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Billet de blog 22 oct. 2022

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Olympe de Gouges plus que jamais au panthéon !

Entretien avec l'historienne Catherine Marand-Fouquet. Elle bataille depuis le Bicentenaire de la Révolution française pour que l'autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne soit honorée et nous donne RDV le 5 novembre à 15 h devant le Panthéon. Retour sur la notoriété croissante de celle qui fut décapitée pour avoir refusé de renoncer à la liberté d'expression.

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Illustration 1
Portrait d'Olympe de Gouges (1748-1793) par Alexandre Kucharski, à la fin du XVIIIe siècle. © Olivier Blanc.

Ces dix dernières années, tandis que l’histoire des femmes gagnait en crédit et en audience, Olympe de Gouges est devenue une figure de l’histoire politique française connue et estimée. Pourtant, elle n’est toujours pas entrée au Panthéon ! Bien que la demande en soit faite depuis 1989, à l’initiative de Catherine Marand-Fouquet, autrice de La femme au temps de la Révolution, publié à l’occasion du Bicentenaire de la Révolution [[1]].

Pour le 229e anniversaire de l’exécution de cette femme qui a pensé et agi en citoyenne active et responsable dès lors qu’elle a commencé à écrire [[2]], Catherine Marand-Fouquet invite à un rassemblement, le 5 novembre à 15 h, devant le Panthéon. Parce qu’il est plus que jamais nécessaire d’élever au rang de modèle national cette écrivaine engagée contre l’injustice, l’esclavage et le racisme, la misère, la violence et la Terreur.

À cette occasion, Catherine Marand-Fouquet et moi-même avons actualisé et complété l’entretien que nous avions réalisé en 2015 sur les femmes pendant la Révolution et sur les résistances françaises à la parité politique, avec la collaboration de Graciela Barrault, créatrice d’un musée virtuel dédié à Olympe de Gouges [[3]]. Outre ses travaux sur la Révolution française et l’histoire des Marseillaises, Catherine Marand-Fouquet a publié, en collaboration avec Yvonne Knibiehler, L’histoire des Mères (1980), La Beauté, pour quoi faire ? (1982) puis La Femme et les médecins (1983). Elle est aussi l’une des fondatrices, en 1993-1995, de l’indispensable revue CLIO, Histoire, femmes et sociétés [[4]].

        OLYMPE DE GOUGES EN MARCHE VERS LE PANTHÉON

Graciela Barrault. En 1989, vous avez publié La femme au temps de la Révolution. Pour une historienne féministe, qu’est-ce que représente le Panthéon ? Pourquoi ne pas demander de le raser, comme l’avait proposé quelqu'une lors d'une enquête menée sur l’entrée des femmes au Panthéon ?

Catherine Marand-Fouquet. Quiconque réfléchit aux « plafonds de verre » qui limitent l’avancée des femmes dans notre société, et particulièrement en ce qui concerne l’activité politique, est conduit à analyser les symboles républicains dans lesquels s’exprime l’identité française. Le Panthéon, depuis la Révolution, représente un lieu de mémoire dont la fonction est d’exalter les citoyens modèles. On peut certes le considérer comme un de ces hochets honorifiques dont nos concitoyens sont friands. Mais s’agit-il d’avoir un point de vue personnel ou d’agir sur la société telle qu’elle est ? On ne peut nier la valeur pédagogique des symboles. Je suis féministe, mais pas anarchiste, même s’il m’est arrivé de trouver ridicules les personnes qui placent toute leur légitimité dans le grade auquel elles sont parvenues, et de combattre sans hésiter les abus de pouvoir.

Les féministes ont perdu beaucoup de temps en refusant naguère de s’investir dans la politique. Elles doivent occuper le terrain.

Il est irréaliste, et nuisible, de vouloir du passé faire table rase. Le temps présent nous fournit mille exemples des dangers du nihilisme, quelle que soit l’idéologie qui lui sert de masque. 

"Commémorer le bicentenaire de l’exécution de l’auteure de la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne permettait de rappeler à quel point la Révolution avait tenu en lisière les femmes dès qu’il s’agissait d’exercer une représentation politique."

