Samedi 20 Décembre, 22h00, quelque part dans Paris…
Il ne faut pas trainer. Les enfants n'attendront pas indéfiniment l'arrivée du père Noël. J'enfile avec empressement le pantalon et la veste achetés dans un bazar de la rue des Pyrénées. Ce n'est pas tant pour ne pas les faire attendre que je m'agite tel un forcené sur le palier mais pour éviter de tomber nez à nez avec les occupants de cet immeuble cossu.
Diantre, un père noël à moitié nu et éméché dans notre bâtisse.
Je chausse de vieux après ski gris, une fausse barbe blanche, des gants noirs, des lunettes de soleil bon marché, un coussin de soie en guise de bedaine, un bonnet rouge en tissu synthétique et un cache col bleue. Aucune partie de mon corps ne doit dépasser. Que diraient les parents de la petite Agathe, quatre ans, si celle-ci découvrait la vraie identité de celui qui hante ses rêves diurnes et nocturnes depuis quelques semaines? Je perdrais à coup sur des amis sur Facebook, et les connaissant ils seraient capable de me coller un procès. Il est vrai que les séquelles psychologiques peuvent être importantes lorsque l'on découvre sans ménagement l'inexistence du père Noël, comme me l'a récemment révélé une amie psychologue.
Çà y est. Je suis paré, prêt à descendre dans les profondeurs. Surtout bien respecter les paliers en remontant m'a répété inlassablement mon moniteur de plongée. Un accident est si vite arrivé. Je reprends ma respiration, et tire fébrilement sur la petite boule couleur or de la sonnette, un appareillage au charme désuet qu'on ne trouve plus que dans les Haussmanniens du 16ième arrondissement. Je suis loin de la rue Vitruve.
Dring ! Dring !
L'hôte des lieux m'ouvre la porte dans un sourire de winner californien. Entre ses jambes s'est aventurée une gamine qui a voulu apercevoir avant tout ses copines l'arrivée du messie. Je baragouine quelque chose dans ma barbe. Le maître de maison me répond mais mes sens sont inopérants. Je n'entends plus rien mise à part le son feutré des chansons de Noël qui transit à travers le brouhaha des enfants et des parents surexcités. Je suis comme un survivant qui ère les tympans crevés parmi les corps déchiquetés dans un marché de Bagdad où une bombe vient d'exploser. Hagard je crois reconnaître Petit Papa Noël de Tino Rossi. C'est étrange, à chaque fois que je l'écoute chez moi au calme, je me mets à chialer. Aujourd'hui c'est différent. Aurais-je assez d'oxygène pour refaire surface?
Une brève absurde passe en boucle sur Twitter depuis quelques jours: chaque année aux Etats-Unis 300 personnes meurent d'une crise cardiaque en tentant de jouer les père Noël. On n'imagine que trop peu la charge émotionnelle que prodigue cet exercice. Mais chassons ces idées malfaisantes. Je préfère repenser à cet autre Buzz qui répand l'idée parmi les masses que le Père Noël était initialement de vert vêtu. Ce serait Coca-Cola qui l'aurait affublé de rouge en 1931 dans l'un de ses encarts publicitaires. Je dédaigne ceux qui imaginent le père Noël en vert. Mon Père Noël à moi est rouge écarlate, rouge d'ivresse, rouge de honte, rouge de chaud et froid, rouge des quartiers populaires.
Le père Noël est un personnage légendaire, archétypal et mythique lié à la fête de Noël(Wikipedia).
On me guide parmi l'assemblée, et on me dispose sur un gros fauteuil recouvert de velours et placé immédiatement à coté d'un énorme sapin sobrement décoré comme c'est semble-t-il la règle dans les familles bien élevées. Sous le conifère, à mes pieds, est disposée une crèche en Playmobil. Je suis livide.
Asseyez-vous père Noël. Les enfants ! Regardez, il est là, il est arrivé.
Les enfants savent parfaitement qu'il est arrivé ce foutu Santa Claus. Cela fait dix minutes qu'ils braillent à en rompre sur la carpette du salon.
Père Noël! Père Noël! Père Noël!
Les adultes et leurs progénitures retiennent leur souffle. Je fais de même. Je saisis qu'il y a là une fenêtre de quatre ou cinq secondes ou je les ai à mes ordres, à mes pieds littéralement. C'est plus qu'il n'en faut pour repenser aux évènements qui m'ont amenés dans cette conjoncture pour le moins incongrue. Tout commença il y a une semaine environ lorsque mon pote, le propriétaire de ce splendide appartement parisien fit circuler cette succincte invitation:
Nous faisons un petit GLØCK (vin chaud Danois) de NOËL le samedi 20 Décembre chez nous. Etes vous disponibles?
Ne connaissant pas ce breuvage énigmatique, à l'orthographe quelque peu volatile, j'entreprenais immédiatement des recherches sur Internet.
Recette scandinave du glogg: Le Glögg est un vin chaud traditionnel qui est servi en Scandinavie à l’occasion de Noël et plus largement dès l’arrivée des premiers froids. Le Glögg peut être conjugué avec de l’alcool fort tel que le rhum, la vodka ou le cognac et est accompagné et servi avec des amandes et des raisins secs. (IDEOZ Voyages, blog de voyage collaboratif).
A mon arrivée il y a deux heures, je déposai mon accoutrement à l'abri des regards indiscrets et me dirigeai sans coup férir vers la foule des convives, affairée autour d'un buffet où trônait dans une magnifique vasque de cristal cette fameuse boisson de Noël. Anticipant la délicate mission qui m'attendait, et qui m'avait été confiée sans d'ailleurs qu'on me demanda mon avis, je me remplissais de Glögg sans compter. Au septième verre, Claudine, la servante des lieux, m'indiqua subrepticement que l'alcool qui avait été utilisé pour le Glögg de la soirée était de l'Aquavit, une eau de vie de pomme de terre qui dépasse les quarante degrés.
Il était trop tard, le mal était fait…
Me voici donc maintenant sous les regards médusés des enfants. Il ne tient qu'à moi pour que la fête continue. Tout le monde attend les premières paroles du père Noël. Personne ne se doute qu'il est sous l'emprise d'une terrible crise d'angoisse qui lui donne l'impression d'évoluer sous une atmosphère à 15G de pression. J'hésite entre vomir ou m'évanouir. La première solution mettrait un terme définitif à mes activités sociales dans les beaux quartiers. La seconde manquerait indubitablement de panache. Ressaisis-toi père Noël, il y va de l'avenir de ces enfants, des futures forces vives de la nation. Je prends mon courage à deux mains et essaie tant bien que mal de faire bonne figure. Je suis comme le grimpeur à l'assaut de l'Everest qui au delà de 8000 mètres cherche vainement quelques onces d'oxygène supplémentaire. C'est mon premier 8000, il ne faut pas que je les déçoive. Lorsqu'on évolue dans la Death Zone comme l'appelle les Sherpas, il faut progresser sans réfléchir. Je plante mon piolet, enfonce mes crampons dans la glace et fait un pas vers l'avant. C'est parti!
"Boooonsoooooir les eeenfaaaaants, Vous Avez éétééééé Sages?"