COMMENTAIRES SUR UNE CONFERENCE RELATIVE A GRAMSCI
Lettre d’un militant communiste ordinaire
Une Association progressiste « LES AMIS DE LA LIBERTE » a organisé un Séminaire introduisant à la pensée de Antonio Gramsci ; la première séance eut lieu voici quelques jours et je n’ai pu hélas y assister mais je l’ai visionnée de part en part malgré une prise de son détestable ; ce qui suit a la prétention incongrue d’émettre des objections à des passages essentiels de la séance introductive. C’est une prétention incongrue car je ne suis ni philosophe ni historien et n’ai AUCUN titre à présenter à cet égard ; je ne suis pas non plus un connaisseur de la pensée Gramscienne.
Ceci posé , quelques observations préalables : qu’un Séminaire remette Antonio Gramsci à la place qui lui revient c’est-à-dire la plus haute dans le firmament de la pensée progressiste ne peut de ma part qu’être salué ; je fais tout de suite une première observation : ce n’est pas la première fois que Antonio Gramsci est si on peut dire « remis au goût du jour » ; ne serait-ce que l’ouvrage de MA Macciocchi cité dans la Bibliographie indique qu’un débat récurrent à ce sujet existe ; ce débat généralement vise à OPPOSER la pensée de Antonio Gramsci à d’une part plusieurs penseurs se réclamant de Karl Marx , Lénine compris et d’autre part , notamment en France à une formation politique , le PCF . J’ose penser que ce dernier aspect n’est pas l’objectif de ce Séminaire. La courte vie de Antonio Gramsci laisse des œuvres dont le décryptage aujourd’hui est tout sauf aisé et il est facile de s’égarer, on le verra.
1) L’orateur de la première séance ( je laisse son nom de côté car il s’agit d’un propos général et pas d’une critique personnelle ) commence par souligner que la pensée de Antonio Gramsci est non déterministe ; son insistance ne peut que viser d’autres auteurs du courant marxiste et en particulier K MARX , comme on le verra ; c’est un premier égarement ; la pensée de K MARX est tout sauf un déterminisme . La critique sous-jacente viserait à bon droit la vulgate stalinienne qui en a été tirée . Mais K Marx n’est pas responsable de lectures déformantes de ses travaux , ni Lénine d’ailleurs .
2) Dès l’Introduction , est mentionné pour y insister un passage très important où Antonio Gramsci différencie avec netteté les situations politiques , sociales etc…de ce qu’il appelle l’Orient et l’Occident ; on peut voir là le souci majeur de se distancer d’un copiage psitacique de l’expérience soviétique ; mais le passage mentionné montre une propension à la généralité qui ne résiste pas à l’examen sans même parler de ce qu’il dit de « l’Orient » qu’il n’a évidemment pas étudié ; je développe ci-dessous MAIS ces critiques ne visent pas Antonio Gramsci comme il est parfaitement stupide de s’attarder sur des absurdités qu’on trouve chez Karl Marx relativement à des tentatives mathématiques : ces dernières étaient à l’époque si mal enseignées et les notions si peu comprises y inclus pour des aspects élémentaires qu’on ne pouvait pas demander même à un esprit aussi génial et universel que celui de Karl Marx d’y voir clair ; ces critiques par contre visent à prémunir contre une lecture des écrits de Antonio Gramsci pour en tirer des conséquences qu’ils ne peuvent avoir .
La Société désignée par « Orient » : déjà c’est parfaitement limite pour la Russie, laquelle avant Octobre n’a PAS d’ETAT à proprement parler ; la Russie a une Police , une Armée , une Bureaucratie et c’est à peu près tout : le TSAR procéde par OUKAZES répercutés NON SANS mal dans l’Empire via la Police et autres organes de l’absolutisme . Pour la Chine qui devrait faire a priori partie de l’Orient » , le passage est carrément absurde ; on doit pouvoir dire quelque chose d’analogue pour l’Inde mais je n’en suis pas certain.
La société désignée par « l’Occident » : à l’époque de Antonio Gramsci c’est à peine si on peut dire que l’Italie dispose d’un Etat ; on peut voir là une raison supplémentaire de l’adhésion de la classe dirigeante italienne au fascisme mussolinien (il s’agissait ici de la CONSTRUCTION DE LEUR ETAT ) . Je laisse ce point de côté.
