SylvainPö (avatar)

SylvainPö

Abonné·e de Mediapart

60 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 septembre 2015

SylvainPö (avatar)

SylvainPö

Abonné·e de Mediapart

Longtemps, je n'ai pas lu Proust

SylvainPö (avatar)

SylvainPö

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A la veille de notre quinzième anniversaire de mariage, mon épouse et moi-même venions chacun d'entamer, à vingt trois heures trente précise,  la lecture de A La Recherche du Temps Perdu.

Ce fait à la fois incongru et terriblement romantique, n'était pas le résultat d'un processus conscient et cogéré, autrement dit un projet à deux. Un peu comme si nous avions souhaité, quelques heures avant d'aborder le premier jour de la seizième année de notre vie de couple, resynchroniser nos consciences, raccorder nos esprits en utilisant le plus compliqué des diapasons, en l'occurrence le plus célèbre des romans français. Non, il était le fruit du hasard. Si nous étions quelques minutes avant minuit confortablement alités, avec d'un coté mon épouse tenant la version anglaise "Swann's Way" et de l'autre moi-même tenant "Du côté de chez Swann", c'était semble-t-il le résultat d'une série d'évènements fortuits.

C'est ce hasard qui n'en n'avait pas l'air mais qui selon nous en était au premier abord sans que nous y crussions vraiment, qui m'interrogea. Qu'était-ce que ce vrai faux hasard? Quel dessein maléfique avait placé dans nos mains chancelantes ces pavés de 574 pages pour ce qui est de la version française et de 461 pages pour la version anglaise? Quels inconscients tortueux nous avaient mis sur ce chemin?

Je décidais de faire mon saumon comme je fais souvent, et je remontais le ruisseau des évènements.

Tout avait commencé quelques jours plus tôt avec une interview de Christine Angot. L'écrivaine répondant à la question "Pour vous, quel est la plus belle phrase de la littérature Française?" avait déclamé "Longtemps, je me suis couché de bonne heure" s'empressant de décrire comment Marcel Proust à partir de cette entrée en matière radicalement simple avait déroulé le fil de sa pensée et la manière précise dont il se couchait et s'endormait, ou plutôt ne s'endormait pas.

Je n'avais jamais grimpé en haut de cet Everest. On ne part pas sans préparation à la conquête des plus hautes cimes. On s'entraîne, on s'entoure, on s'informe. J'avais quand même fais un essai: Un Amour de Swann. Ne comprenant pas bien d'ailleurs ou figurait cet épisode dans l'ensemble de l'œuvre. Mais j'avais aimé. Je pensais avoir touché du doigt ce qui faisait le talent de l'auteur, à savoir la description minutieuse des sentiments qui restaient confus dans nos esprits embrumés. J'avais un peu continué en feuilletant un magazine ou des philosophes patentés gaussaient sur cette Annapurna de la littérature. Et puis je m'étais arrêté, en manque d'oxygène, incapable d'avancer plus loin, comme cela arrive à certains alpinistes au-dessus de 8,000m.

Et Angot m'avait débloqué. De nouveaux j'avais envie de redémarrer, d'atteindre le sommet, de planter mon petit drapeau. En 1-clic sur un site web portant le doux nom d'un fleuve millénaire, je commandais la version de poche. Deux jours plus tard un paquet cartonné m'attendait sur la table du salon. Je le déballais sans attendre et annonçais à mon fils: " Tu vois fiston, c'est le plus beau roman de la littérature française!". Et j'enchainais en lui lisant fièrement la première phrase.

Mon fils n'en croyant pas ses oreilles m'avait presque arraché le livre des mains ne pouvant admettre que ce soi-disant chef d'oeuvre commençait pas une phrase aussi  banale. Je lui expliquais qu'A La Recherche du Temps Perdu était composé de 7 volumes exactement comme les aventures d'Harry Potter. Ce détail réactivait son intérêt. Un écrivain Français qui avait un point en commun avec J.K. Rowling ne pouvait pas être complètement dénué de valeur.

C'était à instant précis que mon épouse avait choisie de faire elle aussi son saumon. Elle  cherchait frénétiquement à travers les rayons de sa bibliothèque mal rangée.

-       I've read it but I do not remember which one. There 's Swann in the title. But I never really finished it, I did not go very far.

Elle aussi apparemment avait eu le mal des sommets et s'était stoppée net. Pendant ce temps, mon fils essayait de décrypter la troisième phrase qui lui paraissait beaucoup moins simple que les deux précédentes. Mon épouse retrouvait au second rang, entamé par la poussière, exactement le même volume que celui que je venais de recevoir, "Swann's Way".

-       Perfect, I needed something to help me sleep. That will do.

Je lui répondais aussitôt que le premier volume parlait des mémoires d'un insomniaque, et qu'il était,  selon certains esprits médisants, parfait pour traiter les insomnies. Elle me répondit.

- All right, then.

Nous étions désormais tous les deux en possession du même ouvrage, prêts à le lire. Nos cerveaux grégaires allaient pouvoir s'épanouir.

Mon fils qui venait d'abandonner le roman français à la fin de la première page, subtilisa à sa mère l'ouvrage et lu avec son anglais hésitant la même première phrase qu'il avait lu cinq minutes plus tôt en Français.

-       "For a long time I used to go to bed early".

-       C'est nullllllle! éructa-t-il

Je me lançais dans un long monologue essayant de vanter les mérites de ce travail difficile. J'employais des mots que je n'avais pas employés depuis très longtemps, parlais de réminiscence, d'évanescence, d'effervescence des sens,  de longues transformations invisibles qui donnent corps au concept de temps, et puis de choses que je ne comprenais pas.

-       Tu ne l'as même pas lu, comment tu peux savoir?

-       Yes, he's right. You haven't read it.

Et piqué dans mon autorité de père de famille, je déclarais: "très bien, alors lisons le!"

Ce soir là nous nous couchâmes très tard...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.