Alors que le Rassemblement national est au seuil du pouvoir, les présidents d’Université et directeurs d’établissements d’enseignement supérieur, 15 syndicats du monde de la culture, 90 médias, 70 diplomates, des milliers de soignant·es ou de cadres de l’éducation nationale ont alerté publiquement sur les conséquences du projet de l’extrême droite dans leurs domaines respectifs.
En ce qui concerne l’institution judiciaire, l’extrême droite prône une justice domestiquée et dévitalisée au service d’un projet qui portera atteinte à l’accès de toutes et tous aux services publics. De nombreuses et nombreux magistrat·es anticipent avec autant de crainte que de lucidité les risques d’affaissement de l’État de droit et les conséquences pour celles et ceux qui seront confronté·es, demain, à la justice.
Bientôt peut-être bridé·es dans leur office par le rétablissement de peines planchers, la limitation drastique des aménagements de peine ou la disparition de l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs, les magistrat·es seront réduit·es à de simples auxiliaires de la répression et de l’exclusion.
Face au vertige qui nous saisit, il est de notre devoir de prendre la parole. Quel motif pourrait donc justifier de se taire, en ces temps à hauts risques, si ce n’est une conception réduite à peau de chagrin du rôle de la justice en démocratie ? Pourtant, la menace d’un pouvoir autoritaire suffit déjà à rendre mutique la quasi-totalité des représentant·es de l’institution judiciaire : conférences de chefs de juridictions, organisations et associations professionnelles, syndicats de magistrat·es.
Oui, le rapport du corps judiciaire à l’exécutif, qui détient les pleins pouvoirs sur la carrière et la discipline des procureur·es et des prérogatives presque aussi importantes sur la plupart des juges, induisait déjà des formes d’auto-censure. S’y ajoute, désormais, la crainte de représailles. Car nul besoin de réforme pour cela : le futur ministre de la Justice détiendra tous les outils nécessaires.
Il est ainsi aujourd’hui impératif de rappeler que devoir de réserve des magistrat·es et interdiction de critiquer ne se confondent pas. A cet égard, l’expression d’un syndicat de magistrats – fût-elle polémique – sur le péril représenté par tel projet de gouvernement pour la séparation des pouvoirs et l’État de droit ne saurait jeter le moindre doute sur l‘impartialité de ses membres dans l’exercice de leurs missions juridictionnelles. Un syndicalisme judiciaire « neutre » et taiseux, autrement dit inexistant dans le débat public, ne serait rien d’autre que la préfiguration du projet de l’extrême droite, qui est in fine de le faire disparaître.
Le Syndicat de la magistrature sait que certain·es magistrat·es espèrent une expression publique réaffirmant leur mission première et dénonçant le péril imminent qui pèse sur elle : veiller sur les droits et libertés de chacun·e. Battons-nous pour que les voix de l’institution judiciaire n’aient ni à se terrer, ni à se taire.