Il existe à cette époque 3 Grands Etats : la France , la Grande Bretagne et l’Allemagne pour autant qu’on la classe dans l’Occident et Outre Atlantique les Etats Unis d’Amérique que nous laissons de côté . L’Espagne échappe tout à fait à la description gramscienne. Il en est de même du Portugal . Ces deux monarchies sont en retard d’une façon qui n’est jamais appréciée comme on devrait .
Les remarques sur la société civile, expression gramscienne sur laquelle on reviendra et qui fait aujourd’hui fureur dans un contexte de NOUS ET EUX , sont du même ordre .
3) Dans un autre passage de l’Introduction celle-ci insiste que la révolution en Russie CONTREDIT Karl Marx ; elle insiste à tel point qu’on peut penser que K Marx EXCLUT qu’une Révolution socialiste puisse se produire en Russie au moins tant qu’elle n’ a pas rejoint le peloton des pays capitalistes développés . Mais comme déjà mentionné la pensée historique de K Marx n’est PAS prédictive et c’est lui faire un très mauvais procès que ne peut inspirer qu’une lecture sommaire que par exemple VI Lénine se garda de faire.
K Marx dit simplement, en gros, que lorsque l’enveloppe des rapports sociaux devient incapable de développer à leur pleine extension les forces productives nées au sein de ceux-ci , alors commence le siècle des révolutions . Il ne fait de cette condition épurée pour qu’on en perçoive la portée sans s’encombrer de contingences NI une condition nécessaire NI une condition suffisante. Beaucoup plus tard, une certaine tradition de « marxisme universitaire » ( Kautsky notamment ) fera de cette condition un DOGME combattu avec la dernière énergie par VI Lénine dont l’audace intellectuelle en vint à imaginer qu’une révolution socialiste ne devait pas NECESSAIREMENT succéder à une phase de démocratie bourgeoise et que précisément , dans un pays en RETARD , ce même RETARD pouvait permettre de sauter révolutionnairement la phase capitaliste . Les anticipations prodigieuses de Lénine connurent un étonnant succès dans un premier temps avant de s’enfoncer dans le dogmatisme de la pensée ; mais ce n’était surement pas sa faute et en tout cas, clairement cette expérience DEMONTRE à quel degré la pensée marxiste vivante est éloignée de tout « mécanisme », de tout déterminisme.
4) Nous en venons au cœur du problème posé par la pensée Gramscienne.
Ce qui est NOUVEAU dans la pensée gramscienne, bien AVANT la question de l’Hégémonie dont nous reparlerons c’est l’attention NOUVELLE portée au MOMENT SUBJECTIF .
Cette attention est en effet unique dans la pensée marxiste ; ce n’est pas du tout que K Marx l’ait ignorée ; mais ce n’était pas son principal angle de visée. A la suite des Conseils Ouvriers de Turin , expérience écrasée , Antonio Gramsci réfléchit aux causes de l’échec et en tire la conséquence que avant de prendre le pouvoir et de créer les conditions d’une révolution socialiste AUTOUR du prolétariat , il est nécessaire de briser l’Hégémonie des idées bourgeoises ( pour aller vite ) et de leur substituer PROGRESSIVEMENT un autre mode de pensée jusqu’à ce qu’il devienne puissamment majoritaire dans ce qu’il appelle « les classes subalternes » ; c’est là sa pensée grossièrement décrite de la création d’une NOUVELLE HEGEMONIE IDEOLOGIQUE . Et comment y parvenir ? On peut penser que c’est par le biais d’une conquête graduelle de lieux de pouvoir disséminés dans toute la société. Cette idée n’a rien à voir avec un quelconque « gradualisme » qui sera le maitre mot des forces social démocrates bien qu’elle puisse y conduire – et là encore on ne peut rien reprocher à Gramsci qui n’est pas responsable de lectures biaisées, scolastiques et autres -Ce n’est en fait rien d’autre qu’un ajout brillant à la pensée de K Marx dont on a plus haut résumé schématiquement la pensée maîtresse. Ajout brillant mais qui eût demandé d’autres développements et approfondissements dont Antonio Gramsci n’eut pas le loisir. L’outil indispensable pour cette conquête est clairement le parti. Le parti éduque . Cette fonction est clairement cardinale chez Gramsci. Pour y parvenir, Gramsci conçoit l’idée de BLOC HISTORIQUE au sein duquel les intellectuels sont censés jouer un rôle déterminant quoique subordonné à l’objectif : ceux-ci et celles-ci se voient donc chargés de mission auprès de l’avant-garde du prolétariat.
