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Billet de blog 18 décembre 2021

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Madame Legros et Olympe de Gouges : âmes sensibles mais fortes têtes

Michelet n'est pas un historien féministe... du moins pas de son plein gré. Explorons quelques-unes des contradictions qui sous-tendent son récit de la ténacité héroïque avec laquelle une mercière parvint à mettre un terme à l'arbitraire des enfermements dans la Bastille ou encore celles qui émaillent son géniale portrait d'Olympe de Gouges.

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Les femmes, estime Michelet, sont « le sexe faible ». Elles ne peuvent remplir les graves offices, apanage des hommes. Elles sont essentiellement des mères, des êtres dotés d’une sensibilité compassionnelle. Il n'empêche, convient-il au début des Femmes de la Révolution (1854), elles furent aux avant-postes de ce bouleversement.

Ainsi, écrit-il, « la première apparition des femmes dans la carrière de l’héroïsme (hors de la sphère de la famille) eut lieu, on devait s’y attendre, par un élan de pitié. » Par hasard, madame Legros, mercière de son état, entre en possession du mémoire que Latude, un prisonnier politique fort maltraité à la Bastille, avait rédigé à l’adresse d’un philanthrope dont il espérait le secours. Or, quand les Malherbes et autres esprits éclairés se contentent de se lamenter sur le sort de Latude, madame Legros, elle, "ne pleure pas, (...) mais elle agit à l’instant. Son héroïsme  est "complet : elle eut l’audace d’entreprendre, la force de persévérer, l’obstination du sacrifice de chaque jour et de chaque heure, le courage de mépriser les menaces, la sagacité et toutes les saintes ruses, pour écarter, déjouer les calomnies des tyrans. » Michelet fait valoir que c’est le zèle indéfectible de cette « pauvre petite mercière » qui eut, en 1784, raison de la Bastille, avant même sa prise. Car, explique-t-il, « c’est elle qui saisit l’imagination populaire de haine et d’horreur pour la prison du bon plaisir qui avait enfermé tant de martyrs de la foi ou de la pensée." Bref, "La faible main d’une pauvre femme isolée brisa, en réalité, la hautaine forteresse, en arracha les fortes pierres, les massives grilles de fer, en rasa les tours. » (Les Femmes de la Révolution, chapitre III).

Donc, selon Michelet, si a priori les femmes sont faibles, a posteriori il en est certaines qui n’en pas moins plus fortes, conséquentes et valeureuses que bien des hommes tenus pour grands.

Le portrait qu'il donne au chapitre IV dOlympe de Gouges comporte une structure tout aussi contradictoire : « fort illettrée », inconséquente, « faible tête », Olympe de Gouges est cependant « brillante », pertinente, capable de bons mots alors même que sa vie est menacée et féconde en "idées généreuses".

L’on notera que dans l’un et l’autre cas, pour Michelet, c’est la sensibilité qui mène les femmes.

Extrait du chapitre des Femmes et la Révolution que Michelet consacre aux clubs de femmes, à Olympe de Gouges et Claire Lacombe

"Nous savons peu, malheureusement, l'histoire des sociétés de femmes. C'est dans les mentions accidentelles de journaux, dans les biographies, etc., qu'on en recueille quelques légères traces.

Plusieurs de ces sociétés furent fondées vers 90 et 91 par la brillante improvisatrice du Midi, Olympe de Gouges, qui, comme Lope de Vega, dictait une tragédie par jour. Elle était fort illettrée ; on a dit même qu'elle ne savait ni lire ni écrire. Elle était née à Montauban (1755) d'une revendeuse à la toilette et d'un père marchand, selon les uns, selon d'autres, homme de lettres. Quelques-uns la croyaient bâtarde de Louis XV. Cette femme infortunée, pleine d'idées généreuses, fut le martyr, le jouet de sa mobile sensibilité. Elle a fondé le droit des femmes par un mot juste et sublime : Elles ont bien le droit de monter à la tribune, puisqu'elles ont celui de monter à l'échafaud.

Révolutionnaire en juillet 89, elle fut royaliste au 6 octobre, quand elle vit le roi captif à Paris. Républicaine en juin 91, sous l'impression de la fuite et de la trahison de Louis XVI, elle lui redevint favorable quand on lui fit son procès. On raillait son inconséquence, et, dans sa véhémence méridionale, elle proposait aux railleurs des duels au pistolet.

Le parti de Lafayette contribua surtout à la perdre en la mettant à la tête d'une fête contre-révolutionnaire. On la fit agir, écrire dans plus d'une affaire que sa faible tête ne comprenait pas. Mercier et ses autres amis lui conseillaient en vain de s'arrêter, toujours elle allait, comptant sur la pureté de ses intentions ; elle les expliqua au public dans un très-noble pamphlet, la Fierté de l'innocence. La pitié lui fut mortelle. Quand elle vit le roi à la barre de la Convention, républicaine sincère, elle n'offrit pas moins de le défendre. L'offre ne fut pas acceptée. Mais, dès lors, elle fut perdue.

Les femmes, dans leurs dévouements publics où elles bravent les partis, risquent bien plus que les hommes. C'était un odieux machiavélisme de ce temps de mettre la main sur celles dont l'héroïsme pouvait exciter l'enthousiasme, de les rendre ridicules par ces outrages que la brutalité inflige aisément à un sexe faible. Un jour, saisie dans un groupe, Olympe est prise par la tête ; un brutal tient cette tête serrée sous le bras, lui arrache le bonnet ; ses cheveux se déroulent... pauvres cheveux gris, quoiqu'elle n'eût que trente-huit ans ; le talent et la passion l'avaient consumée. Qui veut la tête d'Olympe pour quinze sous ? criait le barbare. Elle, doucement, sans se troubler : Mon ami, dit-elle, mon ami, j'y mets la pièce de trente. On rit, et elle échappa.

Ce ne fut pas pour longtemps. Traduite au tribunal révolutionnaire, elle eut l'affreuse amertume de voir son fils la renier avec mépris. Là, la force lui manqua. Par une triste réaction de la nature dont les plus intrépides ne sont pas toujours exempts, amollie et trempée de larmes, elle se remit à être femme, faible, tremblante, à avoir peur de la mort. On lui dit que des femmes enceintes avaient obtenu un ajournement du supplice. Elle voulut, dit-on, l'être aussi. Un ami lui aurait rendu, en pleurant, le triste office, dont on prévoyait l'inutilité. Les matrones et les chirurgiens consultés par le tribunal furent assez cruels pour dire que, s'il y avait grossesse, elle était trop récente pour qu'on pût la constater.

Elle reprit tout son courage devant l'échafaud, et mourut en recommandant à la patrie sa vengeance et sa mémoire."

Le Femmes et la révolution est téléchargeable à partir de la bibliothèque de TV5 Monde

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