Comme tous les vendredis maintenant, le mouvement

"du 25 janvier" appelait en cette fin de semaine à un rassemblement sous le signe de la lutte contre la corruption, du "grand nettoyage"(yaoum at-tathir).
Toujours aussi joyeux et déterminés, les manifestants avaient multiplié les lieux de débat politique sur la place Tahrir mais aussi dans différents endroits du centre ville, et il semble que la qualité de ces débats, pour ce que je peux en juger, évolue très positivement.

A l'ordre du jour la réécriture de la constitution pour laquelle un site internet et des appels à contribution ont été lancés. Cette grande affiche annonce que "le peuple veut écrire sa constitution" et les propositions écrites posées sur le sol sont débattues. Partout on peut lire des panneaux d'expression libre qui sont discutés et complétés. Un site internet est dédié à cette écriture (lien ici).
Si l'enthousiasme du 12 février n'est pas retombé, l'analyse de la situation actuelle est beaucoup moins angélique car les corrompus sont toujours là, le régime est encore globalement en

place et le nom de Chafiq, l'actuel premier ministre est de plus en plus souvent conspué : "Le gouvernement Chafiq dehors, dehors ; nous voulons un gouvernement libre, libre" dit cette banderole que l'on retrouve en plusieurs endroits de la place.
Les égyptiens ont conscience que rien n'est vraiment gagné si ce n'est (et ce n'est pas négligeable) qu'ils ont relevé la tête comme le disent les badges que l'on voit fleurir un peu partout. Mais leur révolution est encore bien fragile et il reste à finir "le nettoyage", à relancer l'économie, à construire une vie démocratique...
Comme si toutes ces contradictions s'exacerbaient à grande vitesse dans la journée, l'atmosphère s'est nettement dégradée à la fin du rassemblement, lorsqu'à minuit les militaires ont voulu faire évacuer la place. On a vu arriver des hommes cagoulés, des véhicules de la police militaire avec des armes à l'intérieur, et certains militaires ont sorti selon les témoignages des "bâtons électriques", des Tazers j'imagine.
Passant sur la place trop près de minuit, cela m'a couté la suppression de la plupart de mes photos de la journée puisque je me suis retrouvée entourée de soldats nettement plus énervés qu'auparavant qui ont entrepris de vider mon appareil (que j'ai tout de même eu la chance de récupérer). Sans doute y avait-il déjà eu des échauffourées comme le montrait la place jonchée de détritus, et ils devaient penser que j'en avais pris des clichés.
En rentrant chez moi, j'ai réalisé la video qui introduit ce papier, depuis ma terrasse, video qui rappelle de bien mauvais souvenirs : on y voit des manifestants fuyant devant les militaires qui les poursuivent, rue Talaat Harb. Il est 2h du matin. Des coups de feu ont éclaté ensuite, puis on a entendu des hélicoptères au dessus du centre ville, et des manœuvres des chars de l'armée dans le quartier.
Ce matin 26 février, un rassemblement de protestation contre ce que tout le monde vit ici comme une "trahison de l'armée" a lieu. Cette nuit sur Facebook des appels à protester ont circulé avec le commentaire suivant "la police et l'armée ne forment qu'une seule main". Dès 6h du matin, les premiers manifstants se trouvaient sur la place.
La colère risque d'être à la mesure de l'enthousiasme - un rien naïf- qui était né il y a deux semaines lors de la prise en main de la situation par le conseil suprême de l'armée. Curieusement, on ne trouve pas mention de cette évolution de la situation dans les medias occidentaux ce soir.
PS : sur Facebook encore, sont parues les excuses du Conseil suprême des forces armées qui affirme que ces incidents n'étaient pas intentionnels, ce qui est difficilement crédible compte-tenu des éléments d'observations mentionnés.