On peut penser sans trop trahir, que ce fut en gros la ligne suivie par le PCI de Togliatti à Berlinguer. L’étude attentive de ce qui se produisit est éclairante ; il arriva le moment du « sorpasso » ; on ne peut sûrement pas déclarer qu’après avoir dépassé électoralement la Démocratie Chrétienne jusque-là toute-puissante, la phase de conquête hégémonique était accomplie ; des pas gigantesques dans cette voie avaient été franchis cependant ; qu’arriva-t-il alors ? On sait comment en peu de temps le PCI s’effondra. Vouer aux gémonies les dirigeants opportunistes, les lâches et autres ne sert à rien ; l’effondrement avait d’autres causes ; le PCI avait accompli une partie de la mission gramscienne mais …Arrivé au seuil du pouvoir il était comme une poule devant un couteau. S’y ajouta évidemment l’épisode sanglant des Brigades Rouges qui précipita le reflux. Mais quoi qu’il en soit, des années durant le PCI s’était fixé le Sorpasso comme objectif sans savoir ce qu’on en ferait une fois obtenu. C’est assez dire que si on doit se garder de jeter aux orties l’idée de conquérir des lieux de pouvoir nombreux, et en même temps d’éduquer la population avec des idées qui combattent la logique des idées dominantes, il s’en faut que ce soit là une idée qui puisse être tenue pour substitut à ce que le mouvement révolutionnaire a pu tenter jusque là.
Ne disons rien ici de l’idée du « bloc historique » et des intellectuels en mission ; cette idée , sous bénéfice d’inventaire a définitivement vécu . C’est absolument méconnaître les conditions d’aujourd’hui, si cette idée a jamais eu un sens ( bien que parfaitement compréhensible à l’époque de l’effervescence turinoise qui ne dépassa jamais l’Italie du Nord ) . Cette idée prenait le relais d’une idée Léniniste cette fois selon laquelle la conscience révolutionnaire ne pouvait qu’être importée de l’extérieur de la classe ouvrière ( il pensait au PARTI BOLCHEVIK , pas du tout « aux intellectuels en tant que groupe social ) .
La volonté louable de mettre en ce moment la pensée gramscienne à l’ordre du jour , peut ainsi jouer beaucoup de tours à moins qu’on ne songe par là à d’autres prolongements politiques que je ne veux pas évoquer , si ce n’est pour mentionner qu’un certain type de populisme peut s’y trouver relativement à l’aise en donnant à diverses divagations une caution « théorique » qui lui fait évidemment défaut ……
Antonio Gramsci fait partie de l’héritage du mouvement révolutionnaire inspiré par la pensée de Marx et aucune tentative de l’en séparer ou de le lui opposer a fortiori, n’est possible ou est une entreprise de falsification.
5) Sur l’HEGEMONIE :
Il s’agit évidemment d’une thése nouvelle et très novatrice en son temps , comme l’était d’ailleurs l’analyse de Karl Marx faisant l’analyse de l’échec de la Commune de Paris dont on sait qu’elle déboucha sur l’idée fameuse de DICTATURE DU PROLETARIAT ; ici encore , impossible d’opposer la pensée Gramscienne à celle de Karl Marx ( ni d’ailleurs de VI Lénine ) : il s’agit bien plutôt d’enrichissements qui conférent au moment SUBJECTIF une importance que les auteurs cités ne pouvaient pas percevoir avec cette acuité ; l’idée gramscienne est -elle pour autant à reprendre telle que ???? On peut en douter ; ni Antonio Gramsci ni VI Lénine ne pouvaient penser la crise historique actuelle du capitalisme , réflexion sans laquelle il est impossible de rien comprendre . Macron aujourd’hui est-il hégémonique dans la société française ? Evidemment non ; une majorité de nos compatriotes jugent aujourd’hui NEGATIVEMENT le capitalisme et ses valeurs . La veille de la révolution française pouvait -on dire qu’une hégémonie intellectuelle , culturelle etc s'était établie en PREALABLE au processus révolutionnaire ? La réponse est évidemment négative même en tenant compte des ruisseaux infiniment créatifs des Lumières qui , comme on le sait ne touchèrent que certaines strates de la société donnèrent ensuite mais seulement ensuite le caractère unique de la Révolution française à savoir sa dimension LARGEMENT ( au lieu de l’être ETROITEMENT ) BOURGEOISE ; dans les cercles éclairés ce qui DOMINAIT était le concept de MONARCHIE ECLAIREE ….. Et s’il s’agit AUJOURD’HUI de créer -ou de contribuer à créer les conditions d’une HEGEMONIE IDEOLOGIQUE , politique, nouvelle c’est à mon sens un objectif sans portée pratique car gommant l’infini entrelacs des contradictions portées et développées par la crise systémique et civilisationnelle dont les miasmes et les chiasmes éclatent à chaque instant . La tentation de trouver un cadre de pensée global est compréhensible mais n’a aucune chance de se faire jour au travers de la recherche du quelconque HEGEMONIE nouvelle fut -elle populaire ; il ne manque pas de tentatives de cet ordre : toutes , par leur incapacité à penser la situation concrète échoueront .