Sylvia Duverger. Vous êtes la première à avoir demandé au Président de la République qu'Olympe de Gouges, accompagnée de Marie Curie et Berthie Albrecht, entre au Panthéon. Lors du bicentenaire de la Révolution française, en 1989, l’omission de cette figure de proue du « féminisme révolutionnaire », le discrédit jeté sur Théroigne de Méricourt et l’attribution aux « tricoteuses » de penchants sanguinaires vous ont indignée. Pouvez-vous nous rappeler les actions entreprises depuis 1989 en faveur de l’entrée de femmes au Panthéon, et d’Olympe de Gouges en particulier ? 

Catherine Marand-Fouquet. Le combat pour la Panthéonisation d’Olympe de Gouges a commencé, en ce qui me concerne, en 1989. Apprenant la panthéonisation prochaine de trois hommes en point d’orgue aux célébrations du Bicentenaire, je résolus d’écrire au Président de la République afin de demander celle de trois femmes. J’avais pensé d’abord à une seule, Olympe de Gouges, mais un bref échange verbal avec Gisèle Halimi m’avait convaincue qu’il en fallait trois. J’écrivis donc en ce sens début octobre, et reçus très rapidement une réponse de la Présidence : j’avais raison, des femmes telles que Marie Curie et Berthie Albrecht auraient bientôt les honneurs du Panthéon [[5]]. Olympe passait à la trappe. Une pétition avait été lancée simultanément, circulant dans les milieux féministes mais aussi à l’APHG (association de Professeurs d’Histoire et de Géographie) où je fus active longtemps. Le 12 décembre, à la tombée de la nuit, nous processionnâmes dans les rues de Marseille allant de la maison natale de Berthie Albrecht au lycée Montgrand, où elle étudia et où Simone de Beauvoir enseigna, puis au boulevard Dugommier, devant l’hôtel où mourut Louise Michel. Nous portions des bougies et trois bouquets pour les déposer à chaque lieu symbolique. Et nous chantâmes : le Chant des Partisans pour Berthie, la Marseillaise devant le lycée pour célébrer aussi la laïcité au début de l’affaire dite des foulards. Enfin ce fut Le Temps des cerises et l’hôtelier nous demanda le bouquet pour le placer « dans la chambre de la dame ».

En juillet 1992, Françoise Gaspard a donné un nouvel élan à la campagne pour la Panthéonisation de grandes femmes en écrivant à François Mitterrand pour réclamer celle de Marie Curie, célébrité la plus consensuelle parmi celles avancées trois ans plus tôt [[6]]. Simone Veil, personnalité tout aussi incontestée, et Hélène Carrère d’Encausse, académicienne peu soupçonnable de féminisme radical [[7]], se sont associées à cette démarche. L’année 1993 a marqué un point culminant dans cette revendication de la mise à l’honneur d’Olympe de Gouges : elle a d’une certaine façon servi le mouvement paritariste. Celui-ci a réussi à fédérer pendant quelques années un mouvement féministe diffus dans presque toutes les familles politiques. Commémorer le bicentenaire de l’exécution de l’auteure de la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne permettait de rappeler à quel point la Révolution avait tenu en lisière les femmes dès qu’il s’agissait d’exercer une représentation politique. L’édition a suivi le mouvement. Les médias, en revanche, sont restés très silencieux.

Illustration 2
De gauche à droite, devant le Panthéon, le 6 novembre 1993, Mireille Albrecht, Françoise Durand (qui a fondé l'Assemblée des Femmes en 1992), Catherine Marand-Fouquet, Jeanne Mazel (conseillère municipale à Marseille, responsable de la délégation femmes et présidente du CODIF, qui a pris en charge en partie l'organisation de la manifestation), l'historien Olivier Blanc, spécialiste de la Révolution française et d'Olympe de Gouges © Catherine Marand-Fouquet © Catherine Marand-Fouquet

L’automne 1993 a donc été marqué par de nombreuses manifestations : une pièce de théâtre le 3 novembre à Marseille, suivie d’un débat public, la manifestation devant le Panthéon le 6, très animée par les éventails du mouvement pour la Parité, ses banderoles, sa couronne de fleurs…, une exposition à la Bibliothèque Marguerite Durand, le colloque organisé par Éliane Viennot, La Démocratie à la française ou les femmes indésirables, lors duquel j’ai prononcé « Olympe de Gouges au Panthéon, ou la tribu France et ses femmes » [[8]]. Toutefois, le 8 mars suivant, comme il était prévisible, c’est Marie Curie toute seule qui est annoncée au Panthéon. Et au printemps 1995, elle y entre accompagnée par son mari, Pierre. La parité conjugale ne fait pas problème pour la présidence.

