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Billet de blog 21 août 2024

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Des choses qui se dansent

L’été, la ville de Stockholm est légère comme une ballerine. Surtout quand le soleil brille et se reflète dans les eaux bleues de la baltique et du lac Mälar. Ajoutez-y la brise de l’archipel qui se répand insidieusement dans les rues de Södermalm, et vous devenez enclin à sautiller ou à tourbillonner tel un jeune quadrille.

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A la recherche du buste de Greta Garbo dans cette « île du sud » qui la vit naître, je me muais d’entrechats en entrechats. Ce n’étaient pas les merveilleuses boulettes agrémentées d’une sauce aux airelles préparées par mes hôtes qui allaient m’empêcher de braver l’apesanteur.

Léger aussi était le livre que j’avais décidé de prendre pour accompagner mon séjour dans la capitale suédoise. L’ouvrage m’avait tapé dans l’œil (admirez la beauté de l’auteur en photo sur la couverture) sur le présentoir d’une librairie indépendante en face du lycée Carnot. On ne fait pas assez la réclame de ces établissements. D’ailleurs il faudra un jour que je fasse l’éloge du Merle Moqueur, une autre librairie indépendante, qui se trouve elle rue de Bagnolet et qui m’a soigné tant de fois. Quoi qu’il en soit, juste avant de partir pour Stockholm je glissais dans ma besace « Des choses qui se dansent » de Germain Louvet, danseur étoile à l’opéra de Paris. Ce n’est pas commun un danseur qui écrit sur son art. Un jeune danseur qui plus est. On attend plutôt d’eux qu’ils sautent, qu’ils portent, qu’ils virevoltent et que sais-je encore.

Illustration 1
Des choses qui se dansent, Germain Louvet, Edition Fayard

« Des choses qui se dansent » n’est pas l’ouvrage d’un vieil astre qui ne brille plus, un retraité qui retrace son parcours, ses succès, ses échecs et ses regrets. Non, c’est le récit d’un homme au firmament de sa carrière qui pense son métier sans complaisance, qui prend le risque de s’exprimer sur ce qu’il pratique avec des mots plutôt qu’avec son corps. Courageux. En racontant son chemin, en partageant des moments forts et des anecdotes, en s’ouvrant sur ses sentiments, sur ses émotions, Germain Louvet dévoile l’intérieur de l’artiste. Car un danseur étoile ce n’est pas juste une masse de plusieurs dizaines de kilos qui se meut de manière stylisée sur la scène d’un opéra, c’est un corps-esprit qui évolue, qui doute, qui s’indigne, qui aime, qui souffre, qui a peur, qui rêve, bref qui vit dans tous les sens du terme. Germain Louvet n’hésite pas à questionner sa discipline, faite de règles, de codes et de techniques qui n’ont pas changés depuis 300 ans. Si son phrasé n’était pas en rondeur et en respect pour ses sujets, on aurait envie de dire que la danse comme la sociologie est un sport de combat. Sans agressivité, intelligemment, il met les thèmes qui fâchent sur la table : le virilisme, la sélection à outrance, les conservatismes, les discriminations encore très présentes dans les directions de ballet. Mais rassurez-vous tout ceci reste gai comme une fin d’été sur un îlot scandinave. Pas léger qui s’envole sans que vous reteniez quoi que ce soit. Non léger qui vous transporte gentiment ailleurs et vous fait réfléchir. On sent que l’auteur a l’ambition de bousculer son sujet, de le remettre en question. Et en même temps, il y a de la gratitude pour cette discipline qui lui a tant apporté. Pas facile de faire bouger les frontières d’une institution, de faire trembler les murs.

N'ayant pas su dénicher la maison natale de Greta Garbo, nous partîmes le mollet souple et l’esprit badin en direction du cimetière de Skogskyrkogården (à seulement quatre station de métro de Södermalm) afin d’y trouver son mausolée ou à défaut sa tombe. Ce lieu inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco est deux fois plus grand en superficie que notre père Lachaise. La Suède est un pays où on peut s’étaler. La jeune femme qui nous servit un kanelbulle dans la cafétaria locale nous expliqua que la sépulture de la célèbre actrice n’avait aucun intérêt et qu’il fallait en revanche gravir le chemin des sept puits (way of the seven wells) menant à la chapelle de la résurrection. Il se trouve que ma compagne et moi avions déjà accompli cet exploit vingt-deux ans plus tôt (je vous passe les détails) et d’humeur primesautière l’envie nous vint de voir si nous étions toujours aussi agiles. J’empoignais ma partenaire tel Germain Louvet et Svetlana Zakharova à la scala de Milan en 2018, et une fois de plus nous atteignîmes dans d’incroyables cabrioles la chapelle de la résurrection. Non sans mal.

Germain Louvet termine son ouvrage par un chapitre intitulé Résistance. Ma compagne et moi aussi résistons, même si avec l’âge et les boulettes cela devient de plus en plus difficile. 

A lire donc avant d’aller danser.

Illustration 2
Sylvainpö et sa compagne gravissant le chemin des sept puits © GG.
Illustration 3
Stockholm: scène de la vie quotidienne en été. © Sylvainpö

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