6) La question du matérialisme historique .
. Reste la question du MATERIALISME DIALECTIQUE ( Historique dans son acception réduite ) Nous pourrons être assez brefs ici . L’Introduction fournit un texte supposé être la référence , à savoir la Cours de G Granel sur Gramsci , essentiellement d’ailleurs consacré à un ouvrage de N Boukharine sur le même objet ( matérialisme historique ) ; il est étrange , en tout cas pour moi que Antonio Gramsci se soit ainsi évertué à démolir cet ouvrage que je n’ai d’ailleurs pas lu . Il doit y avoir là des motivations profondes et j’en vois une majeure : l’ouvrage de N Boukharine prétend être une introduction accessible au public RUSSE la plus large ; on peut même sans l’avoir lu être a priori sceptique .
G Granel a dû se poser la même question mais ne parvient à rein d’autre qu’à déceler une contradiction dans le jugement de VI Lénine relatif à N Boukharine ; il apprécie grandement ce dernier tout en notant « qu’il n’a pas compris parfaitement la dialectique » . Qu’y a-t-il là de contradictoire ? On peut reconnaître des qualités éminentes chez un des intellectuels à bon droit les plus en vue à l’époque, sans pour autant ne pas passer l’éponge sur ses défauts quand ils sont majeurs. Il est manifeste que Antonio Gramsci cherchait à se distancer d’une pensée figée telle que malheureusement on la trouvait dans l’ouvrage de N Boukharine.
Ajoutons quelques remarques après cet aparté.
D’une part ,sans avoir les textes sous les yeux , Karl Marx et Friedrich Engels débattirent de la question du matérialisme historique sans totalement retenir cette expression pour d’excellentes raisons ; VI Lénine dans son ouvrage magistral développe le MATERIALISME DIALECTIQUE et à mon souvenir ne reprend pas à son compte l’expression Matérialisme historique .
Ce qui est tout à fait choquant , est le fait que dans une Introduction à Gramsci on ne trouve AUCUNE référence à « MATERIALISME DIALECTIQUE ET EMPIRIOCRITICISME »
Il ne s’agit pas ici de s’agenouiller devant un grand auteur mais c’est dans CET OUVRAGE et nulle part ailleurs que l’on peut trouver des idées exposées clairement avec la discussion y afférente sur les FONDEMENTS philosophico théoriques de la chose.
Que N Boukharine ait cru devoir publier un ouvrage prétendument accessible aux larges masses sur un aspect réduit ET Réducteur est une chose ; on ne voit JAMAIS G Granel donner la moindre définition . Peut être croit -il son auditoire suffisamment préparé ce qui est parfaitement DOUTEUX si j’en juge par le sort académique fait au matérialisme dialectique dans sa version originale et non dans les commentaires académiques qui usuellement ont de telles préventions idéologiques qu’il est préférable qu’ils restent silencieux plutôt que de proférer des inepties ; et si je peux me permettre , c’est AUSSI DOUTEUX pour le public du Séminaire Gramsci dont il est illusoire d’imaginer que tous les participant.es partentdes mêmes prémisses .
Antonio Gramsci a tenté dans sa trop courte vie de monter sur des épaules de Géants , ce n’est pas lui rendre hommage que d’ignorer d’où il part , a fortiori pour en tirer des conclusions absurdes .