"Entre 1989 et 1994, le Panthéon est devenu un lieu symbolique du combat des femmes pour la reconnaissance de leur valeur."

L’absence de parité au Panthéon, elle, dérange les citoyennes. Et Françoise Gaspard reprend la plume, avec Claude Servan Schreiber, pour publier dans Libération, le 22 mars 1994, « La solitude de Marie Curie » [[9]]. Elles suggèrent au président de s’informer afin de trouver un nombre suffisant de femmes qui puissent l’y rejoindre.

Pour ma part, je réagis en demandant à nouveau, en même temps que celle d’Olympe, la panthéonisation de résistantes. J’avais suggéré, lorsque j’avais su que les enfants de Berthie Albrecht avaient refusé la panthéonisation de leur mère parce qu’elle reposait au Mont Valérien, tirée au sort pour représenter la Résistance au féminin, que l’on fît de même pour le Panthéon : demander à chaque association d’anciens résistants de désigner le nom d’une personne dont la famille aurait donné son accord, et de tirer au sort parmi elle. Pas de réponse à cette proposition.

En cinq ans, entre 1989 et 1994, le Panthéon est ainsi devenu un lieu symbolique du combat des femmes pour la reconnaissance de leur valeur. J’ai par la suite sollicité chaque nouveau président de la République, peu après son avènement. Je n’ai obtenu que des réponses dilatoires. Jacques Chirac a préféré entendre son conseiller Alain Decaux, qui voulait installer au Panthéon Alexandre Dumas. Caprice de vieux monsieur.

Le monument a ensuite été utilisé pour l’accrochage de portraits de grandes femmes, dont Olympe de Gouges [[10]]. De nombreuses pièces de théâtre ont été inspirées par sa vie si romanesque et tragique. Des romans aussi. Elle est devenue porte-drapeau. Son nom a été choisi pour des établissements d’enseignement : Montauban, sa ville natale, après l’avoir ignorée, l’a portée en avant en donnant son nom à un collège, et par la suite à son théâtre, puis des villes marquées à gauche, puis des villes plus droitières… Petit à petit, la rumeur de sa possible panthéonisation a dégelé les Quercynois qui se sont approprié sa gloire. Le service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Tours s’est placé sous son invocation en 2004 [[11]]. Puis des centres sociaux. La médiathèque de Strasbourg, en plein centre-ville, l’honore également, ainsi que celles de Toulouse, Joigny, Chelles, ou encore « le centre de ressources » (la bibliothèque) de l’université Toulouse Jean Jaurès. L’Université Paris Diderot a un bâtiment Olympe de Gouges. À Aubusson, l’artiste Jacques Fadat a entrepris en 2012 la création d’une série de 17 tapisseries à la gloire des grandes dames, autour d’Olympe, dont la Déclaration des droits est ainsi illustrée [[12]]. Chacune est dotée d’une marraine qui s’exprime dans un film. Élisabeth Badinter est celle d’Olympe. Creusoise, Françoise Chandernagor présente George Sand mais n’oublie pas Olympe de Gouges.

En 2007, Ségolène Royal a annoncé que si elle était élue Présidente, elle ferait entrer Olympe au Panthéon. La même année, le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) a proposé un duo : Olympe de Gouges, militante de l’abolition de l’esclavage, et la mulâtresse Solitude, héroïne de la révolte des Noirs de Guadeloupe, en 1802 [[13]]. J’ai signé cet appel, Demain, Olympe et Solitude au Panthéon !, en compagnie d’universitaires et de politiques, dont Pap Ndiaye, l’actuel ministre de l’Éducation nationale, Anne Hidalgo ou encore Clémentine Autain. Le 1er avril 2014, une ancienne sénatrice EELV « annonce » qu’à son initiative les statues de ces deux martyres de la liberté seront bientôt placées dans l’enceinte du Sénat, accompagnées de celle de Christine de Pisan [[14]]. L'idée était bonne, et devrait ne pas rester à l'état de poisson d'avril.

