La mamie gâteau et le môme vecteur de virus
Vous avez sûrement vu la vidéo avec le môme qui met un masque pour rendre visite à sa grand-mère.
Pendant qu’elle confectionne un gâteau, le petit… joue avec son portable Puis, elle écoute patiemment le petit vecteur de virus gratter sa guitare. Tous les deux assis sur le canapé à une distance réglementaire minimale [1] dans une pièce sans fenêtre ouverte, sans ventilation apparente. Mais comme c’est chouette qu’il visite sa mamie ! C’est un héros de la bonne cause, lui, puisqu’il porte un masque en sa présence !
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Puis il y a la vidéo qui commence par une série de scènes où tout le monde se fout de toutes les règles à respecter, du port du masque et de la distanciation physique. Ensuite, nous les retrouvons tous chez leur mère ou grand-mère. Là, ils la serrent dans leurs bras et l’embrassent et lui offrent son gâteau d’anniversaire. (Tiens, encore un gâteau !) Bien sûr, elle finit à l’hôpital, avec des tubes partout.
Ici encore, l’appel à l’amour sirupeux pour une grand-mère en carton-pâte et, cerise sur le gâteau, la culpabilité que vous ressentiriez si vous tuiez l’infortunée.
Si ces pubs sont ta seule source d’info, tu es foutu·e. Tu vas croire que :
- Le Covid n’est dangereux que pour les femmes âgées de plus de 65 ans ;
- Tu n’as vraiment pas besoin de porter un masque sauf si tu leur rends visite à ces femmes « seniors » ;
- T’es un saint, oui un saint ! de les protéger parce que les femmes âgées sont toutes des gourdes minaudantes et écervelées, absolument incapables de te claquer la porte à la figure si tu viens les voir en arborant ton visage bête et nu expirant le sale virus.
Mais ce n’est pas vrai que ce tocard ne sait toujours pas porter son masque. Ce mec est décidément une nullité dans TOUS les domaines. #BlanquerDémission pic.twitter.com/8Hxb6XFZ80
— MonaLisa Klaxon (@MKlaxon) October 27, 2020
Invulnérables ou super fragiles les Français ?
Je commence à soupçonner que la culture française risque de s’effondrer si quelqu’un remarque que les hommes ne sont pas invulnérables. Même si c’est évident. Un exemple : à quel point la classe intellectuelle (très majoritairement masculine) a failli périr de fureur parce qu’une écrivaine lesbienne, une seule, Alice Coffin, a dit ne plus lire des auteurs hommes – au moins, pour le moment. Comme elle l’explique dans son livre intitulé merveilleusement, Le génie lesbien. C’est comme si mamie refusait de leur offrir un gâteau. Quelle fragilité terrifiante !
Il faut avoir peur, les hommes surtout, d'ailleurs
Quoi qu’il en soit, si nous voulons réduire la propagation du Covid en France, il faut d’abord dire clairement, non seulement que les hommes contractent le virus, mais qu’ils en meurent plus souvent que les femmes parce que leur système immunitaire ne fonctionne pas aussi bien que celui des femmes contre les menaces virales. Il faut qu’ils aient peur.
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Deuxièmement, il faut informer le public que ce ne sont seulement les personnes âgées – des deux sexes – qui remplissent les lits de réanimation, mais aussi les personnes jeunes et d’âge moyen. Reportage à l'appui de David Tuller dans le New York Times du 22 octobre...
Et que même les personnes asymptomatiques se retrouvent avec des dommages pulmonaires ou cardiaques qui pourraient durer des mois, des années – nous ne savons pas.
Certain·es ont même eu des accidents vasculaires cérébraux liés à des problèmes de coagulation sanguine invisibles associés avec le Covid. Ce ne sont pas des bruits de couloir ni des propos de comptoir, mais des données que des équipes de recherche s’efforcent d’élucider. Deux références parmi d'autres : "Cerebrovascular disease in COVID-19: Is there a higher risk of stroke?" et "Cerebrovascular Disease in Patients with COVID-19: A Review of the Literature and Case Series".
ll n’est pas anodin ce virus.
