la version de poche. Deux jours plus tard un paquet cartonné m'attendait sur la table du salon. Je le déballais sans attendre et annonçais à mon fils: " Tu vois fiston, c'est le plus beau roman de la littérature française!". Et j'enchainais en lui lisant fièrement la première phrase.

Mon fils n'en croyant pas ses oreilles m'avait arraché le livre des mains ne pouvant admettre que ce soi-disant chef d'oeuvre commençait pas une phrase aussi banale. Je lui expliquais qu'A La Recherche du Temps Perdu était composé de sept volumes exactement comme les aventures d'Harry Potter. Ce détail réactivait son intérêt. Un écrivain Français qui avait un point en commun avec J.K. Rowling ne pouvait pas être dénué de valeur. Meanwhile comme diraient les anglais, mon épouse cherchait frénétiquement à travers les rayons de sa bibliothèque mal rangée.

- I've read it but I do not remember which one. There 's Swann in the title. But I never really finished it, I did not go very far.

Elle aussi apparemment avait eu le mal des sommets et s'était stoppée net. Pendant ce temps, mon fils essayait de décrypter la troisième phrase qui lui paraissait moins simple que les deux précédentes. Mon épouse retrouva au second rang, entamé par la poussière, exactement le même volume que celui que je venais de recevoir, "Swann's Way".

- Perfect, I needed something to help me sleep. That will do.

Je lui expliquais que le premier volume parlait des mémoires d'un insomniaque, et qu'il était,  selon certains esprits médisants, idéal pour traiter les insomnies. Elle me répondit.

- All right, then.

Nous étions désormais tous les deux en possession du même ouvrage, prêts à le lire. Nos cerveaux grégaires allaient pouvoir s'épanouir. Mon fils subtilisa à sa mère l'ouvrage et lu la même première phrase qu'il avait lu cinq minutes plus tôt en Français.

- "For a long time I used to go to bed early".

- C'est nul déclara-t-il.

Je me lançais hésitant dans un long monologue essayant de vanter les mérites de ce travail difficile. J'employais des mots que je n'avais pas employés depuis longtemps, parlais de réminiscence, d'évanescence, de longues transformations invisibles qui donnent corps au concept de temps, et puis de mille autres choses que je ne comprenais pas.

- Tu ne l'as même pas lu, comment tu peux savoir?

- Yes, he's right. You haven't read it.

Et piqué dans mon amour propre, je déclarais: "très bien, alors lisons le!"

Ce soir là, nous nous couchâmes très tard...

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