Le combat pour la panthéonisation des femmes est devenu très populaire en 2013 avec la création d’un comité à la tête duquel s’est placé Osez le féminisme, qui semblait découvrir la chose… et réclamait un « rattrapage » avec des désignations uniquement féminines.

Olympe de Gouges à l'Assemblée nationale

Sylvia Duverger. Le 26 août 2013, en effet, un collectif d’associations manifestait devant le Panthéon pour qu’y soient honorées Olympe de Gouges, Simone de Beauvoir, Germaine Tillion, Louise Michel et Solitude. La Barbe a tancé le Président de la République – il s’était engagé, le 7 mars 2012, à « mieux reconnaître la place des femmes dans l'histoire de la République » – du haut de son ironie qui pique : « Reprenez-vous ! Cette belle unanimité virile de grands esprits brisée par l'intrusion d'intrigantes ? Ces grands hommes sont pourtant unis jusqu’à la tombe dans un bel entre-soi masculin… » [[15]]. En mars 2013, Anne Hidalgo, Christiane Taubira, parmi d’autres, s’étaient de nouveau déclarées en faveur de la panthéonisation d’Olympe de Gouges.

Catherine Marand-Fouquet. Mais François Hollande a fait retomber le soufflé : après avoir confié une mission à M. Philippe Belaval, président du Centre des monuments nationaux, et alors que le référendum organisé par celui-ci plaçait très en tête Olympe, le Président a cédé aux sirènes d’une historienne de cour, enragée à faire entrer son tonton au Panthéon. Cette historienne depuis longtemps s’est déclarée ennemie de la féminité d’Olympe. Quasiment sous sa dictée, François Hollande a décidé l’entrée dans le monument de quatre résistants, dont deux femmes : Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, Pierre Brossolette et Jean Zay [[16]].

Illustration 3
Mona Ozouf reçue à l'Élysée le 5 décembre 2013, au moment des délibérations sur les candidat·es à la panthéonisation. Cette pièce à conviction, qui figurait en 2014 encore sur le site de l'Élysée, y est désormais introuvable. Joyau de la collection personnelle de Catherine Marand-Fouquet.

Sylvia Duverger. En 2015, le buste d’Olympe de Gouges devait prendre place à l’Assemblée nationale à l’occasion de la célébration du 70e anniversaire de l’entrée dans l’hémicycle des trente-trois premières députées. Mais il n’était pas achevé [[17]]. Il ne sera mis qu’en octobre 2016 en face de celui de Jaurès, dans la salle des Quatre-Colonnes du Palais-Bourbon, où se croisent élu·es et journalistes, « l’espace le plus public de la maison de notre République », se réjouit alors Geneviève Fraisse [[18]].

Entretemps, le 7 mai 2015, l’Assemblée nationale a fêté l’anniversaire d’Olympe de Gouges en présentant une lettre du 4 juillet 1789 signée de sa main, dans laquelle elle demandait au duc d’Orléans « le privilège » de publier un Journal du peuple [[19]], autorisation qu’elle n’obtint pas. Claude Bartolone, alors président de l’Assemblée, faisait partie des élu·es pour lesquel·les l’entrée d’Olympe de Gouges au Panthéon était « une évidence [[20]] ».

Catherine Marand-Fouquet. Il s’est laissé convaincre par la très efficace association « Olympe de Gouges aujourd’hui », fondée en 2014 et logée chez Françoise Durand, fidèle participante des manifestations au Panthéon. La délégation aux Droits des femmes de l’Assemblée n’est pas non plus étrangère à cette initiative, qui n’est pas tombée par miracle du perchoir…

Sylvia Duverger. En tout cas, ce n’est sûrement pas Claude Bartolone qui a eu l’idée de mettre en vente à la boutique de l’Assemblée nationale un « tablier de cuisine Olympe de Gouges », fort heureusement vite retiré. Car il est bien sûr et bien certain que l’autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ne pensait pas que les femmes n’avaient de déclaration à faire qu’aux fourneaux ou que leur droit de monter à la tribune ne devait pas les détourner de leurs devoirs culinaires [[21]].