Priorité #3, avertir les femmes, qui sont plus sujettes aux maladies auto-immunes, qu’elles sont particulièrement vulnérables à ce que les scientifiques appellent en anglais, Long Covid (le Covid de longue durée) qui comprend les symptômes communs du Covid, ainsi qu’une gamme de troubles neurologiques comme la fatigue persistante, la confusion et le brouillard cérébral (brain fog) – ce qui signifie que nous allons devoir lutter contre un système médical qui aime dire aux femmes que nous exagérons, que le Covid, c’est pas aussi pénible que ça, que nous sommes folles.
Oh bah, on est foutu alors, cette forme-là ne sera jamais soignée. https://t.co/5gGN9RA2Bg
— MonaLisa Klaxon (@MKlaxon) October 23, 2020
Il y a d’ailleurs des enfants et des jeunes qui souffrent de la forme longue de la maladie, rappelle le New York Times.
Réponse de la bergère au mec pas masqué
Si les vidéos anti-Covid ont absolument besoin de mettre en évidence les femmes âgées et vulnérables, que ce soit les aides-soignantes ou les femmes du secteur des services, comme les caissières d’Afrique de l’Ouest ou d’Europe de l’Est de l’épicerie où je vais, ou les femmes qui travaillent dans le froid sur les marchés de plein air et qui doivent faire face aux andouilles de tout sexe qui ne portent le masque que sur leur bouches et non sur leur nez, ou qui refusent fièrement de le porter, comme le mec que j’ai vu mercredi dernier lorsque j’étais en train d’acheter des pommes au marché de Charonne.
Vous êtes toutes des moutons ! lance le mec pas masqué aux femmes qui font la queue au marché.
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Soixante-cinq ans (au moins) et toujours bonne vivantes !
Quant à grand-mère, laissez-la en dehors de ces messages du ministère de la Santé si vous êtes incapable de la montrer comme une vraie personne, aussi humaine et pleine de désirs que les jeunes de 20 ans de l’an 2020 avec lesquel·les Macron sympathisait dans un récent discours.
Ou est-ce que vous pensez réellement que les femmes plus âgées n’ont pas d’ami.es qu’elles veulent voir, ou d’endroits où elles veulent aller ? Que les cafés ne leur manquent pas ? Qu’il n’y a pas de la musique qu’elles veulent entendre ? Des voyages qu’elles veulent faire ?
En fait, c’est possible que les restrictions anti-Covid aient un effet plus important sur les personnes âgées car, a priori, il leur reste moins de temps à vivre. C’est pourquoi certaines grand-mères ont fait leurs calculs et ont décidé d’ignorer complètement les conseils anti-Covid. Je les ai vues dans des bistros buvant un bon verre de vin, sirotant un café, savourant un plat du jour qui avait l’air assez appétissant pour un dernier repas.
Kelly Cogswell
auteure notamment de Eating Fire: My life as a Lesbian Avenger
[1] La distance qui permet d’éviter la contamination est en réalité sujette à débats. Ainsi, dans la très sérieuse revue médicale The bmj, des chercheuses et chercheurs de l’université d’Oxford, de l’hôpital St Thomas à Londres et du MIT de Cambridge, aux États-Unis, rappellent que « des éléments indiquent que le SARS-CoV-2 peut se propager sur plus de deux mètres par des activités telles que la toux et les cris. » (« SARS-CoV-2 could spread beyond 1-2 m in a concentrated packet through coughs or sneezes.2 In recent related viral outbreaks, such as SARS-CoV-1, MERS-CoV, and Avian flu, multiple studies reported suspected spread beyond 2 m. »)
Les conclusions de cette étude ont fait l'objet d'articles en français, par exemple sur allodocteurs et L'Obs