L’on ne peut que se réjouir de l’entrée d’Olympe de Gouges à l’Assemblée, qui entendait monter à la tribune et prendre part à la délibération politique [[22]]. « Je crois, observa Sandrine Mazetier le 7 mai 2015, que chaque députée “ée”, qui monte à la tribune pense à Olympe de Gouges [[23]]. » D’autant plus lorsqu’elle est confrontée à des tentatives de délégitimation. Telles celles d’un Julien Aubert. En 2014, il prétendit qu’une séance à l’Assemblée ne se préside qu’au masculin et s’adressa non pas à « madame la présidente », comme Sandrine Mazetier le lui demandait expressément, mais à « madame le président ». En octobre 2021 et janvier 2022, il persistait à donner du « madame le ministre » à Barbara Pompili contre son gré [[24]].

Manifestement, le buste de l’autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ne suffit pas à rappeler que l’engagement politique des femmes remonte à la Révolution française, comme celui de leurs confrères, et qu’elles ne sont pas moins légitimes qu’eux à représenter le peuple. Cela atteste de la nécessité de mettre publiquement en lumière la place que les femmes tiennent dans l’histoire de la République. D’autant que l’histoire des femmes demeure très insuffisamment prise en compte dans les manuels scolaires, observait l’historienne Christine Bard lors de la table ronde consacrée le 21 octobre dernier à l’histoire des femmes dans le cadre de l’exposition Parisiennes citoyennes. Engagements pour l'émancipation des femmes (1789-2000), exposition dont elle est la commissaire scientifique [[25]].

Une notoriété bien établie

Catherine Marand-Fouquet. En 2015, ce n’est pas seulement en France qu’Olympe est à l’honneur. À New-York, en mars de cette année-là, l’ONU a mis en place, bien en vue dans son hall d'entrée, l'exposition des dix femmes fortes qui ont œuvré pour l'abolition de l'esclavage [[26]]. Le portrait d'Olympe figurait en grand dans cette exposition, qui s'était tenue pour la première fois en 2013 à Nantes, recueillant un grand succès [[27]].

On peut dire aujourd’hui qu’en 33 ans, la notoriété d’Olympe de Gouges s’est bien établie. Elle a eu sa médaille, son timbre, son buste à l’Assemblée nationale. De multiples rues, places et parcs, portent son nom [[28]]. La volumineuse BD publiée par Catel et Bocquet en 2012 a véritablement joué le rôle d’un accélérateur de sa popularité. Les pièces de théâtre qui exaltent son histoire ont prospéré. L'année dernière, devant le Panthéon, une adolescente à qui nous donnions le tract s’est étonnée : « Comment ? Elle n'y est pas encore ? ». Après son apparition dans certains manuels scolaires, il y a désormais la consécration de sa présence au programme du bac, laquelle a provoqué de nombreuses publications [[29]]. Tout cela n'est pas mince. Toutefois, le contexte national et international justifie totalement notre slogan : “Olympe de Gouges plus que jamais !”. » Sa panthéonisation est plus que jamais nécessaire aujourd’hui, parce que dans un contexte d’obscurantisme florissant, les attaques contre les droits des femmes se confirment dans de nombreuses parties du monde. Le droit à l’avortement recule aux États-Unis. Sur la question des droits des femmes, Poutine et les islamistes se rejoignent pour incarner un virilisme de combat. Privation du droit d’étudier pour les filles, mariages forcés, violences sexuelles, viols de guerre, crimes d’honneur, massacres de civil·es un peu partout. Dans le monde, aujourd’hui, bien trop souvent, être une fille ou une femme, c’est être privée de droits et confrontée à des agressions. Par contraste, Olympe de Gouges, fondamentalement hostile à la violence, est porteuse d’un idéal des Lumières que la France doit garder bien haut. Le courage des Iraniennes révoltées doit nous stimuler. Je crois en la portée des actes symboliques. 

NOTES

(sauf mention contraire, les notes sont dues à Sylvia Duverger)

[1] Un ouvrage qu’il faudrait rééditer car il offre une vue d’ensemble précise et rigoureuse, vivante et détaillée. Une mine.

[2] Ses premières publications datent de 1784.

[3] https://vimeo.com/channels/olympedegouges

[4] Françoise Thébaud et Michelle Zancarini-Fournel, « CLIO, Histoire, Femmes et Sociétés : naissance et histoire d'une revue », Clio, n° 16, 2002. https://journals.openedition.org/clio/42

[5] Sur Berthie Albrecht, résistante et féministe, voir https://maitron.fr/spip.php?article9821, notice ALBRECHT Berthie [née WILD Berty, Pauline, Mariette, épouse ALBRECHT, dite] [Pseudonyme dans la Résistance : Victoria] par Renée Dray-Bensousan, version mise en ligne le 20 octobre 2015, dernière modification le 24 novembre 2020. 1

[6] Françoise Gaspard, sociologue et femme politique, est l’une des premières à avoir porté la revendication paritaire. En 1992, la publication de Au pouvoir, citoyennes ! Liberté, Égalité, Parité, Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall, lance la lutte pour la parité : « Malgré réticences et résistances, exclure les femmes du et de la politique paraît dès lors impensable » (Yannick Ripa, « Au pouvoir citoyennes », Esprit janvier/février 2021 https://esprit.presse.fr/article/yannick-ripa/au-pouvoir-citoyennes-43154).

[7] Secrétaire perpétuel de l’Académie française depuis 1999, elle s’est, par exemple, longtemps opposée à la féminisation des titres, voir Eliane Viennot (direction), Maria Candea, Yannick Chevalier, Sylvia Duverger, Anne-Marie Houdebine, L’Académie contre la langue française, 2016.

[8] Catherine Marand‑Fouquet, « Olympe de Gouges au Panthéon, ou la tribu France et ses femmes », Les cahiers du CEDREF [En ligne], Hors série 2 | 1996, mis en ligne le 26 juin 2018, consulté le 19 octobre 2022. URL : http://journals.openedition.org/cedref/1748 ; DOI https://doi.org/10.4000/cedref.1748

[9] Introuvable dans les archives de Libération, mais mentionné également par Jacqueline Martin, La parité : enjeux et mise en œuvre, la bibliographie, Presses universitaires du Mirail, 1998.

[10] En mars 2002 (du 8 (?) au 16 mars, selon Le Parisien) s’est tenue l’exposition « Aux grandes femmes de France » au fronton du Panthéon. Les portraits de huit femmes ont été accrochés à l'entrée du Panthéon : Colette, Simone de Beauvoir, Charlotte Delbo, Louise Michel, Olympe de Gouges, Maria Deraismes, George Sand et Solitude.  http://8mars.info/paris-fete-le-8-mars-pour-la-premiere-fois https://www.leparisien.fr/paris-75/exposition-le-pantheon-s-ouvre-aux-femmes-09-03-2002-2002880369.php

[11] Mais en 2014, la peur de la manif pour tous a fait reculer la municipalité en place. Elle avait prévu d’honorer Olympe de Gouges d’une série de conférences à son sujet, aux thématiques féministes. Elles se seraient déroulées en mars et des représentations de la pièce Olympe porteuse d’espoir (https://www.guichetmontparnasse.com/olympe-de-gouges-porteuse-despoir/ ) y auraient été associées. La proximité des élections et la résurgence de la « différence des sexes », portée à bouts de bras dans les manifestations peu de temps avant les municipales, ont eu raison de ses excellentes intentions. Mal lui en a pris : elle a perdu les élections ! Une représentation d’Olympe porteuse d’espoir a cependant été donnée lors de l’anniversaire de la création du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital.

[12] https://www.olympedegouges.fr/

[13] https://olympedegouges.wordpress.com/2007/03/06/olympe-et-solitude-au-pantheon-2/

[14] Cette modification paritaire de la statuaire du sénat a été imaginée par l'ancienne sénatrice écologiste Hélène Lipietz. https://helene.lipietz.net/spip.php?article553

[15] Citée par Léa Lejeune, « Aux grandes femmes, la patrie reconnaissante ? » Libération, 27 août 2013, https://www.liberation.fr/societe/2013/08/27/aux-grandes-femmes-la-patrie-reconnaissante_927369/

[16] Le rapport de Philippe Belaval, Pour faire entrer le peuple au Panthéon, qui synthétise les résultats de la consultation du public, est disponible à cette adresse https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/134000736.pdf

Rémi Noyon, « Panthéon, les résultats de la consultation », 10 octobre 2013, Rue89/L’Obs https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20131010.RUE9381/pantheon-les-resultats-de-la-consultation.html

Communiqué de presse de la consultation : https://presse.monuments-nationaux.fr/Espace-presse/Repertoire-presse/Philippe-Belaval-president-du-CMN-organise-une-consultation-sur-internet-dans-le-cadre-de-la-mission-sur-le-Pantheon-confiee-par-le-President-de-la-Republique

Thomas Wieder, "Une femme du XXe siècle", profil type pour entrer au Panthéon », Le Monde, 10 octobre 2013 https://www.lemonde.fr/politique/article/2013/10/10/pantheon-francois-hollande-decidera-avant-la-fin-de-l-annee_3493395_823448.html

[17] Laure Equy, « Olympe de Gouges attend encore son buste », 19 octobre 2015, https://www.liberation.fr/france/2015/10/19/olympe-de-gouges-attend-encore-son-buste_1407122/?redirected=1

[18] Les Nouvelles News, « Olympe de Gouges enfin à l’Assemblée nationale », 19 octobre 2016. « L’œuvre créée par Jeanne Spehar et Fabrice Gloux est la toute première représentation d’une femme politique parmi les œuvres d’art du patrimoine de l’Assemblée nationale. » https://www.lesnouvellesnews.fr/olympe-de-gouges-enfin-assemblee/

[19] La lettre est lisible à cette adresse : https://www2.assemblee-nationale.fr/static/evenements/plaquetteOdeGouges.pdf

Sur l’anniversaire d’Olympe de Gouges, le 7 mai 2015, à l’Assemblée nationale : https://www2.assemblee-nationale.fr/14/evenements/2015/anniversaire-d-olympe-de-gouges-7-mai-2015

[20] « Olympe de Gouges et Louise Michel plébiscitées pour entrer au Panthéon », AFP/La Dépêche, le 8 mars 2013, https://www.ladepeche.fr/article/2013/03/08/1577941-olympe-de-gouges-et-louise-michel-plebiscitees-pour-entrer-au-pantheon.html

Lors de l’inauguration du buste d’Olympe de Gouges, en 2016, C. Bartolone déclarait : « Aucune représentation de femme célèbre ou émérite n’est encore visible dans cette enceinte. Des tableaux et sculptures exaltent la mémoire de nos grands révolutionnaires, ministres, parlementaires, législateurs, Présidents de la République, poètes, philosophes, et même rois et empereur. Mais pas une poétesse, pas une philosophe, pas une écrivaine, pas une parlementaire, pas une ministre, pas une révolutionnaire ! La France ne manque pourtant pas de grandes figures politiques féminines ! » (cité par Les Nouvelles News, « Olympe de Gouges entre enfin à l’Assemblée », 19 octobre 2016 https://www.lesnouvellesnews.fr/olympe-de-gouges-enfin-assemblee/)

[21] La rédaction du Monde, « Le site de l'Assemblée nationale met en vente un tablier… Olympe de Gouges », Le Monde.fr, 20 février 2015 : l’article à la vente était accompagné de cet argumentaire de vente : « Tablier de cuisine illustré d'une affiche révolutionnaire d’Olympes [sic] de Gouges, rédactrice de La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, qui revendique le droit des femmes à choisir librement leur époux. » https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2015/02/20/le-site-de-l-assemblee-nationale-met-en-vente-un-tablier-olympe-de-gouges_5999391_4832693.html ; https://www.midilibre.fr/2015/02/23/l-assemblee-retire-un-tablier-a-l-effigie-de-la-pionniere-du-feminisme,1127592.php

[22] Geneviève Fraisse, « Olympe de Gouges voulait se souvenir du peuple », https://www.liberation.fr/debats/2015/10/18/olympe-de-gouges-voulait-se-souvenir-du-peuple_1406679/

[23] Elle insiste sur la finale féminine, transcrite en gras (à 14-15 minutes environ) ; cérémonie en l’honneur d’Olympe de Gouges, allocutions de Claude Bartolone et Sandrine Mazetier le 7 mai 2015 https://videos.assemblee-nationale.fr/video.2975682_555c369481d56.ceremonie-en-l-honneur-d-olympe-de-gouges-7-mai-2015?timecode=813970

[24] Ayant par là même enfreint le règlement de l’Assemblée nationale, Julien Aubert est sanctionné. « "Madame le Président" contre "Madame la présidente" : Julien Aubert et Sandrine Mazetier s'affrontent dans l'hémicycle », LCP, 7 octobre 2014 https://www.dailymotion.com/video/x27gcfn

142 députés de la droite estiment que ce féminin revendiqué conduit aux « portes de la tyrannie ». Ne conteste-t-il pas en effet le dogme de l’exclusive légitimité du masculin dit neutre au sommet de l’État et de ses institutions ? (Source Le Figaro du 9 octobre 2014). (https://www.lefigaro.fr/vox/politique/2014/10/09/31001-20141009ARTFIG00393-madame-le-president-l-ultimatum-de-139-deputes-de-l-opposition-a-claude-bartolone.php)

En 2021, à son tour, la ministre Barbara Pompili exige que Julien Aubert ne s’adresse pas à elle en masculinisant son titre (le fameux solécisme « Madame le ministre »). Barbara Pompili s’adresse donc à lui en lui donnant du « Monsieur la rapporteure ». Mais la présidente de séance, Annie Genevard, soutient son confrère, LR comme elle. Elle plaide la conformité de « Madame le ministre » avec les recommandations de l’Académie française », tandis que « monsieur la rapporteure » serait une « provocation » qui tordrait les usages (« Échange vif à l’Assemblée entre Barbara Pompili et Julien Aubert, récidiviste du madame le », L’Obs, 8 octobre 2021 https://www.nouvelobs.com/politique/20211008.OBS49653/echange-vif-a-l-assemblee-entre-barbara-pompili-et-julien-aubert-recidiviste-du-madame-le.html)

Vincent Gibert, « Barbara Pompili et Julien Aubert s'écharpent à nouveau à l'Assemblée nationale », 26 janvier 2022 https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/barbara-pompili-et-julien-aubert-s-echarpent-a-nouveau-a-l-assemblee-nationale_191659.html

[25] « Avec Michelle Perrot. Histoire des femmes, archives, et engagements contemporains », 21 octobre 2022, musée Carnavalet https://www.carnavalet.paris.fr/visiter/offre-culturelle/soiree-avec-michelle-perrot-histoire-des-femmes-archives-et-engagements

[26] Information transmise par Olivier Blanc (note de Catherine Marand-Fouquet). L’exposition, réalisée en partenariat avec le Mémorial de l’abolition de l’esclavage, à Nantes, s’intitulait Women and Slavery : Telling their Stories https://press.un.org/en/2015/note6436.doc.htm.

[27] Portraits de femmes en lutte contre l’esclavage colonial, Parvis du Mémorial de l’abolition de l’esclavage du 10 mai au 15 septembre 2013 : https://memorial.nantes.fr/2013/05/10/exposition-dix-femmes-puissantes/

[28] Elle a une place à Pantin, Cergy, Clermont-Ferrand. À Paris, une place Olympe de Gouges a été inaugurée en 2004 dans le troisième arrondissement ; voir Paris.fr, « Balade sur les pas révolutionnaires d'Olympe de Gouges », mise à jour le 4 octobre 2021 https://www.paris.fr/pages/balade-sur-les-pas-revolutionnaires-d-olympe-de-gouges-19055

[29] Elle y figure pour deux ans, concourant dans l’objet d’étude « la littérature d’idée du 16e au 18e siècle » avec deux autres auteurs. Comme l’observe Olivier Ritz, elle constitue un complément nécessaire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui, depuis 2013 « doit être affichée de manière lisible au sein de tous les établissements scolaires publics ou privés » et qui se trouve, précise le site officiel Eduscol, « au cœur de l’enseignement moral et civique ». O. Ritz estime que « tout invite à lire la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne comme un heureux complément : même en rappelant que Gouges a dénoncé l’absence des femmes dans le projet politique et social des révolutionnaires, on pourra dire que les combats de cette femme des Lumières ont contribué à l’avènement de notre république et au triomphe de ses “valeurs”. » (Olivier Ritz, « Olympe de Gouges au programme de la République », 22 novembre 2021 https://litrev.hypotheses.org/2280)

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